La nouvelle crise agricole qui frappe la Corse est préoccupante. Les acteurs professionnels concernés font face à des interlocuteurs insaisissables, et ils disposent d’outils peu convaincants pour assurer leur avenir : les filières sont mal assises, les dispositifs de soutien financier, principalement européens, sont compromis et d’une efficacité économique contestée, et la prise en compte de leurs difficultés par le reste de la société corse est fragilisée. Le problème est profond et vient de loin.
De longue date en effet, l’élevage est le grand absent des politiques de développement de la Corse. Cela avait commencé dès le très décrié « Plan d’Action Régional » de la Datar à la fin des années cinquante. L’Etat créait alors la SOMIVAC, avec en ligne de mire l’installation des rapatriés promis à reproduire en Plaine Orientale les exploitations « modernes » dont ils connaissaient le fonctionnement en Algérie, à l’époque où le « productivisme agricole » avait le vent en poupe, et la SETCO qui avait pour finalité la conversion d’un territoire « arriéré » à l’économie moderne via le tourisme. Un troisième organisme avait été envisagé, mais il est resté dans les cartons et n’a jamais vu le jour, dédié aux productions agro-sylvo-pastorales. Déjà, il y a un demi-siècle, l’élevage insulaire était mal-traité par la technostructure ministérielle.
Les technocrates n’ont en effet jamais cru au potentiel de ces filières qui formaient pourtant le cœur d’une profession corse alors encore nombreuse, centrée sur la production ovine et caprine pour une grande part, mais apportant aussi des savoir-faire et des produits d’exception pour la charcuterie, le miel, la châtaigne, l’oliveraie, etc…
Que les technocrates n’y aient pas cru dans les années soixante, passe encore : c’était dans l’air du temps. Mais ils n’y croient en vérité pas davantage un demi-siècle après, alors que le productivisme est désormais remis en cause partout. On s’appuie désormais sur la qualité et l’originalité des produits, sur des procédures rigoureuses d’appellations d’origine, etc… : tous les produits corses issus de l’élevage traditionnel devraient en tirer profit. Ils ne le font pas, ou si peu.
L’échec a été au rendez-vous de la SOMIVAC qui avait été à l’origine de la scandaleuse gabegie de la viticulture des années 70, symbolisée par les événements d’Aleria. Mais la viticulture corse a réussi à surmonter l’épreuve, au point de devenir le premier poste de revenus de l’agriculture corse. On ne comptera pas les sommes d’argent public qu’il a fallu, d’abord pour mener à bien le projet aberrant de la SOMIVAC, puis en « primes d’arrachage » qu’il a fallu consentir pour passer de 35.000 hectares d’un vignoble qui ne valait rien à 6 ou 7.000 hectares d’un vignoble AOC aux performances économiques remarquables. Et dans ses tentatives de développement de filières nouvelles il faut mettre aussi au crédit de la SOMIVAC le lancement d’une filière de production d’agrumes, clémentines en tête, dont l’intérêt économique est aujourd’hui prouvé.
Bref, la SOMIVAC a été globalement un échec, il y a eu beaucoup de gâchis, mais, à force de volonté, de moyens financiers et de choix politiques, il en est resté suffisamment de positif pour donner à la production agricole corse certaines lettres de noblesse et donner corps à un développement.
L’élevage en comparaison a été très mal-traité. Totalement ignoré d’abord, puis accompagné par les moyens financiers de la Politique Agricole Commune conçus comme on applique une perfusion à un malade. Chaque outil nécessaire à son épanouissement a été refusé, ou obtenu avec retard et à minima : SAFER créée au lendemain des événements d’Aleria, lycée agricole de Sartène réalisé au forceps, sans moyens et sans ambition, centre de recherche d’Altiani longtemps délaissé. Les chambres consulaires ont été peu performantes, davantage mobilisées par les rivalités entre syndicats que par des projets construits en commun. Tout cela est à reconstruire.
Mais la première ressource est la ressource humaine. Nous en sommes réduits à la trame, quelques centaines d’éleveurs qui s’accrochent à leur territoire, y compris des jeunes, ce qui donne l’espoir d’un renouveau. Aussi, rien ne se fera sans préserver ces exploitants de la faillite, et il faut se mobiliser à leurs côtés. Il faut aussi expurger le volant de fraude et de faux actifs qui parasitent la profession. Cette clarification est une condition sine qua non. C’est d’ailleurs un symptôme du mauvais traitement réservé à l’élevage insulaire par les pouvoirs publics d’y avoir laissé prospérer ces dérives.
Depuis un demi-siècle, l’élevage insulaire a été maintenu en simple survie, ou, ce qui revient au même, il a été orienté vers une mort lente. C’est cette « fatalité » qu’il faut refuser, et s’organiser enfin autour du renouveau que nos filières et nos produits peuvent légitimement générer.
Ce communiqué est paru sur Le blog de François Alfonsi
■«Que les technocrates n’y aient pas cru dans les années soixante, passe encore : c’était dans l’air du temps. Mais ils n’y croient en vérité pas davantage un demi-siècle après,.../...». Je crains que cette pique à l'encontre de la technocratie politico-administrative (française? et aujourd'hui aussi européenne?) ne s'applique également à la Bretagne, et finalement un peu partout.
Pour citer un exemple encourageant, en Bretagne, signalons la relance artisanale du sel de Guérande (en Loire-Atantique), dans les années 60's ou 70's, que l'on doit à une poignée de passionnés idéalistes, face à l'industrie de l'époque, en Méditerranée. Il y a quelques années, ils ont dû affronter une menace de pollution marine extérieure au marais salant, ont su prendre de bonnes décisions. Qualité et ténacité ont conduit à la réussite, aujourd'hui, le succès est au rendez-vous: la Fleur de sel de Guérande est une référence absolue en matière de goût et de cuisine et s'exporte au bout du monde.
Ra gendalc'ho desevel hengounel ar chatal e bro gKorsika / Que l'élevage traditionnel se maintienne en Corse.