Les Bridel sont nombreux depuis des générations à Martigné-Ferchaud et dans le pays de Châteaubriant, et leurs ancêtres seraient venus, il y a plusieurs siècles, de Suisse Romande (Valais) où ce nom de famille est toujours très répandu aujourd'hui.
Né à Martigné le 24 avril 1808, Jean-Louis Bridel se maria le 16 avril 1842 à Moisdon-la-Rivière (où un de ses cousins, nommé Émile, devait lui aussi faire le commerce du beurre fermier). On date de 1846 le début de son affaire de négoce en beurre fermier et œufs. À l'époque, l'agriculture de la région était constituée essentiellement de petites exploitations familiales qui pratiquaient la polyculture et vivaient en quasi-autarcie avec quelques vaches, un ou deux cochons, un peu de volailles, un peu de blé, d'orge, d'avoine et de blé noir et aussi de nombreux pommiers. Pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat de vêtements, d'outils et d'autres produits artisanaux ou industriels, les paysans vendaient des œufs et du beurre baratté à la ferme (et fortement salé, le salage ayant très longtemps été le seul moyen de conservation avant l'apparition du froid industriel). Ce beurre, de qualité très inégale, était ramassé de ferme en ferme, malaxé, disposé en mottes dans un linge et expédié en paniers pour être vendu sur les marchés à La Guerche, à Vitré, à Rennes et parfois bien plus loin. C'est Jean-Louis Bridel qui fit construire, non loin de la mairie de Martigné-Ferchaud, la belle maison qui existe toujours, où vécut la famille et qui fut aussi le siège de l'entreprise jusqu'à la Deuxième guerre mondiale. Jean-Louis Bridel mourut à Martigné-Ferchaud le 18 février 1903.
Né à Martigné-Ferchaud le 1er juin 1877, Émile Timothée Bridel était le fils de Jean-René Bridel et le petit-fils de Jean-Louis Bridel. C'est lui qui, le premier, pressentit la profonde évolution que s'apprêtait à connaître l'agriculture bretonne, et qui fit passer la petite affaire familiale du négoce à la transformation. En 1917, il fit en effet l'acquisition d'une fromagerie artisanale au Theil, puis, en 1922, il implanta cette fromagerie à Retiers sur le bord du Fromy, petit affluent du Semnon où il se mit à fabriquer du camembert (dont un fut baptisé “Petit Semnon”), du Port-Salut et du Pont-l'Évêque - il n'y avait pas alors d'appellations contrôlées. Émile Timothée Bridel avait un frère, Jean, qui était devenu mandataire aux halles à Paris et qui se chargeait d'écouler des paniers de beurre breton dans la capitale. L'entreprise familiale se lança même dans l'exportation de beurre vers l'Angleterre dans des boîtes en fer hermétiquement fermées (en autoclave) qui partaient par Saint-Malo vers Southampton ou par Morlaix, port qui expédiait à l'époque beaucoup de beurre et d'autres produits bretons vers la Grande-Bretagne.
Émile Timothée et son fils, Émile Louis Marie, donnèrent à l'entreprise familiale un développement très important après la Deuxième guerre mondiale. L'apparition et la diffusion rapide de l'écrémeuse fabriquée par l'industriel suédois Alfa-Laval entraînèrent la fin rapide du beurre fermier, les agriculteurs vendant désormais aux négociants de la crème fermière, ramassée dans des grands bidons de 100 litres en fer-blanc étamé, puis dans des bidons de 20 livres en almazylium, plus maniables. En 1949, les Bridel fermèrent l'ancienne installation beurrière, située alors au centre du bourg de Martigné-Ferchaud, et construisirent une nouvelle beurrerie, toujours à Martigné-Ferchaud, mais sur un terrain plus vaste, afin d'y faire eux-mêmes du beurre laitier à partir de la crème fermière. La diffusion de l'électricité et la possibilité de produire du froid permirent de se passer du sel et d'améliorer considérablement la qualité du beurre. Émile Timothée Bridel mourut à Martigné-Ferchaud le 22 octobre 1957.
Émile Louis Marie Bridel naquit à Martigné-Ferchaud le 21 octobre 1918. Il fit de bonnes études au collège Saint-Vincent de Rennes et, après avoir obtenu son baccalauréat (philo), il fit l'École nationale de l'industrie laitière à Manirolle (Jura) et parcourut ensuite l'Europe laitière y étudiant les entreprises de ce secteur ainsi que leurs techniques et méthodes. À la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, il se trouvait en stage dans une laiterie hollandaise. Mobilisé le 16 septembre 1939, il fut envoyé à l'École des chars à Versailles et, devenu aspirant le 28 février 1940, il rejoignit le 8e bataillon de chars de combat. Commandant un blindé nommé le Redoutable, il fut engagé avec son unité sur le front de la Somme les 15, 16 et 17, puis les 24 et 25 mai. Il parvint à arrêter une colonne allemande à Guise, près de Saint-Quentin, et à lui infliger de lourdes pertes (ce qui lui valut la Croix de guerre avec deux citations). Voulant gagner Londres et la France Libre par l'Algérie, il fut intercepté par la gendarmerie dans le port de Sète, détenu à la prison d'Avignon et jugé pour “désertion”, mais, au vu de ses états de service, il fut finalement libéré et démobilisé. Il décida alors de rejoindre son père à Martigné-Ferchaud dans l'entreprise familiale. Le 10 novembre 1942, il épousa à Rennes Micheline Laurendeau, petite-fille de Claudius Sordet, qui avait fondé la Société Économique de Rennes. Sous sa conduite, l'entreprise allait connaître une formidable expansion après la guerre. En quelques décennies, la Bretagne allait connaître une véritable “explosion de sa production laitière”(on a souvent parlé d'un “fleuve de lait”).
Émile Bridel y contribua lui-même fortement dans la moitié sud de l'Ille-et-Vilaine en créant le premier groupement d'achat de génisses hollandaises (qui allaient rapidement supplanter les races domestiques bretonnes dont le rendement restait beaucoup plus modeste), il créa un corps de “vachers de remplacement” pour permettre aux agriculteurs de ne pas être rivés à leur troupeau 365 jours par an, et il développa aussi au sein de son entreprise un corps de conseillers d'élevage, qui ne s'occupaient pas seulement de l'achat du lait, mais qui prodiguaient également des conseils techniques aux agriculteurs pour améliorer la gestion de leurs exploitations. Le rayon de collecte ne cessa de s'accroître dans la région de Janzé, celle de Retiers ainsi que le bas pays de Vitré. Dès 1955-1956, la laiterie Bridel, une des premières, se mit à produire du lait stérilisé en bouteilles, à longue durée de conservation. En 1966, par la fusion-absorption des Beurreries de l'Ouest, installées sur le Mail, à Rennes, la société étendit son aire de collecte à l'ouest du bassin laitier de Rennes. La même année, Émile Bridel racheta la laiterie Lefèvre-Utile à L'Hermitage, et prit progressivement le contrôle du GILAP (Groupement des industriels laitiers de l'Aulne et du Porzay) à Châteaulin, devenant ainsi un des plus gros collecteurs de lait de Bretagne. L'Ille-et-Vilaine devint alors le premier département laitier de France, ce qu'elle est toujours aujourd'hui.
En 1969, Émile Bridel décida de diversifier l'entreprise dans le domaine de la viande de veau et créa la section Élevage en visant le contrôle de toute la filière, depuis la production et la fourniture d'aliments d'élevage jusqu'à l'abattage et la transformation. Il quitta bientôt l'abattoir de Rennes pour s'installer à Châteaubriant, où fut créé à côté de l'abattoir municipal une centrale de découpe de viande en 1975. En 1983, il racheta l'abattoir municipal de Châteaubriant dont il fit un des plus modernes d'Europe. Le groupe devint en dix ans le deuxième abatteur de veaux en France.
En même temps, le groupe poursuivit son développement par croissance externe et prit une participation dans la société Maurice Lanquetot et fils, fameuse pour son camembert, dans le pays d'Auge (Calvados). En 1974, le groupe Bridel créa la Société Laitière de Normandie (SOLANO) à 50/50 avec le groupe Besnier, de Laval, et, en 1978, il prit le contrôle de la Société Deschamps, dans l'Orne. En 1981, le groupe absorba et fusionna la société laitière Maurice Lanquetot et fils, la société Deschamps et la Société laitière de Gacé. Cette même année, le groupe Bridel lança ses premiers produits allégés sous la marque Bridélice : crème légère et beurre allégé. En 1982, Émile Bridel s'entendit avec le groupe Entremont et trois grands groupes coopératifs bretons : Unicopa et les coopératives de Landerneau et Ploudaniel, pour créer Lacto-Bretagne à Loudéac, afin de valoriser le lactosérum des diverses laiteries pour la fabrication de protéïnes. Quelques années plus tard, le retrait d'Entremont devait malheureusement mettre fin à cette belle entreprise de coopération bretonne. En 1987, Bridel prit une participation dans la société Sovida de Mirande (Gers) et racheta l'abattoir de Mirande. Le siège social qui avait été déplacé de Martigné à Retiers en 1965, fut transféré en 1988 à Bourgbarré, plus proche de Rennes où habitaient plus de 100 des 250 collaborateurs travaillant dans les services centraux et d'où venaient par train et par avion beaucoup de visiteurs importants. En 1990, le groupe Bridel employait quelque 2 800 salariés, collectait plus d'un milliard deux cents millions de litres de lait et réalisait le quart de son chiffre d'affaires à l'étranger, dans 60 pays différents. Il possédait onze usines en France, dont sept en Bretagne (Retiers, Martigné-Ferchaud, L'Hermitage, Lohéac, Châteaulin, Châteaubriant et Pontivy), et une en Amérique, à Greenwood (Wisconsin).
Le groupe Bridel était également connu pour sa politique sociale avancée. Il avait mis en place de bonne heure un plan d'épargne salariale et un fonds commun de placement pour son personnel. Au début de 1986, à l'occasion d'une augmentation de capital, les souscriptions des salariés dépassèrent largement le montant prévu pour cette augmentation, à la grande surprise des banques. Cette confiance des salariés étaient bien placée car, par la suite, la valeur des actions ainsi acquises devait être multipliée par douze !
La société allait malheureusement cesser d'appartenir à des Bretons. En septembre 1990, Émile Bridel, âgé de 72 ans, prit la décision de vendre son groupe à son confrère Michel Besnier, de Laval, avec lequel il avait été en rivalité pendant de nombreuses années, mais pour lequel il nourrissait de l'estime. Le groupe Besnier avait connu une histoire assez semblable à celle du groupe Bridel. Tonnelier à Montsûrs (Mayenne), André Besnier (1894-1955) s'était lancé dans la collecte de lait et la fabrication de beurre et de camembert à Laval en 1933 et, d'une MPE de 50 salariés en 1955, son fils Michel avait fait en quelques décennies le premier groupe laitier européen. Le nouvel ensemble créé en 1990 par le rachat du groupe Bridel, à bien des égards, très complémentaire, représentait alors 16% de la collecte de lait en France, 16% de la production de fromages, 24% de la production de beurre et 24% de la production de lait de consommation. Ce géant qui a pris en 1999 le nom de Lactalis, n'a cessé depuis de poursuivre son expansion par des acquisitions et des investissements en France et à l'étranger. Présent dans 141 pays de la planète, le groupe Lactalis collecte chaque année plus de six milliards de litres de lait, produit plus de 500 000 tonnes de fromages et emploie 14 000 salariés. La marque Bridel (dont le logo rouge et blanc porte dans sa partie supérieure les armes de Martigné-Ferchaud) qui jouissait d'une image très forte auprès des consommateurs, a continué son développement et la direction de la Division Bridel est resté à Bourgbarré. Le groupe reste très présent en Bretagne à travers un grand nombre de filiales et l'usine de Retiers est toujours aujourd'hui non seulement le premier site laitier français, mais aussi la première usine laitière d'Europe, devant deux entreprises hollandaises.
Christophe Bridel, né à Rennes en 1945 et qui avait été pendant 24 ans un des principaux bras droits de son père, créant la section Élevage, assurant ensuite la direction du personnel d'un groupe passé de 600 à 2 800 salariés, en même temps que la présidence de plusieurs filiales, décidait en décembre 1990 de quitter la société où il ne reste plus aujourd'hui aucun membre de la famille Bridel.
Émile Bridel mourut à Missillac (Loire-Atlantique) le 13 août 1994. Son nom a été donné à une rue de Martigné-Ferchaud et à un square à Bourgbarré. Une zone industrielle de Martigné-Ferchaud porte aussi son nom.
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