Dans notre précédent article, nous revenions sur les événements du 4 février 1994 à Rennes qui devaient voir disparaître intégralement dans le feu le Parlement de Bretagne (symbole par excellence de « l'esprit breton »). Et cela, à travers la lecture du Hors-Série de «Ouest-France», ainsi que du dossier spécial du «Mensuel de Rennes».
Dans le présent article, nous poursuivons d'une part, la réflexion initiée dans le précédent et rappelons, d'autre part, quelques éléments concernant l'histoire du symbole. Car les jeunes générations voudront un jour comprendre « ce qui s'est passé » le 4 février 1994 à Rennes, de même qu'elles souhaiteront un jour comprendre la naissance du mouvement populaire des Bonnets Rouges à Quimper le 2 novembre 2013.
I. Le Parlement de Bretagne a été totalement incendié pour être ensuite entièrement restauré, condamnant ainsi le passé breton à n'être « que du passé », et interdisant de la sorte toute référence future au dit « esprit breton » (éternelle source de contestation pour un pouvoir français d'autant moins assuré de son autorité qu'il doute en permanence de sa légitimité). Remarquons que, dans cet abracadabrant scénario (car il s'agit bien là d'une «mise en scène»), la bibliothèque du Palais (aile nord-ouest) a, elle aussi, été complètement incendiée. Or, rappelons qu'un livre ne brûle pas facilement (la densité du papier ne le permettant pas). Les Nazis jetaient par exemple de l'essence sur les ouvrages dont ils souhaitaient se débarrasser pour que ceux-ci flambent véritablement. Il n'y a bien que les barbares qui puissent brûler des livres (en témoigne la destruction de cette autre bibliothèque que fut celle d'Alexandrie, qui a effacé toute une partie de la mémoire de l'humanité).
Aussi, si « l'inimaginable » s'est produit à Rennes en 1994, «c'est qu'il a bien été imaginé». Et cela, par des esprits sans doute prêts à contourner toute réalité. Or, les « faiseurs de vérité » devraient se méfier de pareille Dame, car elle ne se laisse guère faire : elle revient sur les lieux où elle a été sciemment bafouée. Plus on l'oublie, plus elle revient. Et cela, selon un principe assez simple, qui veut « que le passé ne se dépasse pas n'importe comment ».
N'en déplaise au journal « ouestien » ou « bretillien » (nom choisi en 2013 pour désigner « les habitants d'Ille-et-Vilaine » ne se reconnaissant pas dans la notion de « Haute-Bretagne ») qui affirmait encore dans son éditorial de samedi dernier (1er février 2014, troisième paragraphe) que « les obscurantistes », « se crispent toujours sur leur état actuel » (fruit d'un passé « ridicule » qu'il faut « à tout prix dépasser »).
Au lecteur de se demander «de qui l'on parle», et qui peut bien «se crisper» ainsi sur un passé devant «être dépassé» ? Nous retenons pour notre part que le 4 février 1994, le territoire breton a été attaqué et l'espace culturel breton violé, pour ne pas dire que c'est toute une partie de la mémoire bretonne qui a été littéralement saccagée...
Si la Bretagne et son Parlement étaient si «précieux», ainsi que n'ont cessé de l'affirmer les autorités de l'époque, pourquoi diable ne pas en avoir pris davantage soin en sécurisant dès le matin toute la ville de Rennes ?
Car les colères dites «populaires» ont toujours les mêmes causes : l'absence de considération et le mépris affiché. Surtout lorsqu'elles sont attisées... au bénéfice du pouvoir. Décidément, tout pouvoir, de quelque forme qu'il soit (républicain, démocratique, totalitaire...) est toujours brutal lorsqu'il s'impose «contre la population».
En France, l'exercice du pouvoir est toujours de style « monarchique » (et sans doute plus encore que «sous la monarchie» elle-même, car celle-ci tolérait encore les espaces culturels sous son autorité pour ce qu'ils étaient et cela, «dans leur intégrité»). Le paradoxe voulant que ce soit le Roi-Soleil lui-même qui décrète la construction d'un édifice abritant le Parlement de Bretagne à Rennes...
II. Rappelons donc, car c'est là aussi ce qui nous intéresse, que le père du philosophe René Descartes (Joachim Descartes) était le doyen de ce Parlement de Bretagne. Il souhaitait léguer son siège à son fils avant que celui-ci ne décide de s'installer dans ce véritable «pays de liberté» qu'était à l'époque la Hollande. On peut d'ailleurs, à bon droit, se demander si Descartes ne serait pas revenu en Bretagne, en 1675, lors de la révolte des Bonnets Rouges, s'il n'avait été assassiné en Suède en 1650 (par le prêtre catholique français que l'on sait).
Notons qu'à l'époque du père de Descartes, « le Parlement de Bretagne » était une institution (datant de 1554, une vingtaine d'années après 1532) avant d'être un édifice (les travaux ne sont terminés qu'en 1655). En effet, un « parlement» est avant tout « une réunion de personnes » débattant et parlementant (à la manière des comités de Bonnets Rouges mis en place lors de l'automne 2013). En attendant la construction de l'édifice officiel (les travaux commencent en 1618), les réunions du «Parlement de Bretagne» avaient lieu «au couvent des Jacobins» (place Sainte Anne) ou à celui «des Cordeliers» (dans l'ancienne rue Saint-François : actuelle rue Hoche faisant l'angle avec la rue Victor Hugo, qui devrait en réalité s'appeler «rue Chateaubriand» car celui-ci s'y trouvait lors des événements de janvier 1789, ainsi qu'il le mentionne dans ses «Mémoires»).
Aussi, il faut savoir qu'avant la construction du Palais à Rennes, «le Parlement» siégeait alternativement à Rennes (août-octobre) et à Nantes (février-avril). La première séance a lieu à Rennes le 2 août 1554, et la deuxième, ironie de l'histoire, à Nantes le 4 février 1555.
Définitivement établi à Rennes en 1585, Louis XIV décide en 1617 «la construction d'un bâtiment spécifique pour abriter l'institution» et y collecter plus facilement l'impôt (le père de Descartes s'opposera souvent au Parlement de Paris, en refusant de signer certains décrets ou levées d'impôts).
Déplacé à Vannes lors des événements de 1675, le Parlement de Bretagne sera dissout en 1790, et remis en service en 1804 par un décret de Napoléon (qui a un rôle crucial dans «le dossier Descartes») comme étant la « Cour d'appel de Rennes ».
Ironie de l'histoire là aussi, le Parlement de Bretagne retrouve son aspect d'origine à Rennes au cours de l'été 1999, au moment même où est réinstauré en Ecosse le Parlement à Edinburgh (rattaché, quant à lui, au Parlement de Londres depuis 1707 et disposant depuis 1999 d'un véritable pouvoir, en témoigne l'organisation du référendum en 2014).
La question de la représentation au sein du Parlement de Bretagne (la moitié de Bretons et la moitié de «non-originaires») est une fausse question eu égard à l'identité de la famille Descartes. Le père, Joachim, rusait constamment, en faisant croire qu'il faisait «le jeu du Parlement de Paris» pour mieux déstabiliser celui-ci.
Ainsi que mentionné ci-dessus, le système pyramidal du pouvoir en France continue de ne tenir compte d'aucune « altérité ». Unitaire, unilatéral, celui-ci risque toujours les abus (ce que les Grecs appelaient «l'hubris», soit une sorte d'ivresse due à l'excès de pouvoir ou de rêve de toute- puissance, risquant toujours d'engendrer les pires chaos).
Les générations futures, celles qui ont 20 ans en 2014, voudront comprendre ce qui s'est passé à Rennes à la fin du 20ème siècle, suivant ce mot de Winston Churchill qui veut qu'« un peuple oubliant son passé est condamné à le revivre ». D'autant plus que les symboles ne manquent pas en 2014 pour faire «revivre le passé breton». Ils s'enchaînent les uns aux autres, libérant les Bretons d'aujourd'hui et de demain de représentations qui ne leur conviennent plus : Anne de Bretagne et Charte des langues régionales en janvier, Parlement de Bretagne en février, Etats Généraux des Bonnets Rouges en mars...
Simon Alain
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