LBDH : Réforme de l'instruction judiciaire, pour garantir un procès équitable il faut accorder de

Communiqué de presse publié le 5/02/09 3:15 dans Justice et injustices par Michel Herjean pour Michel Herjean

La frénésie de Nicolas Sarkozy à vouloir tout réformer l'a amené à déclarer qu'il fallait supprimer le juge d'instruction. Pourquoi pas, si c'est pour améliorer le système judiciaire ? De nombreux avocats ou magistrats sont favorables à une telle réforme sous certaines conditions.

L'ébauche de la réforme présentée par le chef de l'État transférerait les prérogatives du juge d'instruction au parquet sans assurer le préalable indispensable à une telle évolution, à savoir l'indépendance des procureurs.

Demain si on supprime le juge d'instruction, magistrat en principe indépendant, on transfère les affaires, les plus complexes et les plus sensibles donc également les plus politiques, à un magistrat du parquet qui, lui, dépendrait toujours du pouvoir politique. Les magistrats du parquet sont hiérarchiquement soumis au ministère de la Justice. L'absence du juge d'instruction renforcera le pouvoir du parquet mais aussi celui de la police : une véritable prise en main de l'institution judiciaire et un total contrôle de son action par le pouvoir politique.

Aujourd'hui force est de reconnaître que l'instruction, même si elle n'est mise en œuvre que dans un faible pourcentage d'affaires (5 à 6 %), crée autant de problèmes qu'elle n'apporte de solutions. À ce titre, estimer que le juge d'instruction travaille à la recherche de la vérité et donc qu'il enquête forcément à charge et à décharge, relève plus «du vœu pieux que du réalisme». C'est ce que l'on a pu constater dans des affaires comme celle d'Outreau ou plus généralement dans celles instruites par la quatorzième section du parquet de Paris (1).

Par contre – c'est une certitude – la réforme annoncée par N. Sarkozy sonne le glas des affaires politico-financières, affaires qui enquiquinent régulièrement le pouvoir politique. Dans la solution que propose le président de la République, toutes les enquêtes seront confiées au parquet donc à l'appréciation de la chancellerie. Aucune précision sur le rôle et les droits que pourraient avoir les avocats de la défense pour compenser une hégémonie de l'accusation. Aucune précision non plus sur l'encadrement des droits des parties civiles qui, le plus souvent aujourd'hui, confondent justice et vengeance et influencent dans cette dernière direction les décisions de justice.

Dans le contexte actuel où les priorités des gouvernants sont l'ultra sécurité, on s'achemine plutôt, à travers cette réforme, vers une nouvelle régression des libertés individuelles. «Renforcer la prédominance du pouvoir politique dans les affaires de justice ne peut que nuire à l'état de droit puisque c'est ce même pouvoir politique qui apprécie la raison d'État, cause principale des atteintes aux droits de l'Homme.»


Ailleurs, des exemples de l'instruction judicaire

Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, l'enquête menée à charge par un procureur et par la police vise à apporter des preuves de la culpabilité d'un suspect. La défense réalise au besoin une contre-enquête, notamment si elle entend plaider non-coupable. L'enquête préliminaire est courte. La détention provisoire est imposée moins systématiquement que dans le système judiciaire français. C'est au procès que tout se joue dans une confrontation de deux logiques opposées.

En Espagne comme en France ou en Belgique, un juge d'instruction est censé rechercher la vérité en enquêtant à charge et à décharge, son dossier, accessible aux parties si elles en font la demande, sert ensuite de base au procès pénal.

L'Italie et l'Allemagne ont, pour leur part, abandonné le juge d'instruction pour un système mixte, dans lequel le procureur, indépendant en Italie ou dépendant de l'exécutif en Allemagne, mène l'enquête à charge et à décharge sous le contrôle d'un juge garant de l'équité de la procédure. Dans tous les cas, et contrairement à ce que prévoit M. Sarkozy pour la France, la défense a également la possibilité de mener sa propre contre-enquête.


Pour la LBDH une réforme de l'instruction est nécessaire. Avec ou sans juge d'instruction, elle devra donner un réel pouvoir de contre-enquête aux avocats de la défense, s'ils le désirent, afin de garantir un procès équitable. Un fonds de garantie devra être créé par l'État afin d'assurer aux plus démunis le financement de cette enquête dans les mêmes proportions que les dépenses accordées au ministère public.

Pour la LBDH, M. Herjean

(1) La section anti-terroriste. Des militants bretons basques ou corses sont régulièrement confrontés à cette juridiction.


Vos commentaires :
Charles Rouxel
Vendredi 27 septembre 2024
Il n'y a pas que l'affaire d'Outreau qui mette en question le statut du Juge d'Instruction : pensez aux affaires de la Vologne, ou de Bruay, entre beaucoup d'autres. Les droits du Juge d'instruction, dans la conduite de l'enquête, sont très étendus, et sa référence pour disposer de la liberté des «justiciables» (notez ce mot : il n'est pas question ici de libres citoyens) est … son «intime conviction», notion floue, qui s'accommode de l'incertitude. Dire que sa suppression, qui place l'enquête aux bons soins du parquet, mettra les politiques à l'abri de poursuites contre leurs malversations, me paraît une vue superficielle, pour deux raisons : (1) Le juge d'instruction, dans le système actuel n'a aucun droit de s'autosaisir d'une affaire : il doit en être expressément saisi par le Procureur de la république, qui est soumis au Parquet et (2) Les politiques de tout bord sont, dans le système actuel, bien protégé de la sévérité des Tribunaux : en connaissez vous un seul qui ait été vraiment lourdement condamné pour des malversations ? Mais le vrai problème est celui de la procédure. Nous vivons sous le système de la procédure inquisitoire, système moyenâgeux, cher aux tribunaux ecclésiastiques : c'est le système immédiatement institué par tous les systèmes totalitaires (fasciste, nazi, marxistes, militaires ou théocratiques), dès leur prise de pouvoir. En France même, c'est le Premier Consul qui l'a institué et il s'est déclaré lui-même investi à cette époque de pouvoirs dictatoriaux (voir le Mémorial de Ste Hélène à la date du 16 novembre 1816). On oublie trop en France que les trois constitutions issues de la révolution (1791, 1793 et 1795) instituaient toutes la procédure accusatoire. Le Consulat a sur ce point consacré une régression, naturellement perpétuée sous l'Empire, puis sous les monarchies qui lui ont succédé : nos républiques ont emboité le pas par routine. Dans le système accusatoire, un procès criminel se déroule en deux phases : (1) l'audience préliminaire, contradictoire, qui ne juge pas sur le fond : elle examine seulement si l'enquêteur a réuni des motifs de suspicion suffisants pour incriminer celui qu'elle accuse, et sur la nécessité de priver ce libre citoyen de sa liberté. C'est en général un jury qui en décide. L'homme libre échappe ainsi à l'arbitraire d'un homme ou d'un système ; (2) l'audience de jugement, contradictoire qui décide sur le fond, pour condamner ou relaxer, encore cette fois sur la conviction non d'un homme, mais d'un jury. Dans toute l'Europe, il ne reste plus aujourd'hui que la Belgique et la France qui entretiennent le système napoléonien dont elles ont hérité. Les derniers cantons suisses qui l'avaient conservé l'ont abandonné en 2007. Notre système judiciaire souffre de bien d'autres imperfections que celle de sa procédure ! Mais celle-là au moins, peut être facilement corrigée : je trouverais personnellement savoureux que ce soit celui que l'on qualifie aujourd'hui de Premier Consul qui enterre la mauvaise action de son illustre prédécesseur, et réhabilite le choix des pères de la Révolution !

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