La dernière raffinerie de sucre de Bretagne va fermer ses portes dans 8 à 9 mois

Dépêche publié le 19/11/08 5:20 dans Economie par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail
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La raffinerie Béghin-Say et son décor à l'antillaise de 1991.
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Photo autorisée de Michel Craipeau © Tous droits réservés http://www.flickr.com/photos/michel_craipeau/ .
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La "Boîte bleue".
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La dernière raffinerie de sucre de Bretagne, la raffinerie Béghin-Say de Nantes, qui emploie encore 172 salariés, fermera ses portes à l'été prochain. Avec cette fermeture prendra définitivement fin une grande aventure industrielle qui aura duré plus de trois siècles et demi.

Durant des siècles, les Bretons comme les autres habitants de l'Europe ont ignoré le goût du sucre, le seul produit 'sucrant' connu étant le miel. La consommation de sucre n'a commencé vraiment qu'au XVIIe siècle, à partir du sucre de canne importé principalement de Saint-Domingue (Haïti aujourd'hui). La première raffinerie de sucre a vu le jour en 1653. C'est en grande partie pour la culture de la canne que les Européens ont alors organisé la déportation de plusieurs millions d'Africains vers l'Amérique et notamment vers les «îles à sucre», Nantes et les autres ports bretons réalisant à eux seuls près de 10 % de cet infâme commerce.

La production et le négoce du sucre de canne ont rapporté beaucoup d'argent à tous ceux qui ont pris part, directement et indirectement, à ces activités, en particulier à Nantes (qui compta jusqu'à une vingtaine de raffineries artisanales à la veille de la Révolution). Le commerce du sucre a aussi beaucoup rapporté au trésor royal et c'est pourquoi, au Traité de Paris qui a mis fin en 1763 à la guerre de Sept ans, les négociateurs français ont préféré abandonner toutes les possessions continentales de la France en Amérique du Nord, dont le Canada et la Louisiane, pour garder les «îles à sucre» au premier rang desquelles Saint-Domingue.

Durant les guerres napoléoniennes, le blocus continental a complètement interrompu les livraisons de sucre de canne en métropole et c'est alors que la production de sucre de betterave, initiée par des Allemands, a pris vraiment son envol au point de représenter aujourd'hui l'essentiel de la production française de sucre. La France reste toujours aujourd'hui le premier producteur mondial de sucre de betterave avec un rendement parmi les plus élevés de la planète : 10 tonnes de sucre produites par hectare cultivé. En dépit de plusieurs tentatives dans le passé, la Bretagne ne produit pas de betteraves sucrières aujourd'hui et, dans l'hexagone, cette production, réalisée par 35 000 cultivateurs, est concentrée dans le Nord, en Ile-de-France, en Champagne et en Normandie. C'est dans ces régions que se trouvent la plupart des 35 usines qui produisent du sucre en métropole.

L'usine Béghin-Say actuelle, à Nantes, était la dernière raffinerie de sucre de canne construite en France (de 1935 à 1937). Détruite par un bombardement en juin 1944, elle fut vite reconstruite et remise en route en 1946 et elle avait été entièrement modernisée en 1991 (et élégamment repeinte en blanc et bleu à cette occasion ce qui lui avait valu le surnom de «la boîte bleue» chez les Nantais). La Raffinerie de Chantenay, créée en 1850 (et dont la marque était bien connue des consommateurs), qui avait employé, elle, jusqu'à 1100 ouvriers en 1925, avait fermé ses portes en 1968... Ces raffineries nantaises traitaient du sucre de canne importé à l'état brut des Antilles et de La Réunion. C'est désormais là-bas que se concentre désormais la production de sucre raffiné. Il existe aujourd'hui deux usines à La Réunion, deux à La Guadeloupe et une à la Martinique. La canne y est cultivée par quelque 10 000 planteurs. En métropole, il reste encore une usine qui raffine le sucre de canne, la Raffinerie Saint-Louis, à Marseille, qui appartient au groupe allemand Südzucker, de Mannheim (lequel est la propriété de 33 000 producteurs de betteraves)...

Après la Révolution, un nouvel élan allait être donné à l'industrie sucrière nantaise, très curieusement, par des grandes familles protestantes (alors que les Protestants représentaient alors moins de 1% de la population). Parmi les noms qui émergent à cette époque il y a celui de Nicolas Cézard, riche armateur protestant qui fut à l'origine de la création de la raffinerie de Chantenay. Il y a aussi Benjamin Delessert, né à Lyon en 1773. Jules Paul Benjamin Delessert était un des trois fils d'Étienne Delessert, banquier lyonnais, de confession calviniste, originaire de Genève et qui avait conservé la nationalité suisse. Banquier, négociant et industriel, Benjamin Delessert fut tout au long de sa vie un homme d'une activité débordante. C'est lui qui créa à Paris en 1802 la première raffinerie française de sucre de betteraves et, l'Angleterre étant devenue maîtresse des mers et exerçant un véritable blocus des importations d'outre-mer, notamment de sucre de canne, il créa 21 autres raffineries de sucre de betterave sur le continent, dont une à Nantes en 1812, avec son cousin Armand Deléssert et le jeune Louis Say, également lyonnais et protestant.

À la chute de Napoléon, les importations de sucre de canne purent reprendre dans le port de Nantes et les Delessert retirèrent leurs capitaux de la raffinerie de Nantes, la laissant aux mains de la famille Say. Benjamin Delessert mourut à Paris en 1847.

Louis Say, lui, était le frère cadet du fameux économiste français Jean-Baptiste Say (Lyon, 1767 - Paris, 1832). Il naquit comme lui à Lyon, en 1774, et il vint à Nantes sous l'Empire et y fonda en 1812, avec Benjamin Delessert, protestant comme lui, la première raffinerie de sucre de betterave. Puis, en 1832, il quitta Nantes pour Paris où il mourut en 1840, mais ses deux fils Achille et Gustave restèrent à Nantes... En 1828, un Angevin, André Cossé, qui travaillait chez un confiseur Nantais, épousa sa fille, Mademoiselle Duval. Il racheta une ancienne filature et y créa la “candiserie” Cossé-Duval, fabrique de sucre candi. Ce sont des Cossé, associés avec des Lotz, qui créeront en 1897 une biscuiterie, la fameuse Biscuiterie Nantaise, bientôt connue par son «casse-croûte» (1920), puis par le «Choco BN» (1953).

Les unes après les autres, ces dynasties familiales nantaises se sont effacées devant des groupes financiers plus puissants. Ce fut le cas de la BN rachetée en 1967 par General Mills et aussi le cas de la société Say passée en 1966 sous le contrôle de la société Béghin, qui l'a absorbée en 1973 donnant naissance au groupe Béghin-Say, devenu alors le numéro 1 du sucre en Europe continentale. Puis, en 1986, Béghin-Say est passé sous le contrôle de l'Italien Feruzzi-Eridiana après une longue bataille en bourse. En 2002, le groupe italien a lui-même été repris par deux autres sociétés et le nouvel ensemble, qui a acheté le grand groupe britannique Tate & Lyde, a pris en 2004 le nom de Tereos. Ce groupe qui appartient à 11 000 associés coopérateurs, fait un chiffre d'affaires de 3,4 milliards d'euros, emploie 13 000 salariés et a une dimension véritablement mondiale avec une forte présence, non seulement en France, mais aussi en République tchèque, à La Réunion, au Brésil et au Mozambique.

Il y a depuis des années une surproduction chronique de sucre dans l'Union européenne et c'est la réforme de la réglementation communautaire qui est indirectement la cause de la fermeture de la dernière raffinerie de Bretagne, laquelle ne pèse sans doute pas lourd avec sa production actuelle de 110 000 tonnes de sucre par an dans l'ensemble Tereos.

Aujourd'hui, les cinq départements bretons consomment plus de 150 000 tonnes de sucre par an, soit près de 40 kilos par personne, ce qui est énorme (et, de l'avis des spécialistes de la nutrition, très excessif). Les Bretons ne consomment que 10 kilos de sucre blanc (en poudre ou en morceaux) et les trois quarts du sucre qu'ils consomment, est contenu dans d'autres produits : biscuits, gâteaux, chocolat, boissons sucrées, etc. Ce sucre viendra bientôt d'ailleurs en totalité...


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