Les Kurdes sont en train de gagner la bataille de Kobanê, au Kurdistan syrien (Rojava) avec l'aide de la coalition internationale. Les frappes de l'aviation américaine ont réussi à couper les lignes de ravitaillement des djihadistes de Daesh (acronyme arabe du prétendu État islamique en Irak et au Levant) et à perturber leur chaîne de commandement. Massoud Barzani président du Kurdistan irakien a fait le geste de solidarité qu'on attendait en envoyant 150 de ses peshmergas, mais le combat au sol est pour l'essentiel l'½uvre des combattants et combattantes kurdes du PYD, Parti de l'union démocratique de Rojava, et du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan de Turquie. On comprend mieux l'hostilité affichée de la Turquie, quand on sait que le PYD a mis en place dans les trois cantons du Kurdistan syrien un mode de gouvernance, celui-là même préconisé par le KCK («Union des Communautés du Kurdistan») que la Turquie accuse d'être «la branche politique du PKK» considéré comme une organisation terroriste.
Les Kurdes de Syrie ont eu, eux aussi, leur «printemps» avec un mouvement révolutionnaire commencé réellement le 15 mars 2011 et gagnant progressivement tout le pays. La date qui a été finalement retenue pour célébrer la mise en place d'un système appelé «autonomie démocratique» est le 19 juillet 2012, jour de la prise de pouvoir à Kobanê. Ce concept – démocratie, socialisme, écologie, féminisme – adopté par l'Assemblée législative du Rojava, permet à chaque canton d'élire des assemblées citoyennes décentralisées et de se doter de structures de gouvernance incluant toutes les nationalités et toutes les religions. La laïcité est implicitement respectée. Au trio «capitalisme, Etat-nation, productivisme», le mouvement propose une alternative qu'on peut définir par «nation démocratique», «économie communautaire» et «industrie écologique». Une organisation politique et administrative est mise en place pour la gestion des différents secteurs (éducation, culture, social, santé, économie...) protégée par des unités de combattants et de combattantes qui font face avec courage à une situation inédite.
Juriste, basé à Paris, Khaled Issa, représentant en France le PYD, enchaine les interviews, les conférences, les réunions. Avant hier à Grenoble, hier à Marseille, aujourd'hui à Rome. Il répond aux sollicitations des rédactions et des organisateurs de débats en présentant une situation complexe dans laquelle se joue l'avenir du Moyen Orient, au centre duquel se trouvent les Kurdes, sorte de «pion intouchable» sur l'échiquier régional dans une situation qu'aucun joueur d'échecs n'oserait toucher sous peine de rompre un équilibre et de plonger vers l'imprévisible. L'invasion des djihadistes de Daesh révèle l'ampleur de la crise. Le modèle social d'autonomie démocratique mis en place au Kurdistan syrien par le PYD peut être, Khaled Issa en est certain, une réponse non seulement pour les Kurdes mais aussi pour les autres peuples de la région qui voudraient s'en inspirer. Khaled Issa avertit aussi : une guerre ouverte contre les Kurdes ne serait pas sans conséquences, visant en particulier le président turc R. T. Erdoğan qui rêve d'envahir Rojava, une folie pour la Turquie même qui compte près de vingt millions de Kurdes. Il demande aux pays membres de l'OTAN « d'obliger le président turc à choisir son camp».
André Métayer
■