Le centralisme et le compromis

Chronique publié le 10/07/24 23:29 dans par pour

La vétusté des institutions et la maladie chronique qu’est le centralisme rendent impossible que s’impose l’idée du compromis qui est pourtant un élément constitutif de la démocratie.

C’est un peu comme après le COVID ! Rien ne devait être comme avant, et pourtant ! Tout semble comme avant.

On se disait que, d’être passé si près de la catastrophe, le fameux adage « rien ne sera plus comme avant ! » serait bien compris et mis en application. Rien de tout ça ! Tout est bien comme avant !

Certes les commentaires sur la désuétude des règles instituées depuis 1958 vont bon train, mais en vain.

On disserte sur le fait que le président de la République est maintenant hors-jeu, ou on fait semblant de le croire. On se dit qu’il va falloir faire des compromis mais le compromis ne peut exister quand on pense qu’il doit être fait par les autres.

Chacun reste sur ses positions, ses présupposés, ses préjugés et sa victoire. Oui parce que tout le monde a gagné ! Ou pour le moins personne n’a perdu autant qu’il aurait pu perdre.

On a même entendu parlé de la nécessité de mettre de la proportionnelle dans les rouages. Mais ne le dit-on pas régulièrement sans jamais le faire ?

Certains disent même que le résultat du deuxième tour de l’élection législative c’est déjà comme si on avait de la proportionnelle. Il faut vraiment n’avoir rien à dire pour laisser croire que ce résultat est une forme de proportionnelle spontanée.

Compromis et autonomies

Le thème « on a tout essayé alors on pourrait essayer ceux-là ! » a eu bien du succès avant le premier tour et entre les deux tours.

Ce serait plutôt bien de reprendre ce thème, mais à propos des institutions.

Il y a en effet quelque chose que l’on a pas encore essayé : le fédéralisme. Un pouvoir qui ne serait pas limité à Paris et à ses environs. Cela permettrait de garder l’équilibre, de ne pas toujours être sur la corde raide.

Depuis le début de la séquence électorale (européennes et législatives) le grand gagnant c’est le centralisme. Il est présent, puissant, omnipotent que ce soit dans les médias ou dans les décisions politiques. Toutes les négociations pour la constitution des listes aux européennes, les négociations pour les candidatures aux législatives dans le choix des candidats ont été menées par les responsables parisiens. A gauche comme à droite on pouvait entendre « c’est Paris qui décide ». C’était la phrase qui servait d’excuse aux uns et aux autres pour justifier leurs renoncements.

Jamais le centralisme n’a été aussi puissant. Quelques médias (trois ou quatre) font l’actualité et font la notoriété de telle ou tel. La presse régionale joue un rôle secondaire et les politiques locaux sont au téléphone avec leurs responsables parisiens pour savoir quoi faire et quoi dire.

Quelques petites centaines de personnes (environ cinq mille, taille de la classe dominante en France qui se pare du mot « élites ») font la pluie et le beau temps. Ils sont dans les cercles du pouvoir législatif et exécutif, dans les médias et dans la haute administration. C’est ainsi que fonctionne la France de 2024, comme celle d’avant. Disons plutôt que c’est ainsi qu’elle a bien du mal à savoir comment elle pourra continuer à fonctionner.

La classe dominante a beau retourner le mot « compromis » dans tous les sens, elle n’arrive pas à savoir si elle en comprend le sens.

Selon certains ce ne serait pas possible en France même si c’est possible dans bon nombre de démocraties parlementaires d’Europe. Encore l’exception française !

Personne ne veut évoquer le fait que les démocraties qui connaissent le compromis sont aussi et surtout des pays fédéraux, avec des régions autonomes.

Et les autres, comment font-ils ?

C’est en effet cette construction qui permet le compromis, même quand il est douloureux. Demandez à Pedro Sanchez en Espagne si c’est avec joie et bonheur qu’il doit gouverner et négocier avec des indépendantistes catalans ! Regardez comme le Parti Nationaliste Basque arrive toujours à trouver et négocier un compromis avec les socialistes (ou avec les autres) pour rester au pouvoir en Euskadi en échange d’un soutien aux Cortes de Madrid. Quant aux Allemands qui trouvent des compromis pour constituer un gouvernement fédéral il ne fait aucun doute que le poids du pouvoir des länder y est pour quelque chose. Et que dire de ces Belges, que l’on raille, et qui purent passer 500 jours sans gouvernement fédéral. Pourtant le pays ne s’était pas effondré. Le pouvoir était partagé et donc la crise en était amortie. Faut-il parler des autres : Canada, Suisse… ?

Mais chez nous, pas de ça ! On veut tout régler à Paris et chaque crise devient une super crise dans une toute petite famille.

Si le pouvoir central change de main, tout est donné au vainqueur. Et cette fois-ci, on a eu chaud. Et si l’on continue comme ça, nous aurons d’autres raisons d’avoir peur.

Crise institutionnelle

Alors, si l’idée de réformer les institutions arrive encore à se faire une place dans les débats actuels, il faut espérer que l’on arrivera à faire passer le message qu’il y a une chose que l’on a pas encore essayée et qui est le fédéralisme, forme de la démocratie qui est en vigueur dans un très grand nombre de pays. Parce que nous sommes dans une crise institutionnelle que l’on veut de toutes parts faire passer pour une crise qui ne serait qu’idéologique. Elle l’est aussi mais pas seulement. Les institutions nous disent aussi quelque chose ; et ce qu’elles disent aujourd’hui est inquiétant.

Mais peut-on espérer d’un centre hypertrophié, d’un centre qui n’a aucun intérêt à lâcher quoi que ce soit, que cette proposition de changement soit mise sur la table ? Peut-on espérer d’une périphérie (classe politique et territoires confondus) biberonnés au centralisme et souvent soumis, que l’autonomie des territoires fasse partie des propositions qu’elle devrait être capable de faire ? Ce sera difficile, compliqué. Mais notre devoir est de dire à ceux pour qui nous avons voté pour éviter le pire, qu’on ne refera pas du neuf avec des institutions vieillottes, désuètes. Si l’on veut que des électeurs, qui se sentent dessaisis des décisions qui les concernent, ne soient pas tentés « d’essayer » le centralisme dans les mains de l’extrême droite, proposons alors un pouvoir mieux réparti. Voter ne sera pas à chaque élection un drame pouvant se transformer en tragédie. L’existence de pouvoirs régionaux autonomes sera un moyen de créer de vrais pouvoirs d’équilibre, d’éviter la dramatisation. Il ne s’agit pas de contre pouvoirs mais bien d’équilibre. Ce sera, comme c’est le cas chez tous ceux qui pratiquent le fédéralisme, une façon d’amortir la violence des chocs.

C’est la panique quand on perd le pouvoir à Paris parce que l’on perd tout. C’est avec cette logique qu’il faut en finir.

David Grosclaude

*On ne prend pas assez la mesure du mal que fait le centralisme des médias parce qu’on y est habitué, que cela fait partie de notre culture politique et surtout de la façon dont deux ou trois générations ont été socialisées.

Ce communiqué est paru sur David Grosclaude


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