L'image qui m'était restée de « George Sand » est celle d'une excentrique et d'une amoureuse, auteure de romans agréables, sentimentaux et un peu mièvres : la Mare au Diable, François le Champi, etc. En lisant ces monumentales Mémoires, que constituent les trois tomes de l'« Histoire de ma vie » (1), on découvre un personnage de premier plan, une femme remarquable d'intelligence, sincère, idéaliste, très investie dans les débats d'idées, douée pour l'introspection, excentrique par nécessité plus que par goût, et souvent garde-malade de ses fabuleux amants ... « Alfred de Musset » puis « Chopin » !
Excentrique par nécessité car elle voulait pénétrer partout sans entraves :
- Je regardai à cette époque, dans les arts et dans la politique, .... je contemplai ce spectacle de tous les points où je pus me placer, dans les coulisses et sur la scène, aux loges et au parterre. Je montai à tous les étages : du club à l'atelier, du café à la mansarde, Histoire de ma vie, T2.
Bien qu'élevée par une grand-mère pénétrée de l'esprit des Lumières, « Rousseau » était proche de la famille Dupin, George Sand croyait, surtout aux « Evangiles » … Voici ce qu'elle écrit au curé de sa paroisse :
- Le jour où vous prêcherez purement et simplement l'Évangile de saint Jean … sans faux commentaire et sans concessions aux puissances de ce monde, j'irai à vos sermons, monsieur le curé. Correspondance de George Sand
Sociable, amicale, amoureuse, George Sand ne pouvait que se rapprocher des personnages influents du siècle et particulièrement des trois Bretons les plus éminents de son époque : Lamennais, Renan, et Chateaubriand.
« Lamennais »
Voici le portrait qu'elle en fait :
- M. Lamennais, petit, maigre et souffreteux, n'avait qu'un faible souffle de vie dans la poitrine. Mais quel rayon dans sa tête ! Son nez était trop proéminent pour sa petite taille et pour sa figure étroite. Sans ce nez disproportionné, son visage eût été beau. L'½il clair lançait des flammes; le front droit et sillonné de grands plis verticaux, indices d'ardeur dans la volonté, la bouche souriante et le masque mobile sous une apparence de contraction austère, c'était une tête fortement caractérisée pour la vie de renoncement, de contemplation et de prédication. Toute sa personne, ses manières simples, ses mouvements brusques, ses attitudes gauches, sa gaieté franche, ses obstinations emportées, ses soudaines bonhomies, tout en lui, jusqu'à ses gros habits propres, mais pauvres, et à ses bas bleus, sentait le cloarek breton. Il ne fallait pas longtemps pour être saisi de respect et d'affection pour cette âme courageuse et candide. Il se révélait tout de suite et tout entier, brillant comme l'or et simple comme la nature. « Histoire de ma vie,T3
- Nous vous comptons parmi nos saints … vous êtes le père de notre Église nouvelle.
- M. Lamennais m'avait invitée à aller passer quelques jours à la « Chênaie ». Histoire de ma vie, T3
George Sand se met en route puis se ravise car dit-elle :
- Me demandant ce que j'allais faire là, moi si gauche, si muette, si ennuyeuse ! Oser lui demander une heure de son temps précieux, c'était déjà beaucoup, et à Paris il m'en avait accordé quelques-unes; mais aller lui prendre des jours entiers, c'est ce que je n'osai pas accepter. Histoire de ma vie, T3
« Ernest Renan »
L'auteur des remarquables « Vie de Jésus » et « Souvenirs d'enfance et de jeunesse », admirait le roman Spiridion (2) de George Sand :
- Votre Spiridion, que j'ai lu au séminaire ... est devenu une image essentielle de mes rêves religieux
De la « Vie de Jésus », Sand disait :
- Je crois que M. Renan a fait le livre le plus utile qui pût être fait en ce moment-ci. Correspondance t4
Mais cette femme sagace n'est pas entièrement convaincue :
- J'aurais beaucoup à dire sur les artifices du langage de M. Renan. Il faut être courageux pour se plaindre d'une forme si admirablement belle. Mais elle est trop séduisante et pas assez nette, quand elle s'efforce de laisser un voile sur le degré, le mode de divinité qu'il faut attribuer à Jésus. Il y a des traits de lumière vive dans l'ouvrage,qui empêchent un esprit attentif de s'égarer. Mais il y a aussi trop d'efforts charmants et puérils pour endormir la clairvoyance des esprits prévenus, et pour sauver d'une main ce qu'il détruit de l'autre. Correspondance t4.
Amie de «Gustave Flaubert», George Sand fut la seule femme admise aux dîners Magny (4), où elle retrouve Théophile Gautier, Jules et Edmond Goncourt, Sainte-Beuve, Taine… Wikipedia.
Elle note lors de son premier dîner Magny, le 12 février 1866 :
- On paie dix francs par tête, le dîner est médiocre, on fume beaucoup, on parle en criant à tue-tête et chacun s'en va comme il veut.
A propos de Sand, Renan raconte (3) :
- Madame Sand, qui m'aimait beaucoup, me pria un jour au Magny; elle voulait qu'en dînant je séduisisse son ami Gautier (Théophile). Nous passâmes deux heures d'une fine intimité d'esprit. J'admirais Gautier. etc
- Madame Sand demanda à « Gautier » comment il m'avait trouvé. Il répondit : «Renan, c'est un calotin». Il avait bien raison. J'ai (dit Renan) toujours rêvé de m'enfermer dans une oeuvre idéale. J'ai fait ma vie pauvre, pleine d'émotions intimes, exempte des soucis matériels et des influences extérieures. Tandis que d'autres passaient superbes de vie, livrés aux tourments et aux jouissances, peut-être quelquefois ai-je trop admiré leur sang si chaud et leur jeunesse orgueilleuse. Mais j'ai bien vite reconnu, sous la magnificence de leurs attitudes, l'ignominie du siècle, la tristesse de tous les désirs. Je m'en suis tenu aux choses de l'âme, je suis un prêtre... »
A la mort de Sand, en 1876, Ernest Renan écrira :
- Ses oeuvres sont vraiment l'écho de notre siècle ... Ses livres ont les promesses de l'immortalité, parce qu'ils seront à jamais le témoin de ce que nous avons désiré, pensé, senti, souffert».
« Chateaubriand »
Dans sa jeunesse George Sand traversa une période de mysticisme, puis étant revenue de « L'imitation de Jésus Christ » qui lui décrivait une foi par trop égoïste, elle trouva plus de sentiments et d'humanité chez Chateaubriand.
- Nous (George Sand et sa grand mère) passâmes ensemble les dernières soirées de février, à lire une partie du « Génie du Christianisme » de « Chateaubriand ». Elle n'aimait pas cette forme et le fond lui paraissait faux. Histoire de ma vie,T2
L'appréciation de George Sand est mitigée
- Chateaubriand l'homme de sentiment et d'enthousiasme, devenait mon prêtre et mon initiateur. Je ne voyais pas le poète sceptique, l'homme de la gloire mondaine, sous ce catholique dégénéré des temps modernes. M. de Chateaubriand, dans ses brochures que je lisais avidement, identifiait aussi le trône et l'autel; mais cela ne m'avait pas influencée notablement. Chateaubriand me touchait comme littérateur, et ne me pénétrait pas comme chrétien. Histoire de ma vie,T2
Mais sur le plan de la sincérité, Chateaubriand ne pouvait se mesurer à Lamennais. auquel George Sand vouait une vraie admiration.
Et quelques autres Bretons ...
« Hersart de la Villemarqué »
Il publie le Barzaz Breiz en 1839. George Sand exprime son admiration pour « les diamants du Barzaz Breiz », lors de la parution de la seconde édition en 1845, et invente à ce propos le concept de littérature orale, le comparant à l'Iliade d'Homère, et jugeant même le chant breton supérieur au récit antique. Wikipédia.
George Sand déclara tout de go que, devant « ces chants sublimes », les écrivains français étaient « comme des nains devant des géants », «Charles le Goffic».
L'oeuvre fut très attaquée car jugée inauthentique, mais comme l'écrit « Charles le Goffic » dans « L'âme bretonne » :
- le Barzaz, en tout état de cause, reste un chef-d'½uvre. Aucune des quatre grandes littératures celtiques n'a rien produit de plus beau.
« De La Tour d'Auvergne »
Le père de George Sand, de tempérament artiste, fit néanmoins une carrière militaire, qu'il débuta sur les recommandations du « premier grenadier de la république », le Carhaisien, Malo Corret de la Tour d'Auvergne. Voici ce qu'il en dit :
- (Beaumont) m'a présenté au brave M. de « La Tour d'Auvergne », qui par son intrépidité, ses talents, sa modestie, est digne d'être le « Turenne » de ce temps-ci. M. de La Tour-d'Auvergne, ce héros que je pleure, fut de mon avis quand je lui parlai ainsi; il me trouva tout aussi bon patriote que lui-même, malgré mon grain d'ambition et tes sollicitudes maternelles. Sa modestie m'a fait surtout une impression que je n'oublierai jamais, et que, toute ma vie, je me proposerai pour modèle. La vanité gâte le mérite des plus belles actions. La simplicité, un silence délicat sur soi-même en rehaussent le prix et font aimer ceux qu'on admire. Hélas! il n'est plus! Il a trouvé une mort glorieuse et digne de lui. Tu ne le maudis plus maintenant, et tu le regrettes avec moi ! Histoire de ma vie, T1
A la mort de George Sand, «Victor Hugo» écrit, « Je salue une immortelle. Je l'ai aimée, je l'ai admirée, je l'ai vénérée » et son ami Flaubert « pleura comme un veau ».
« Notes »
1. Histoire de ma vie, disponible sur (voir le site)
3. Propos de Renan : (voir le site)
5. A propos de Renan, lire aussi la Correspondance de Sand, t4 (voir le site)
6. Le Massif Armoricain : Chateaubriand, Lamennais, Renan … (voir le site)
7. image : George Sand vers 1835. Pastel de Charles Louis Gratia. Collection particulière.
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