Les harpes bretonnes s'exportent jusqu'en Amérique

Reportage publié le 28/09/17 14:49 dans Economie par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Jakez François : Le joueur de harpe devenu chef d'entreprise (photo youtube)
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Dans les années 1970 la musique traditionnelle avait pénétré partout en France, grâce au folk song venu des États-Unis. L’engouement général pour la musique folk et celtique s’étendait aussi à la musique sud-américaine. C'est dans ce contexte que Gérard Garnier décida de se lancer dans la fabrication de flûtes amérindiennes. Sa Société Camac, fut créée en 1972 au nord de Nantes dans le petit village de Mouzeil en Pays d'Ancenis. En plus des flûtes indiennes, lui et son frère Joel se mirent à fabriquer des vielles à roue, des épinettes des Vosges, des cornemuses écossaises, des dulcimers, des bombardes et des binious.

Leur succès dépassant les prévisions, Gérard suggéra alors à son frère aîné, Joël, de l’aider en prenant les rênes commerciales de l’entreprise. Pendant l’hiver 1971-1972, ils installèrent leur atelier dans un grand hangar à La Richerais en Mouzeil, où Camac se trouve toujours aujourd’hui. Le nom Camac vient de « Pachacamac », dieu de la mythologie quechua du Pérou dont le nom signifie « créateur, celui qui donne la vie ».

La première harpe Camac, «la Bardique», est née en novembre 1972 juste après la sortie du premier album d'Alan Stivell À l'Olympia en mai de la même année. A cette époque les harpes celtiques étaient fabriquées au Japon. Elles n'étaient pas très bonnes, ce qui fera dire à Joël Garnier «si les harpes n’étaient pas laides, la fiabilité des instruments laissait vraiment à désirer. Honnêtement, elles étaient médiocres... En plus, le fait qu’à cette époque 95% des harpes celtiques étaient des modèles japonais représentait un défi que je voulais relever.» La «bardique», est la première harpe fabriquée par Camac. C 'est un instrument avec une caisse de résonance parallélépipédique dont une version plus moderne est toujours vendue 45 ans plus tard.

En 1976, Camac sort la «Morgane», basée sur la harpe irlandaise. Il s’agissait d’un modèle 32 cordes conçu avec les conseils de Mariannig Larc’hantec, l’une des pionnières de l’instrument en Bretagne avec Alan Stivell et son père. Après la Morgane, Camac a rapidement ajouté les premiers modèles de «Mélusine» à son panel de harpes celtiques, ainsi que la «Brocéliande» qui n’est maintenant plus fabriquée.

En 1984, Camac présente un prototype de l’Électroharpe. L’idée fut d'installer un micro directement dans la caisse de résonance, ce qui permettait d’obtenir un résultat plus net que des micros externes. Comme les larsens et les bruits extérieurs étaient encore bien trop fréquents, Joël Garnier eut l’idée de créer une harpe sans aucune caisse de résonance, un peu comme une guitare électrique. La nouvelle harpe était équipée d’un micro piézoélectrique à chaque corde. Alan Stivell en joue sur son disque Harpes du Nouvel Age (1985), et à cette même époque, cet instrument fut adopté par les célèbres harpistes écossaises Patsy Seddon et Mary MacMaster. La harpe électrique est une invention de Camac.

En 1985, Camac se lance dans la harpe classique mais y ajoute une capacité de programmer les pédales utilisées pour les demi-tons. C'est la Harpe à Mémoire. Elle est en fait munie d'un mini ordinateur. Ce fut un échec car trop coûteuse et trop lourde.

En 1988, Jakez François rejoint l’équipe Camac, c'est à la fois un technicien et un musicien. Jakez commencera comme régleur et accordeur/tuner et finira chef d'entreprise. Joël Garnier n’a jamais été un musicien et les deux deviendront vite associés pour former une équipe performante et complémentaire. Jakez, qui est né dans une famille de musiciens traditionnels bretons et dont les parents font partie des amis très proches d'Alan Stivell, a grandi autour des harpes et des cornemuses. Il a étudié la harpe celtique et la harpe classique et en joue. Il a même obtenu plusieurs prix dans la catégorie Jazz. Il sera une aubaine pour Camac.

En 1990 , c'est le lancement de la Blue Harp, la harpe bleue. Une harpe mixte, offrant l'acoustique et l'électrique avec, en plus, les pédales. Le résultat était tout simplement extraordinaire et a surpassé toutes les attentes. Un vrai succès international. Lorsqu’elle n’est pas branchée, la harpe est un instrument complètement traditionnel avec sa caisse de résonance. Mais lorsqu’elle est connectée à un système d’amplification, la palette des possibilités musicales est tout à fait extraordinaire.

De 1996 à 1999 Camac sort des harpes à pédales “Nouvelle Génération” , conçues à la fois par Joel Garnier et Jakez François. La nouvelle gamme de harpes à pédales est plus facile à régler et plus facile à jouer. De plus, l’utilisation de la fibre de carbone pour la colonne a permis d’améliorer la résistance et la stabilité de la structure.

En 1999, l’Oriane et la Trianon sont venues compléter la gamme et furent à leur tour présentées au Congrès Mondial de la Harpe à Prague mais le 11 septembre 2000, Joël Garnier décède suite à une maladie. Jakez François devient PDG des Harpes Camac. A la même époque, Eric Piron rejoint les Harpes Camac en tant que Directeur Commercial. Ce dernier a joué un rôle important dans le développement de Camac.

Aujourd'hui Camac est un des trois plus grands fabricants de harpes au monde. Connue pour sa qualité, sa créativité et son savoir-faire, l'entreprise donne du travail à 50 personnes. Elle fabrique des harpes celtiques dont 15 différents modèles, des harpes classiques à pédales, des harpes électroacoustiques, des harpes électriques et des harpes sud-américaines. Elle exporte dans 30 pays dont 20 avec des distributeurs exclusifs et 30% des exportations vont vers l'Amérique. Jakez François, que nous avons eu au téléphone, reconnait sortir «au moins un nouveau modèle tous les ans». Cette année sort d'ailleurs une nouvelle harpe classique «Grand Concert» qui va être présentée à Hong Kong, à Paris et à Washington. 3000 harpes Camac sont vendues de par le monde tous les ans avec des prix qui tournent autour de 5000 euros. «Ça a l'air de marcher pas trop mal», admet avec modestie Jakez François qui explique «faire son métier de son mieux, au jour le jour» mu par «la passion». Un artiste peut très bien devenir chef d'entreprise et réussir car, par définition, ce sont eux qui ont le souci de la beauté et de la perfection et donc de la qualité. Et en plus ce sont des créateurs !


Vos commentaires :
Michel Davesnes
Vendredi 15 novembre 2024
Merci pour cet article. Je regrette que Camac ne fabrique plus d'instruments comme le dulcimer. J'en possède un acheté dans les années 70 et il est plutôt de qualité. Pourquoi ne pas remettre le dulcimer au goût du jour ? Aux États-Unis, la tradition est maintenant bien établi alors qu'il s'agit d'un instrument qui a des racines en Bretagne. Il y a chez des joueurs de dulcimer très talentueux, comme Christian Huet, qui peuvent aider à le populariser.

Phil C
Vendredi 15 novembre 2024
Je suis tout à fait d'accord avec Michel Davesnes, moi aussi j'ai découvert le dulcimer grâce à Camac, mon premier (1973 ?) étant le modèle triangulaire, pas cher mais assez limité. Vite après j'ai acheté le modèle le plus cher. Et je l'ai toujours et il joue toujours ... J'avais aussi acheté chez eux une vielle à roue, conception «moderne» pour le clavier (en métal !) et pas très réussi. Mais bon, où acheter une vielle à roue en 1978 ?
Je me rappelle aussi du catalogue Camac de la fin des '70s, on trouvait quasiment tous les instruments trad' qu'on connaissait, du cromorne au psaltérion en passant par les bombardes, binious, hautbois, etc... c'était impressionnant !

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