"La grande Tribu", un beau roman de Youenn Gwernig

Chronique publié le 20/06/16 11:20 dans Littérature par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean
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Youenn Gwernig
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La Grande Tribu, Grasset

Tous ceux qui aiment la Bretagne, et pas seulement en collant une Bigoudène sur leur coffre de voiture… connaissent de réputation « le grand Youenn », chanteur, poète, sonneur, écrivain, et même sculpteur sur bois, mort en 2006, « disparu » j'aimerais le croire, dans quelques contrées celtiques du côté de « Glass Island » (2).

Bien sûr c'est un fantasme, mais il m'est arrivé d'imaginer à quoi pourrait ressembler « un vrai Breton » ! eh bien je ne pense ni à Kersauzon, trop grande gueule, ni à Tabarly, trop timide sur la plan politique, ni à quelques autres Bretons forts estimables, non, je pense à Gwernig. Il y a chez cet homme quelque chose de doux et de rêveur, avec ça, une fierté simple, forte, sans ostentation, de ses racines, de sa culture et de sa langue, loin d'être partagée par ses compatriotes.

J'ai idée qu'en littérature comme ailleurs, la mauvaise monnaie chasse la bonne. Je le vérifie souvent. Alors, inutile de déranger les montagnes d'essais politiques ineptes, de thrillers de plages illisibles et toute cette littérature à l'estomac, car ce livre de Gwernig, paru chez Grasset en 1982, est impossible à trouver en neuf et guère plus en occasion, actuellement du moins. S'il vous prend l'idée de le lire quand même, ce que je vous souhaite, il vous faudra pousser la porte d'une bibliothèque, et cela vaut aussi pour la suite intitulée « Appelez-moi Ange », parue chez Blanc Silex en 2002 (3).

Oui, c'est un beau livre. Pour moi, les meilleurs récits/romans sont autobiographiques. Melville est un auteur merveilleux, mais je n'ai pas dépassé les cent premières pages de Moby Dick, très drôles, sans tomber ensuite dans un profond ennui. Pour Herve Jaouen, c'est pareil, sa suite irlandaise est dans l'ensemble remarquable, mais je préfère oublier ses romans du « terroir ».

Dans son livre, Gwernig nous conte ses années de guerre et de maquis du côté d'Izillac, un bourg de son invention ? Ses désillusions d'après guerre, quand il ne reconnaît plus les siens, cette génération « formica », trop prosaïque pour lui, qui entame à pleines dents « Les Trente Glorieuses ». Youenn est révolté « par la scandaleuse apathie de l'immense majorité des Bretons » (p. 183) qui assistent sans mot dire, à l’assassinat de leur pays et de leur culture ; il réprouve aussi les motifs de la guerre d’Algérie. Cela lui donna sans doute envie de partir en Amérique retrouver un ancien GI d'origine bretonne auprès duquel il avait servi d’interprète.

Le voilà donc à New York, pratiquant divers métiers, sonnant du biniou en haut de son immeuble, fréquentant le cercle de ses compatriotes, éclusant force bières et whiskies dans des tabagies, gueulant dans la 68e rue « ha pe oen mé, denig yeuank, setek pe triwec'h vlé-é ! » (4), supportant patiemment les élucubrations de « Jean Pierre » pour qui la révolution bretonne, c'est ici et maintenant, et qui embarque Youenn dans une virée bien arrosée, une bombe dans la poche que ce fumeux copain voulait déposer au consulat de France, qui finit heureusement dans une poubelle ! liant amitié avec deux nationalistes irlandais, Mick et Paddy, qui stockent dans leur cave tout un arsenal de guerre, ce qui intrigue beaucoup le shériff du coin. Fiction ou réalité, on ne le saura pas, mais tout cela sent le vécu.

Gwernig ne nous parle pas de sa vie de famille (5), du côté du Grand Concourse et de Loew's Paradise , dans le Bronx où il s'installe en 1957, ni de Jacques Kerouac (6/7), que les média ont baptisé lestement « Le pape de la Beat Génération ». En 1966, Youenn, lui, écrit « je suis le plus grand poète breton vivant : 1 m 92 ! ».

« Sur la route », ce récit/roman de Jacques Kerouac décrit, de façon unique, ces moments d'exaltations typiques de la jeunesse où la vie se consume, où le temps s'arrête, où la peur disparaît, où sans attendre, la nostalgie se lève sous les pas, où même la mort semble une aventure.

Mais le grand Youenn rêva de retourner en Bretagne, « j'avais seulement envie d'aller sonner du biniou sur le Mont Saint-Michel de Brasparts, en regardant le soleil se lever. Je le regarderai bien en face », et c'est ainsi qu'en juillet 1969, il se retrouva sur le paquebot France, en route vers sa terre natale.

Notes :

1. La photo vient du site : (voir le site)

2. Ile de verre, île verte ou île de la Vierge (gwerc'h inis) cad l'île sacrée ...

3. sur « Appelez-moi Ange » : (voir le site)

4. Quand j'étais, un jeune homme, de seize ou dix-huit ans …

5. Voir Nouvelles bilingues, Al Liamm, 2002

6. L'amitié Kerouac-Gwernig dans Ar Men n° 212 : (voir le site)

7. Kerouac à Brest, en 1965 : (voir le site)

8. article de Ouest France et vidéos : (voir le site)


Vos commentaires :
Marie-Josée Christien
Dimanche 22 décembre 2024
Vous avez raison, Youenn représente haut et fort la Bretagne, celle où nous nous reconnaissons. Mais avant tout, Youenn est un poète (trilingue de surcroît). Si les Bretons (contre leurs instances émanant de Paris) reconnaissaient autant la poésie que les Irlandais, il en serait l'un des meilleurs représentants.

Jakez Ar Fol
Dimanche 22 décembre 2024
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