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Je m’aperçois que quasiment tous les articles sur le sujet réduisent l’intelligence artificielle à sa capacité à DÉVELOPPER UN THÈME. Le développement se fait à partir d’une question ou d’un sujet proposé. ChatGPT va picorer sur l’internet les informations et il les met en forme.
Il existe une autre forme d’intelligence artificielle, inverse de la première, moins aboutie mais sans doute plus redoutable : c’est la capacité à EXTRAIRE LES THÈMES OU LES INTENTIONS à partir d’un texte. Le nuage de mots est une première approche. Dans le référencement sur internet, il y a les technologies de SEO, qui permettent de trouver un bon positionnement sur les moteurs de recherche. Mais ce ne sont là que des arbres qui cachent la forêt…
Une première expérience
Nous avons utilisé une telle intelligence artificielle lors du soulèvement des Bonnets rouges de 2013-2014 pour synthétiser les 15000 doléances que nous avions collectées. Elle nous a permis de dégager des communautés sémantiques. Nous avons ainsi pu présenter les raisons de la révolte, qui paraissait hétéroclite aux observateurs extérieurs, en 11 revendications précises.
Nous nous sommes aperçus que cette synthèse faisait apparaître des traits culturels originaux.
Ainsi, pour les Bretons, le verbe «vivre» est d’abord en lien avec «travailler». «Vivre» c’est aussi «décider» et «donner». Dans la communauté sémantique qui contient «travailler», on trouve aussi d’autres verbes comme «revenir» (au pays ?), «partir» , mais aussi «demander». «Créer» n’est pas lié à «travailler», mais à «développer» et à «permettre». «Assemblée» et «citoyenneté» appartiennent à une communauté sémantique autonome par rapport à celle du mot «politique».
Chez les Bretons qui ont envoyé leurs doléances en 2013-2014, «emploi» et «agriculture» font partie de la même communauté sémantique. Le lien entre «emploi» et «entreprise» est fort, tout comme le lien entre «entreprise» et «région». En revanche, «politique» et «emploi» ne sont pas liés. L’éducation («langue», «culture», «enseignement») est liée au «pays» d’une part, au «développement» de l’autre.
Ce chantier d’analyse, dans le cadre d’un mouvement populaire, était particulièrement novateur. Pour en savoir plus, voir le pdf ci-joint.
Analyser «La Marseillaise»
Les logiciels d’analyse sémantique permettent d’analyser le thème et le sens d’un texte, c’est-à-dire de trouver ce qu’il veut dire. Ici, j’utilise
J’ai téléchargé les paroles de la Marseillaise sur le site de l’Assemblée nationale.
Résultats pour la Marseillaise :
- Univers de référence 1 : armée / corps / politique / comportement / famille / sentiment / droit / conflit
- Univers de référence 2 : dictature / famille / militaire / armée
- Références utilisées : dictateur
(Explications données par Tropes : «Les Références représentent le contexte. Elles regroupent, dans des classes d'équivalents, les principaux substantifs du texte que vous analysez. Le logiciel détecte les Références en utilisant trois niveaux de représentation. L'affichage des Références et de leurs Relations vous conduit au cœur du discours»)
Le logiciel propose d’autres résultats (scénarios, style, relations, catégories…). Je laisse à chacun le loisir d’approfondir le sujet à sa guise en téléchargeant TROPES ou un autre logiciel d’analyse sémantique.
En comparaison, si je fais entrer la traduction du Bro Gozh dans le logiciel, j’obtiens les résultats suivants :
- Univers de référence 1 : France / nation / corps
- Univers de référence 2 : Bretagne / nation / cœur
- Références utilisées : Nation / Bretagne / Breton / cœur
Je vous laisse réfléchir sur la différence entre les Références utilisées pour les deux hymnes, représentatifs de deux nations.
Analyser la Constitution française
J’ai soumis au logiciel Tropes le texte de la Constitution française, téléchargée à partir du site du Conseil constitutionnel. Les références étaient trop nombreuses. Le logiciel n’a pas pu saisir l’idée profonde des rédacteurs, idée qu’ils ont développé dans ce qui est devenu un texte de 89 articles. Cette autre intelligence artificielle a donc encore des progrès à faire. Mais patience !... D’autres logiciels y parviendront sans doute un jour ou l’autre. Les historiens nous ont appris que, autour du Général de Gaulle, les rédacteurs de 1958 avaient une perspective très précise de ce qu’ils voulaient. Il devrait donc être possible de retrouver cette intention dans le texte.
Analyser les discours
L’analyse des discours politiques donne des résultats intéressants. Il est à parier que les chroniqueurs médiatiques et les bavards de Facebook vont se faire valoir par leurs analyses des discours d’Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ou Sandrine Rousseau. Avec les logiciels d’analyse sémantique, ils seront pertinents… Tout comme les étudiants qui demandent à ChatGPT de développer un exposé à leur place. C’est là le monde qui vient, avec ses paresseux et ses tricheurs.
Une arme redoutable
Revenons à la différence entre les deux hymnes nationaux, français et breton. Il ne faudrait pas en déduire une hiérarchie morale, mais une différence culturelle. Les Francs, à l’origine de la France, étaient organisés autour d’une caste militaire. Cette organisation s’est perpétuée par le système féodal, la monarchie absolue, puis par les dynasties de la haute administration jusqu’à l’époque moderne. La Bretagne n’a pas une telle culture organisationnelle. Il n’est pas étonnant que les hymnes nationaux reflètent ces différences culturelles.
Mais attention ! Cette intelligence artificielle, qui permet d’extraire la moelle d’un texte, son intention cachée, pourrait donner au politiquement correct et aux maîtres-penseurs une puissance redoutable.
Les hiérarchies morales et le goût pour l’universalité sont sensibles chez les héritiers d’empires mondiaux, même lorsqu’ils sont animés de bons sentiments. Ils sont «citoyens du monde», mais c'est de leur monde à eux qu'il s'agit. Les héritiers des peuples autochtones et des petites nations sont, eux, plus enclins aux équilibres, au respect des distances et au relativisme culturel.
Il est à craindre que la pensée impérialiste, en particulier française, se perpétue sous de nouvelles formes. Elle voudra toujours, hélas, sauver le monde, lui apporter le bonheur, la laïcité ou le progrès, en chasser le diable. L’analyse sémantique des textes accessibles au public pourrait donner lieu à une censure d’un nouveau type, basée non pas sur des arguments d’autorité comme jusqu’à présent, mais sur des processus technologiques. La preuve «scientifique» d’une intention peut bouleverser notre manière d’apprécier une idéologie, une religion, un grand texte. Imaginons le Coran, les Évangiles, le manifeste communiste, ou n’importe quel ouvrage de référence, analysés par une intelligence artificielle… Imaginons toutes ces analyses diffusées et interprétées par ceux qui possèdent les grands médias, selon leurs intérêts…
Nous sommes Bretons. Utilisons donc cette intelligence artificielle d’extraction pour identifier les différences culturelles et valoriser la tolérance. Parallèlement, méfions-nous de son utilisation dans un cadre qui se voudrait à la fois éthique et missionnaire, à prétention universelle.
Jean Pierre Le Mat
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