Le comte de Sanois 1723-1799. Une vie bouleversée par l'affaire de la lettre de cachet

Présentation de livre publié le 22/04/09 7:33 dans Histoire de Bretagne par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail

«Le comte de Sanois 1723-1799. Une vie bouleversée par l'affaire de la lettre de cachet»

Livre de Hélène-Claire Richard et André Caroff

paru aux éditions Paradigme (191 p., 22 €)

La ville de Sanois qui compte aujourd'hui 26 400 habitants, se trouve en Île de France, à 14 km à l'ouest de Paris, à côté d'Argenteuil, aujourd'hui en Val d'Oise... On pourrait se demander en quoi un livre sur le comte de Sanois pourrait intéresser la Bretagne. C'est qu'en réalité, ce personnage ,qui connut une certaine célébrité au début de la Révolution française, était breton. Son vrai nom était Jean-François Geffrard, un nom de famille que l'on retrouve, à diverses reprises, dans l'histoire de Vitré et du pays de Vitré. La vie de ce personnage a été très mouvementée et un excellent petit livre, paru il y a quelque temps déjà, l'a très heureusement sorti de l'oubli.

Une famille enracinée depuis bien longtemps dans le pays de Vitré

Jean François Joseph Geffrard de la Motte, futur comte de Sanois, était né le 10 novembre 1723 au château du Boiscornillé, chez son oncle Mathurin-Claude Geffrard, frère aîné de son père Joseph Étienne. Les Geffrard était une ancienne famille de la ville de Vitré. Ils appartenaient à la petite noblesse de robe. L'arrière-grand-père du nouveau-né, Mathurin Geffrard de la Billonnière avait acquis l'office anoblissant de conseiller à la Cour des comptes de Bretagne, à Nantes, et, à la fin du XVIIe siècle, la famille avait passé avec succès l'épreuve de la réformation. Un arrêt des c ommissaires en date du 31 mai 1670 avait confirmé les Geffrard dans leurs prétentions à la noblesse. Le grand-père du nouveau né, Joseph Geffrard du Plessis était né à Saint-Malo en 1644 et avait hérité de la charge de conseiller auditeur à la Chambre des comptes, puis acquis celle de contrôleur général des domaines de Bretagne. Le père de Jean François, Joseph Étienne Geffrard, ne pouvait espérer une grande part de l'héritage paternel en tant que cadet et il servit quelque temps dans la Marine espagnole, l'Espagne étant alors une porche alliée de la France depuis la montée d'un petit-fils de Louis XIV sur le trône à Madrid. Joseph Étienne mourut prématurément en 1736, laissant une veuve et six enfants, mais l'oncle Mathurin-Claude qui n'avait pas d'enfants reporta sa tendresse sur ses neveux et nièces et, à sa mort, c'est Jean-François qui hérita de l'ancien manoir de Pierre Landais. Il devait le revendre plus tard à un de ses cousins. Après quelques études, Jean-François embrassa la carrière militaire et entra à 21 ans dans le corps prestigieux des « Gardes françaises ». Il participa au siège de Tournai, à la bataille de Raucoux et au siège de Maastricht, et en 1760, il fut décoré de la croix de Saint-Louis.

En 1761, Jean-François, qui allait atteindre ses 38 ans, songea à se marier. Une parente lui trouva une fille de bonne famille âgée de 28 ans, Anne Marie Louise Rulault, fille unique d'un conseiller au Parlement de Paris. La famille possédait une seigneurie à Annet, près de Lagny, (actuelle Seine-et-Marne) dont le siège était le château de Sanois, ainsi que des maisons à Paris. Dans la corbeille de mariage, le mari n'apportait que sa terre bretonne et des dettes. La dot de la mariée n'était pas très importante mais s'assortissait d'espérances à valoir à la mort de ses parents. Après son mariage, Jean-François quitta l'armée, vendit sa terre bretonne et acquit la seigneurie de La Houssaye près de Beauvais. En 1762 naquit leur fille unique, la petite Philiberte Marie Mathurine.

À la mort des beaux-parents, le gendre hérita de la seigneurie d'Annet. C'est alors qu'il prit le titre de comte de Sanois. Mais les soucis ne cessèrent de s'accumuler : à la Houssaye où il s'attachait à exploiter et à mettre sa terre en valeur, il dut s'opposer à un voisin difficile, magistrat de haut rang, ancien président à la grand-chambre du Parlement de Paris. Un contentieux se forma pour un sordide problème de bornage et de compétence juridictionnelle. Le procès est inévitable. Malgré son bon droit, le comte de Sanois perdit ce procès en 1779. Il en conçut une grande amertume et entretient une animosité durable envers le fonctionnement de la justice. Son attitude au moment de la Révolution allait notamment être dictée par le souci de voir aboutir une réforme de l'ordre judiciaire. Après ce coup, il décida de sacrifier sa terre de la Houssaye. La vente fut réalisée pour 160 000 livres en 1779, juste un mois après le jugement. Avec le produit de cette vente, le comte de Sanois acheta pour près de 190 000 livres la seigneurie de Pantin avec une centaine d'hectares de terres situées à Pantin, Romainville et Bobigny.

Au cours de plus d'une vingtaine d'années de vie commune, ses relations avec sa femme n'avaient cessé de se détériorer. Parmi les causes de cette désunion, outre une évidente incompatibilité de caractères, il y avait le problème financier. Les dépenses inconsidérées de la comtesse, les procès de son mari, avaient contribué à accumuler les créances et à creuser le déficit des comptes du ménage. En 1784, la querelle provoquée par un désaccord au sujet du mariage de leur fille avec Mathieu de Courcy conduisit le comte de Sanois à mettre à exécution un projet longuement mûri : il décida de tout quitter et de se réfugier en Suisse pour y soigner une santé défaillante et de vivre de sa plume en publiant un ouvrage d'histoire, mais, au lieu de s'en expliquer avec sa femme, il lui laissa en partant une lettre insensée par laquelle il lui annonçait qu'il allait s'embarquer pour l'Amérique en emportant leur fortune, ce qui était totalement faux. En annexe de sa lettre, il donnait procuration à sa femme pour qu'elle puisse disposer du reste de ses biens afin de désintéresser les créanciers.

Parti le 1er avril 1785, il arriva à Lausanne le 28 du même mois. À la lecture de sa lettre, la comtesse, persuadée que son mari emportait un magot, obtint la séparation des biens et demanda une lettre de cachet pour « banqueroute frauduleuse » et détournement d'une somme de 400 000 livres. La police se lança à la poursuite du fugitif. Le comte de Sanois fut arrêté le 4 mai et conduit à l'asile de Charenton où il allait rester enfermé sans être jugé, ne cessant de clamer son innocence.

Enfin libéré au bout de neuf mois interminables, il intenta un procès contre sa femme pour laver son honneur et récupérer ses biens. Son avocat, l'ambitieux et talentueux M. de Lacretelle, transforma un banal fait divers en un procès à sensation qui passionna l'opinion publique. On s'arracha son Mémoire pour le comte de Sanois où était dénoncé notamment l'emploi abusif des lettres de cachet, symbole du despotisme royal. Ses lecteurs prirent fait et cause pour l'infortuné vieillard victime d'une épouse dénaturée. En peu de temps, le comte de Sanois devint célèbre, célébrité dont il allait profiter par la suite pour diffuser ses écrits.

Le procès se termina finalement par une transaction : sa femme fit amende honorable, reconnut la fausseté de ses accusations et elle obtint l'entière propriété des biens avec toute latitude de les vendre pour régler les créanciers. De cette manière, le comte de Sanois avait sauvé son honneur, mais il sortait dépouillé, avec une petite rente comme unique ressource. Malade et affecté par ses épreuves, le comte de Sanois décida à la fin de 1787 de repartir en exil et de s'installer cette fois définitivement à Neuchâtel.

Pendant qu'il se débattait dans ses soucis domestiques, la France traversait une période très difficile. Le pays était au bord de banqueroute et l'agitation grandissait partout. Louis XVI décida de convoquer des « Etats généraux ». Jean-François Geffrard s'empressa de rentrer en France, espérant se rendre utile à ses concitoyens.

À Pantin, il ne participa pas directement à la rédaction du cahier de doléances de la commune mais il participa à la rédaction du cahier de la noblesse du baillage de Meaux qui préconise notamment l'égalité devant l'impôt, la séparation du législatif et de l'exécutif, la liberté de la presse.

Il écrivit brochures sur brochures en faveur des réformes. Comme le note Lacretelle, « sorti des calamités domestiques, il s'était jeté dans les intérêts politiques et la Révolution se trouva là pour agiter sa tête et bouleverser sa vie ».

Le comte de Sanois approuva d'abord les premières mesures prises par la Révolution, tout en réprouvant les excès commis. Mais il n'accepta pas la constitution civile du clergé et réprouva surtout l'abolition de la noblesse héréditaire. Après l'arrestation du roi à Varennes, reniant tout ce qu'il avait accepté, il ne reconnut plus le principe d'égalité, resta attaché auxtraditions et à la religion. Sa déception devant l'évolution des évènements se ressent dans ses écrits quand il évoque les événements de Pantin. Face à cette situation, le comte de Sanois résuma sa position dans son Serment d'un citoyen actif de la monarchie française où il renouvela sa fidélité au roi et à la religion. Après Varennes, il décida d'émigrer, mais il revint l'année suivante à Paris. Réfugié à Rouen, il y fit un bref séjour en prison avant d'être relâché. Se résignant à revenir dans la région parisienne, il fut à nouveau emprisonné quelques mois pour un écrit séditieux…

Ses dernières années se passent dans le dénuement et la solitude. Il se réfugia dans la religion tout en continuant à harceler sa femme et sa fille de ses imprécations.

Jean-François Geffrard mourut à Paris d'hydropisie le 12 février 1799 à l'âge de 76 ans.

Fantasque et imprévisible, vindicatif envers ses ennemis mais fidèle en amitié, tantôt victime, tantôt vainqueur de la calomnie, « ami de la concorde » mais capable aussi de violence, plaideur impénitent toujours sûr de son bon droit, le comte de Sanois possèdait une personnalité complexe et originale. Grisé par la notoriété que lui avait apportée le procès contre son épouse, il profita du vent des réformes pour exposer ses idées. Il diffusa jusqu'à sa mort une cinquantaine de brochures politiques où figurent nombre de témoignages biographiques.


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