La Cour refuse un témoin pro-Kerviel mais entend un expert financier qui explique la machination de

Communiqué de presse publié le 25/06/12 11:28 dans Justice et injustices par Reun Coupa pour Reun Coupa

De Mme Guelin correspondante du Comité de soutien à Jérôme Kerviel

L'axe de la défense décortiqué par un expert de la finance : l'hypothèse d'une machination - audience du 21 juin.

Parmi les témoins cités par la défense qui se sont présentés devant la Cour au cours de la 3e semaine, il en est un qui se détache parce que son témoignage est au cœur de la stratégie adoptée par Maître Koubbi pour ce procès en appel : Jacques Werren (JW), 49 ans, est consultant financier pour des établissements bancaires. Il a effectué la totalité de sa carrière dans la finance, dont une grande partie au Matif (Marché à Terme des Instruments Financiers, aujourd'hui disparu), dont il était le directeur général adjoint.

JW a contacté récemment la défense, emboîtant les pas de Philippe Houbé (cf. Compte rendu de la 2e semaine d'audience), parce qu'il ne supporte pas la version de l'« affaire Kerviel » donnée par la Société générale (SG). Et ce jeudi 21 juin, il est venu faire part à la Cour de sa propre opinion. Gage de son intégrité et de sa rigueur, il refusera de répondre aux questions qui sortent de sa compétence – y compris lorsqu'elles lui sont posées par la défense.

JW a conçu une hypothèse - la seule, selon lui, qui permette de rendre cohérent tout le déroulement de l'affaire. Cette hypothèse tient en 3 points :

– 1) la banque ne pouvait pas ne pas savoir : selon Jacques Werren, elle a menti

Dans le milieu des marchés financiers, lorsque l'affaire éclate en janvier 2008, la version de la SG selon laquelle la banque n'aurait rien vu des agissements de son trader, soulève une totale incrédulité, et ce point de vue de la profession est alors largement relayé par la presse. Le fonctionnement des marchés à terme organisés, que JW connaît bien, dont les règles sont particulièrement rigoureuses (il les explique à la Cour), exclut définitivement qu'un opérateur isolé puisse prendre des positions énormes sur un marché à terme sans que la moindre alerte interne ne se déclenche, et sans que son employeur ne soit au courant.

- Une telle affirmation vient corroborer le témoignage de Philippe Houbé.

Mais pourquoi la SG aurait-elle menti ?

– 2) la déclaration par la SG de la totalité des pertes liées aux subprimes aurait provoqué un séisme

M. Werren rappelle le contexte de l'époque : une crise financière majeure vient de se nouer : la crise des subprimes, ces crédits immobiliers américains qui se retrouvent en tant qu'actifs toxiques dans le portefeuille de différentes banques. La SG en détient en quantité ; ils ne seront pas remboursés ; la perte s'annonce colossale : plusieurs milliards d'euros. La déclaration d'une telle perte déclencherait un “tsunami” et le risque serait grand que la panique se propage à d'autres banques par effet domino. La SG se contente alors de déclarer 200 millions de pertes liées aux subprimes, somme qui sera rectifiée en janvier 2008, portée à 2 milliards d'euros.

– 3) afin de dissimuler la plus grande partie de ses pertes-subprimes, la banque a élaboré un plan

Se plaçant dans la situation de la SG, JW a imaginé un plan conçu par la banque afin de protéger ses intérêts : c'est l'hypothèse de la machination. Afin de dissimuler l'essentiel des pertes liées aux subprimes, la hiérarchie de la SG, au plus haut niveau, aurait pris la décision, dès le printemps 2007, de couvrir les opérations de Jérôme Kerviel (JK) en prenant des positions symétriques inverses, et d'attendre une perte, qui n'arrivera qu'en janvier 2008. La banque « siffle alors la fin du jeu » : on révèle l'affaire, on liquide toutes les opérations : celles de JK (le débouclage creusera un trou de 5 milliards d'euros, qui s'ajouteront aux 2 milliards de pertes-subprimes précédemment déclarées officiellement par la banque), et celles qui ont été initiées par la hiérarchie de la banque en 2007.

La SG a pris une décision raisonnable, affirme JW : on a changé l'étiquette des pertes, en attribuant à JK les pertes liées aux subprimes. Reconnaître que la SG a été victime d'un opérateur isolé qui a échappé pendant plusieurs mois aux services de contrôle de la banque n'est certes pas glorieux, mais cela est nettement moins dommageable que d'annoncer 7 milliards d'euros de pertes sur les subprimes ! Au passage, JW signale que, paradoxalement, il n'y a pas eu de pertes-JK en réalité – puisque les positions qu'il prenait étaient couvertes par la banque.

Tout a bien fonctionné, souligne M. Werren. Tous les services da la banque ont bien travaillé (Back Office, direction des risques, commissaire aux comptes…). Et il faut féliciter la SG

d'avoir pris une telle décision : elle a ainsi évité une catastrophe considérable. Elle n'a pas seulement défendu ses propres intérêts, elle a rendu un énorme service à la place financière de Paris. Cependant, 4 années plus tard, elle s'honorerait, estime M. Werren, en dévoilant comment elle a géré la crise des subprimes à son niveau… « pour la bonne cause ».

Cela, toutefois, ne s'est pas fait sans dégât humain, reconnaît enfin l'expert : JK, utilisé comme fusible, a payé, et paye encore cher la décision de la banque. JW suggère qu'il sera peut-être possible de compenser ? Et c'est bien la seule remarque un peu décalée qu'aura faite M. Werren au cours de sa prestation. De l'argent ? Contre ce séisme personnel, toute cette épreuve qui n'en finit pas, tant d'années gâchées, pour des erreurs qui auraient dû se solder par un licenciement ?! De l'argent, bien sûr, on ne peut plus rien faire d'autre à présent.

Les réactions de l'auditoire

La démonstration est terminée, l'assistance, qui est restée silencieuse, suspendue à l'exposé particulièrement pédagogique de l'expert, emportée par la cohérence de son argumentation… revient brusquement à la réalité : mais les preuves ?? Tout ceci n'est qu'un scénario, bien construit, certes, cohérent, mais où sont les éléments tangibles qui le supportent ?

JW « se met à la place de la Cour » (qu'il suppose, comme le public, dubitative), et annonce d'une voix ferme : « si ma thèse vous paraît crédible, vous avez un excellent moyen de la démontrer, en réclamant à la commission bancaire d'aller visiter les comptes-maison de la SG en 2007. Les opérations de couverture y auront laissé des traces – c'est une enquête de comptabilité ».

On jubile : mais bien sûr ! C'est ce qu'il faut faire ! Enfin nous allons savoir ce qui s'est vraiment passé ! Douche froide : les questions et remarques de la Présidente nous indiquent qu'elle n'a pas été convaincue par la thèse de la machination : « et si le marché s'était retourné, en janvier 2008, que se serait-il passé ? ».

JW : « rien ».

« Alors, la SG et ses subprimes, il fallait bien les déclarer !? »

« La SG aurait continué d'attendre le moment favorable », répond JW, « comme d'autres banques, qui, aujourd'hui, détiennent encore des actifs toxiques dans leur bilan ! »

« M. Kerviel a rendu un grand service à la SG alors ! » ironise la Présidente, tandis que nous pensons qu'elle vient de dire la stricte vérité.

Sa remarque suivante, selon laquelle M. Werren « n'a fait qu'émettre des hypothèses » déclenche la colère de Me Koubbi : « on émet des hypothèses parce que, faut-il le rappeler, Mme la Présidente, il n'y a aucune pièce au dossier ! Parce qu'aucune expertise n'a été faite ! ».

La Présidente ne répondra pas.

Les avocats de la SG, quant à eux, ont eu tôt fait de se ressaisir. Ton ironique et un brin condescendant, ils vont tenter de discréditer l'expert et de minimiser la portée de ses propos. Ils rappellent que 2 juges d'instruction, dont « l'insoupçonnable juge Van Ruymbeke », ont validé la version-SG de l'affaire. JW contesterait-il de tels jugements ?!

« Les interprétations de J. Werren sont basées sur des suppositions, pas sur le dossier ! », tonitrue Me Martineau.

« Je n'ai pas lu le dossier de l'instruction », répond calmement JW, « mais on peut démontrer ce que je dis ».

L'avocat tente alors de ramener « l'affaire Kerviel » à une affaire de rogue trading, comparant le cas de JK à celui de Nick Leeson, qui, en 1995, avait fait perdre à la Barings 827 millions de livres sterling.

Monsieur Werren réfute : « les deux situations sont totalement différentes. Nick Leeson était à la fois négociateur et comptable. JK était seulement négociateur. En tant que tel il n'avait aucune possibilité d'écrire dans la comptabilité ».

L'enthousiasme est retombé. On a la sensation de se heurter à une épaisse muraille : la SG, citadelle imprenable ? Pourtant, ce mur a été aujourd'hui ébranlé par un formidable coup de boutoir. Après ce témoignage, la balle est dans le camp de la justice. C'est notre ultime espoir que la vérité éclate, grâce à des preuves tangibles. Cette vérité, nous sommes en droit de l'exiger. Nous l'exigeons.

Le rôle de la presse

La vérité, il est clair que les journalistes n'aideront pas à la mettre au jour.

Et pourtant, Me Koubbi le rappelle, « la thèse exposée par JW, la presse l'avait bien faite sienne en 2008 : les journaux expliquaient alors comment la SG avait profité des pertes de JK pour “ dégazer ses subprimes ”, mais une puissante campagne de communication de la banque était venue pulvériser de telles interprétations ».

Il est stupéfiant de comparer les comptes-rendus de la plupart des journalistes présents au procès au contenu des audiences - auxquelles nous assistons en continu. Leur collusion avec la SG est flagrante (Me Veil va même leur rendre visite au poulailler au cours des audiences !). Et leur partialité est scandaleuse : ne devraient-ils pas se montrer objectifs ?! Soigneusement ils font mine d'ignorer tout élément qui sert la défense, acceptant que tant de preuves possibles, désignées nommément, faciles à localiser, aient été révélées au cours de ce procès en appel – sans qu'il ait été envisagé de les extraire des différents services de la SG où elles se trouvent. Pour eux, il n'y aurait rien de nouveau !! Malheureusement, c'est ainsi qu'ils « informent » l'opinion publique, avec des discours préconçus. Ils feignent d'interpréter le changement de stratégie de la défense en appel comme un signe d'instabilité et/ou une preuve d'insincérité - comme s'il pouvait leur avoir échappé que l'ouverture de scellés – la venue de témoins courageux et d'experts se faisant enfin connaître – avaient en effet conduit la défense à changer radicalement son angle d'attaque. Parti-pris ou incompétence ? Peut-être bien les deux, mon général.


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