«Apprends moi les mots qui réveillent un peuple, et j'irais, messager d'espérance, les redire à ma Bretagne endormie »__Ces mots de [[Yann-Ber Kalloc'h]], cités par Philippe Abjean vendredi à Locarn, pourraient être les siens.
Philippe Abjean a reçu hier à Locarn, le prix Armor du Breton de l'année 2010 à quelques kilomètres seulement de la colline de Quénéquillec prés de Carnoët où lui et son équipe de sculpteurs ont commencé d'ériger les statues de 1000 saints bretons.
Philippe Abjean, agé de 57 ans, est un professeur de philosophie à Saint-Pol-de-Leon. En 1994, avec deux amis, il relance le Tro Breizh, un pélérinage du Moyen-Age qui consistait à faire le tour de la Bretagne et de ses sept saints fondateurs. C 'est de là qu'il a eu la vision d'une vallée des saints bretons qui ressusciterait cette époque fondatrice.
La Bretagne a une mythologie composée de milliers de saints fondateurs à l'origine de sa toponymie. Arrivée vers le 5e siècle, la plupart d'outre-Manche, les saints populaires bretons, dont seulement trois ont été canonisés par l'église romaine, ont laissé un héritage de pierre et de verre dans des statues, des chapelles, des vitraux et les noms mêmes des villages bretons ou se mêlent les plou (paroisses), les loc ou lan (lieux saints).
Ces héros populaires étaient des moines itinérants arrivés avec les Bretons au V et VI siècle et restant plusieurs années dans un endroit avant de repartir sous d'autres cieux. Quinze siècle plus tard on peut encore suivre leur itinéraire sur une carte de Bretagne tant la toponymie en a gardé le souvenir ! La Bretagne a autant de mythes fondateurs que de villages. Chaque village et souvent même juste des lieux dits ont leur mythologie, leur saint fondateur donnant à la Bretagne un canevas épique et spirituel finement tissé par le passé et qu'aucune colonisation ne pourra effacée. Une richesse souvent occultée mais enracinée au plus profond du paysage et d'une culture populaire certes menacée mais pas disparue.
Au fil des siècles ces vies de saints ont été brodées, embellies, moralisées pour rejoindre un imaginaire, des récits merveilleux et une magie de guérisseurs dont la chapelle s'est souvent superposée sur des anciennes sources aux propriétés particulières de l'époque païenne. Si on est certain de l'existence de Gildas, Malo, Pol Aurélien, Hervé et de tas d'autres, il est certain que des anciens dieux païens locaux sont aussi devenus des saints bretons dans une proportion qui reste à déterminer.
Qu'importe. Car comme le dit Philippe Abjean, ces récits qui finirent par être écrits et réécrits dans des vitae ont aussi «une vrai spiritualité de face à face avec Dieu» . Le [[christianisme celtique]] qui s'inspira des ermites du désert du IV siècle, et qui avait une liturgie que l'on retrouve dans l'église orthodoxe actuelle s'inspira aussi de l'imaginaire fantastique des croyances pré-chrétienne.
Le projet de la vallée des saints est de «redonner un visage a ces saints» et de «les ancrer dans le granite pour l'éternité» nous dit Philippe Abjean. Et ceci avec une présence et une symbolique via des statues menhirs focalisées sur le visage et les attributs du saint. Dans un sens Abjean rejoint les Celtes d'avant le christianisme qui ne sculptaient des dieux et des hommes, uniquement le visage. Les Celtes pensaient que l'âme résidait dans le visage.
Les statues de 3 ou 4 mètres de haut de saints bretons en granite ont commencé à s'élever sur une ancienne colline sacrée au coeur du Poher, au coeur du Centre Bretagne, à Quénéquillec. Le [[Cairn]] qui s'y trouvait a donné son nom à Carnoët. Ce tumulus funéraire et son probable oppidum devinrent au moyen-age le site d'une chapelle et d'une motte féodale avant de tomber dans l'oubli comme tant de sites historiques du Centre Bretagne.
Juxtaposant la Vallée des Saints, l'association prévoit la construction d'un ancien monastère celtique tel qu'on peut en voir encore en Irlande. La rencontre de Philippe Abjean et son projet et de Joseph Le Bihan de l'institut de Locarn, qui explique à tous, depuis des années, l'incroyable potentiel de la richesse archéologique du Centre Bretagne est perçue comme un impulsion décisive, par de nombreux maires de la région, vers le développement d'un tourisme culturel et durable dans le Centre Bretagne.
Philippe Argouarch
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