La prophétie de Gwenc'hlan

Chronique publié le 17/01/19 10:24 dans Littérature par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean

Le roman La prophétie de Gwenc'hlan (1)de Per Denez, paru chez Al Liamm en 1979, est un petit bijou. L'histoire se déroule au Pays de Galles. « Le héros », un homme ordinaire, mène une vie routinière et parfaitement réglée comme les nombreuses horloges qui l'entourent dont il s'est entiché. Son commerce ne l'occupant pas suffisamment, il entame des recherches généalogiques tandis qu'à ses cotés, sa femme tricote inlassablement le même modèle de tricot que sa famille finit par haïr … le cœur (du mari) bat au rythme apaisant des aiguilles … puis l'insolite pénètre petit à petit le quotidien et la félicité conjugale. Notre héros découvre un ascendant qui lui ressemble trait pour trait et porte le même nom ... puis une horloge s’arrête, l'ancêtre devient un double inquiétant, l'alarme se met à hurler sans raisons … l'étrange envahit la maison et avance à pas de loup. Vers la fin du récit l'épisode des corbeaux, ces messagers énigmatiques, évoque une atmosphère lourde, un signe du destin, le dérèglement de l'ordinaire des jours. Per Denez construit avec humour un récit, qui, de digressions en digressions, progresse néanmoins vers l’inéluctable.

Voici l'épisode des corbeaux, page 122 et suivantes :

Je ne sais quand précisément, sans doute vers le milieu de l'été, les corbeaux prirent des habitudes nouvelles. J'ai déjà dit qu'ils avaient coutume de se percher vers le haut du jardin, chacun dans son arbre, et de s’envoyer, de temps à autre, des bribes de récriminations coléreuses, comme des vieilles filles incapables de s'entendre et encore moins de se quitter, ayant trouvé dans leurs querelles une raison de vivre ensemble.

Donc ces deux corbeaux commencèrent de se poser sur l'appui de la fenêtre, l'un près de l'autre, comme si, l'un et l'autre attendaient la même chose. Ils restaient ainsi, derrière les vitres, au clair de lune, fermes, immobiles, ne faisant rien d'autre que me contempler, avec, au fond de leurs yeux froids et intelligents, la lueur bleutée d'un sombre avenir.

Une nuit, je songeais à quelques vers d'une gwerz chanté par le peuple. Pour briser un charme, une jeune fille ensorcelée devait « faucher des fougères à la St Jean, posséder le cœur d'un crapaud et l’œil d'un Malvran » (2). Vois ! ce sont peut être des Malvran ?, l'un et l'autre identiques, l'une et l'autre peut être, avec leur duvet de plumes, ou de poils … long et gris à la naissance noirâtre du bec. Des sortes de moustaches, et je ris, vraiment, en songeant que je les comparais à deux vieilles filles. Ce sont donc des Malvran, avec cet œil bleu, il y a moyen de … ce vieux gwerz m'incite à rester sur mes gardes. L'un des corbeaux me présente invariablement son œil gauche, l'autre, le droit. Ainsi, l'un près de l'autre, l'un pareil à l'autre, l'un tournant sa tête à droite, l'autre à gauche, ils paraissent deux chiens de porcelaine galloise, posés sur la cheminée, immobiles, imperturbables, la vie réfugiée dans leurs yeux, reflétant la science du bien et du mal.

J'en vins à les baptiser, John pour le « corbeau à l'oeil gauche », et Augustus pour le « corbeau à l'oeil droit ». Alors, régulièrement, chaque nuit dois je dire plutôt, ils venaient, John et Augustus, à la lueur de la lune, se poser sur l'appui de la fenêtre, ils me considéraient, mauvais et savants, puis, sans bruits ni croassements, ils s'envolaient quelques minutes après, me délivrant de leurs regards, dans le lourd battement de leurs ailes.

Avec l'aimable autorisation de Gwendal Denis, 

Notes :

1. le titre de ce roman, Diougan Gwenc'hlan, reprend celui d'une gwerz de Hersart de La Villemarqué, Gwenc'hlan serait un barde breton du 6ème siècle

2. Malvran, mot breton, de marc'h vran, cheval corbeau, corbeau mâle, grand corbeau


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