Le Clézio : J'appartiens à cette nation

Dépêche publié le 9/10/08 7:03 dans La diaspora par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Le Clézio : couverture du roman "Ailleurs". Éditions Arléa.

Le prix Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain d'origine bretonne Jean-Marie Le Clézio pour son œuvre «de la rupture», a annoncé ce matin l'Académie suédoise.

Jean-Marie Le Clézio est né le 13 avril 1940 à Nice, d'une famille émigrée à l'Île Maurice au XVIIIe siècle. Une famille deux fois déracinée. Son père était un médecin de brousse anglais, d'origine bretonne comme sa mère qui porte le même nom que son père. Il est bilingue français-anglais. Citoyen français, il a aussi demandé et obtenA la citoyenneté de la République de Maurice mais réside le plus souvent aux États-Unis. Le Clézio est un citoyen du monde et, selon les mots de l'Académie suédoise, un «explorateur d'une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante». Il n'est pas un prix Nobel français, mais un prix Nobel de la langue française, car non seulement Le Clézio a plusieurs citoyennetés, mais il se réclame de la nation bretonne.

À noter qu'en 2004, Jean-Marie Le Clézio, avait signé la pétition pour la langue bretonne initiée par Caroline Ollivro.

« J'appartiens à cette nation » c'est ainsi que Jean-Marie Le Clezio déclara avec pudeur son attachement viscéral à la Bretagne lors d'une interview à Saint-Malo au Festival Etonnants voyageurs en 2002. «Voilà qui est clair pour un écrivain universel, chantre du multiculturalisme et avocat des peuples niés.» a écrit Hubert Chémereau, qui l'a proposé pour l'ordre du Collier de l'Hermine cuvée 2009.

En 2007, il déclarait dans Télérama n° 2993 « Mon imaginaire d'enfance est très lié à la Bretagne, où je passais mes étés, et dont est originaire ma famille, du côté maternel comme du côté paternel. Ma famille a immigré à l'Île Maurice au XVIIIe siècle, mais elle avait gardé par-delà les générations la conviction que la Bretagne était son lieu, sa terre d'attache, son refuge. Cet attachement familial intense explique sans doute que pour moi, aujourd'hui encore, en Bretagne, le soleil n'a pas l'air d'être le même qu'ailleurs, la mer semble habitée, tout comme la lande. Lorsque j'étais enfant, j'étais insomniaque, et il m'arrivait de marcher seul dans la lande la nuit, d'y éprouver comme une présence souterraine, un illogisme, une magie. Je crois vraiment que ce que j'ai pu sentir au Vanuatu, mais aussi auprès des Indiens du Mexique et d'Amérique du Nord, je l'avais senti déjà, il y a cinquante ans, en marchant la nuit dans la lande bretonne. »

Après tant de longues errances poétiques ou anthropologiques, de vision-quests amérindiennes, d'itinéraires bardiques, du désert du Mexique au Sahara, Le Clézio est finalement venu poser son sac à dos usé dans une maison face à la mer prés de Douarnenez, à Poullan-sur-Mer, où il réside quand il n'est pas à Albuquerque au Nouveau Mexique. Il est professeur de français à l'université d'Albuquerque – comme cet autre grand écrivain breton, Paol Keineg, qui lui, enseigne à l'université de Duke en Caroline du Nord.

Le Clézio est l'esprit même de la diaspora bretonne qui ouvre fraternellement ses bras au monde des peuples et des civilisations déchues pour remplir un vide et compenser l'injustice fondamentale laissée par la séparation d'un pays perdu et mythique. Tous ses personnages sont des exilés et tous ses lieux sont ceux de minorités. Sa critique est celle des cultures dominantes et donc destructrices.

Son œuvre gigantesque comprend une cinquantaine de romans dont «La fièvre», «L'extase matérielle», «Terra amata», «Le livre des fuites», «La guerre», «Désert» , «Le chercheur d'or», «Onitsha», «Étoile errante», «Le poisson d'or», «Révolutions», «Ourania» et, en 2008, «Ritournelle de la faim». «Révolutions» est le livre dans lequel il parle le plus de ses origines bretonnes.

Jean-Marie Le Clézio recevra un chèque de 1,02 million d'euros, le 10 décembre à Stockholm.

Philippe Argouarch


Vos commentaires :
Hubert Chémereau
Vendredi 15 novembre 2024
À lire ou à relire de Jean-Marie Gustave Le Clézio : “Révolutions”, Gallimard, 2003 (Coll. Blanche). 554 p.

En exergue : “Avel, avelioù , holl avel”

Jean [le personnage], sur les traces de ses ancêtres bretons, découvre Saint-Aubin-du-Cormier. Il demande la direction de la Lande de la Rencontre à des hommes dans un bistro. Constatant leur ignorance sur ce lieu marquant de la nation bretonne :

Extraits :

(p. 535) “Ça ne les intéressait pas. Ils ne pouvaient pas imaginer qu'ici, dans ce coin tranquille, le 28 juillet 1488 l'histoire de leur pays a changé”.../...

(p.536) “Ici, dans la journée du 28 juillet 1488, après un combat acharné, les Bretons ont perdu leur indépendance.” …/…

(p. 537) “Les cris de colère, « Samson ! Samson ! » et aussi « Warraok ! »… Et puis, quand la cavalerie française a pris les Bretons à rebours, face au soleil, la fuite dans la forêt, les guerriers luttant dos aux arbres, jusqu'au bout, mourant cloués dans la terre humide, et ceux que les soldats français débusquaient dans les fourrés, les valets, les cuisiniers, les palefreniers, tués sans pitié à coup de hache et de dague.” .../...

“C'est ici, au cœur de la forêt, que tout a été terminé. S'est ensuivi l'effondrement économique et moral de la Bretagne. Le pays avait vécu libre, commerçant avec ses alliés du nord, l'Angleterre, l'Allemagne, et avec l'Espagne, le Portugal”.../...

“Après cette bataille, la Bretagne est devenue une terre soumise, corvéable, la partie la plus lointaine et la plus abandonnée du royaume qui l'avait conquis.” .../...

(p. 568) “Jean a marché sur la terre imprégnée du sang des soldats massacrés. Entre les arbres, à l'autre bout de la lande d'Ouée, brille l'eau du marécage. Le soleil est très doux en cette fin d'après-midi, comme il a dû l'être au soir de la bataille. Un oiseau solitaire lance son cri monotone qui troue le silence d'un ''ui ? ui ?'' Le silence recouvre la lande, le silence recouvre l'histoire.”

À différentes reprises l'auteur décrit la politique d'éradication de la langue bretonne par la France au moment de la Révolution de 1789 et la brutalité de l'armée française qui, en terrorisant les campagnes bretonnes, va détourner les Bretons de la Révolution.

Oui, J.-M.-G. Le Clézio est des nôtres comme il le ressent lui-même en déclarant « J'appartiens à cette nation ».

Hubert Chémereau


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