L'assassinat d'André Rigault

Reportage publié le 20/02/11 23:27 dans Justice et injustices par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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André Rigault

À la lumière des nouveaux éléments sur l'attentat de Karachi en 2002, qui aurait été commis sur ordre de dignitaires pakistanais lésés de leurs rétro-commissions convenues lors de l'achat de sous-marins français en 1994, et aussi à la suite de révélations sur l'assassinat du ministre Robert Boulin déguisé grossièrement en suicide, ABP republie son investigation sur l'assassinat de l'ingénieur breton André Rigault le 12 janvier 1998.

Si en France on peut assassiner impunément un ministre en plein exercice et masquer le tout en suicide, en contrôlant l'investigation, la justice et les médias, on a pu effectivement sans effort faire passer l'assassinat d'André Rigault en suicide.

On notera aussi la similitude entre la chute de Thierry Imbot, décédé le 10 octobre 2000, soi-disant par une chute depuis le 4e étage de son immeuble – un jour de tempête... L'enquête sur sa mort avait été classée sans suite par le parquet, la brigade criminelle ayant conclu à une mort accidentelle. Son père, le général René Imbot, ancien directeur de la DGSE, a toujours dit que son fils avait été assassiné car il en savait trop sur les énormes fortunes amassées en France grâce aux rétro-commissions (affaire des rétro-commissions lors des ventes de frégates à Taïwan).

Dans le cas d'André Rigault, toutes les preuves portent à penser qu'il a été battu à mort et que, comme pour Thierry, son décès a été maquillé en chute. Quand on tombe de haut on peut effectivement avoir le visage tuméfié !

Les faits

Le 12 janvier 1998, il y a treize ans, on retrouvait le corps sans vie d'André Rigault, âgé de 43 ans, sur son lieu de travail à l'arsenal (DCNS) d'Indret, anciennement DCN ou Direction des Constructions Navales, près de Nantes. On découvrit le corps vers 20 heures, sous la passerelle de béton qui sert à soulever et tester les systèmes de propulsion des navires.

L'enquête de la gendarmerie

L'enquête fut menée sur place par la gendarmerie de l'arsenal qui a un poste permanent à Indret. Elle conclut rapidement au suicide. André se serait pendu avec une corde qu'il aurait attachée à la passerelle. La corde se serait cassée lors de sa chute, d'où la position du corps sur le sol dix mètres plus bas. Le rapport note effectivement la présence d'un sillon autour du cou mais sa compagne n'a jamais pu le confirmer car lors de sa visite à la morgue, le cou avait été dissimulé.

La seule enquête qui ait jamais eu lieu fut celle de la gendarmerie. Aucune police civile n'est venue sur les lieux ni aucun commissaire de police criminelle. La DST serait venue le lendemain. Elle a fouillé la voiture d'André mais n'a jamais remis un rapport quelconque, du moins rien de public. Donc il y eut uniquement une enquête interne. À aucun moment la police nationale n'a pénétré sur les lieux de l'accident ou du crime. Tout cela paraît incroyable mais c'est vrai. André était pourtant un ingénieur civil.

Pas d'autopsie

Les choses sont dès le début pour le moins surprenantes, mais elles deviennent très vite suspectes. À 21 heures, seulement une heure après la découverte du corps, le substitut du procureur de la République à Nantes, décide qu'il n'y a aura pas d'autopsie alors que le médecin du SAMU, qui examine le corps, signifie qu'il y a obstacle médico-légal (c'est-à-dire qu'il demandait une autopsie).

Par « malchance », André avait donné son corps à la science. Son corps disparut ainsi à tout jamais, disséqué et formolé dans les labos de la faculté de médecine de Nantes. Le procureur aurait fait cet aveu étonnant (*) : « Dans le cas d'un suicide bien établi par l'enquête, on ne pratique pas d'autopsie, même si le lieu du drame est particulier ». Étonnant, car chacun sait que dans le cas d'un suicide, c'est justement l'autopsie qui est le ooeur, la partie déterminante de l'enquête - surtout quand le décédé n'a pas laissé de mot d'explication.

Une fois le corps transporté par véhicule militaire à la morgue de Nantes, Annick Le Saux, la compagne de longue date d'André, fut avertie qu'elle pouvait s'y rendre. Elle s'y rend le soir même vers 22 heures, mais on lui dit alors que c'est trop tard et que c'est fermé. Annick est contrariée en plus d'être choquée et incrédule. Elle doit donc revenir le lendemain matin, le 13 janvier.

Accompagnée de sa soeur, elle remarque une chose : André avait un oeil au beurre noir. Il était aussi recouvert de sa chemise, délicatement posée sur son torse – très propre, dit elle – « une chemise trop propre pour quelqu'un tombé de dix mètres de haut ». La chemise remontait jusqu'au cou. Paralysée d'émotion et de chagrin, elle n'a pas osé faire ce qu'il aurait fallu faire : soulever la chemise pour s'assurer qu'il y avait bien une trace d'étranglement.

On était des gens ordinaires, on était heureux, on n'avait pas de problèmes
— Annick Le Saux.

André Rigault est né dans la Sarthe à Marolles-les-Braults, le 18 février 1956. Breton par sa mère qui venait de Plouezec dans les Côtes-d'Armor, il vécut une partie de son enfance, heureuse, à Plouezec où la famille passait les vacances d'été. Il a travaillé d'abord comme technicien à Puiseaux dans le Loiret chez Thomson. Il a fait ensuite une école d'ingénieur : l'École Nationale Supérieure de Mécanique à Nantes (ENSM). André avait un BTS, un DEUG et un diplôme d'ingénieur. Il travaillait sous contrat à la DCN d'Indret depuis sept ans.

«Bien qu'il eût préféré travailler pour le civil, il s'était accommodé du statut de civil travaillant pour la Marine. Surtout, il était passionné par son travail. Il était devenu un chercheur. Il travaillait dans des secteurs sensibles où il faut être certifié et confirmé à un niveau de sécurité élevé... Il était très bon à son travail, doué même. Les maths, c'était sa passion avec le bugle et la trompette» a déclaré à ABP sa compagne Annick... «À la maison, ses lectures de chevet étaient principalement des ouvrages de mathématiques et de physique». Annick, avec qui il vivait depuis 18 ans, affirme qu'ils n'avaient pas de problèmes. Ils avaient un garçon et venaient d'acheter une maison. Les choses se passaient plutôt bien pour le couple.

Secrets, recherches, transferts et gros sous

À Indret, André aurait été impliqué dans un projet majeur : le MESMA, qui consiste à développer des sous-marins classiques à longue durée de submersion grâce à des moteurs qui consomment très peu d'oxygène. D'après son CV, André était responsable de la simulation et de la modélisation mathématique des systèmes de propulsion y compris du contrôle des bruits et des vibrations. Il est donc directement impliqué dans le projet MESMA.

Comme ces activités sont classées, rien n'est certain sur ce qu'il faisait vraiment. On sait toutefois que le système MESMA a été vendu aux Pakistanais un mois après le décès d'André. Le Pakistan a en effet acheté trois sous-marins de classe Agosta 90B à la France. Le contrat comprenait des transferts de technologie importants puisque deux des sous-marins devaient être construits au Pakistan. Onze techniciens envoyés par la DCN au Pakistan pour travailler sur ces sous-marins ont été tués en 2002, et douze autres furent gravement blessés dans un attentat d'abord attribué à Al Qaeda mais aujourd'hui attribué à des militaires et dignitaires pakistanais dans le cadre de rétro-commissions non-payées.

L'autre projet d'Indret à l'époque était SAWARY2, la construction de frégates pour l'Arabie saoudite. Les mêmes frégates qui furent vendues à Taïwan avec le milliard de dollars de rétro-commissions empoché par les dignitaires taïwanais et, on le sait, des intermédiares français. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères, a avoué que 500 millions de dollars étaient partis dans les caisses taïwanaises du PFP (premier parti du peuple) et du KMT (parti nationaliste chinois). Il n'a pas dit quelle somme était partie dans les caisses des grands partis français... (RPR et le PS). Un ancien des services secrets français a affirmé à ABP que d'ordinaire c'était 60 % pour le parti de la majorité au pouvoir et 40 % pour l'opposition. Le système français a l'avantage de tenir tout le monde tranquille car tout le monde est impliqué ! Il n'y a pas de mauvaise surprise quand la majorité perd les élections.

Une enquête bâclée et une affaire étouffée : ABP rencontre Annick Le Saux

ABP a rencontré par deux fois Annick, la compagne d'André Rigault. Cela fait 13 ans qu'elle se bat pour comprendre, pour essayer de savoir. La première chose qu'elle a tenu à dire c'est qu'elle n'a jamais cru au suicide de son compagnon. « Parmi ses proches et sa famille, personne n'a cru qu'il s'était suicidé » affirme Annick. «Ses collègues de travail par contre seraient restés muets comme des portes de prisons» s'étonne sa compagne.

D'après Annick, les syndicats CGT et CFDT ont été indifférents à cette affaire. «Ils ne m'ont pas défendue, pire ils ont même affirmé que la mort d'André faisait du tort à la réputation de l'établissement ! Les militaires, les syndicats, et même les collègues de travail d'André ont pensé à leurs intérêts d'abord - la vérité a été sacrifiée» dit-elle. Et d'ajouter «Le juge m'a traitée comme une criminelle et s'est acharné à essayer de trouver dans notre vie privée de quoi alimenter sa version des faits : considérer la mort d'André comme un fait-divers… sans aucun lien avec son activité professionnelle...»

Annick a toujours eu l'impression qu'un scénario avait été mis au point pour faire croire au suicide. Elle a lu l'enquête de la gendarmerie et n'est absolument pas convaincue. Elle pense que sa veste bien pliée que l'on aurait retrouvée sur les bords de la passerelle de béton a été mise là pour faire croire au suicide. Cette mise en scène ne correspond pas du tout à l'homme qu'elle a connu.

La gendarmerie aurait fait courir des rumeurs mensongères sur des problèmes conjugaux imaginaires qui auraient été la cause du « suicide » d'André : «Ce sont des mensonges...» dit-elle. Quinze jours après le décès, Annick et sa soeur furent invitées à Indret. Au poste d'entrée, les gendarmes leur montrent un bout de papier avec, griffonnés dessus, les mots Dorine, le 12 janvier. Annick, comme si André avait eu une affaire secrète... Annick Le Saux trouve cela grotesque et ces insinuations scandaleuses. Le bout de papier a d'ailleurs disparu.

Annick accuse la gendarmerie d'avoir sciemment détruit des pièces à conviction comme la fameuse corde qui se serait cassée lors de la pendaison. Annick affirme que justement «André en tant que féru de physique et de mathématiques n'aurait jamais choisi une corde trop mince pour se pendre. Il connaissait trop bien la résistance des matériaux. Il avait la manie de tout calculer» dit-elle.

«On m'a traitée comme si c'était moi qui avais assassiné mon mari ! Alors qu'on n'avait ni problèmes d'argent, ni problèmes de couple et que moi et notre fils – qui a aujourd'hui 25 ans et est devenu ingénieur comme son père – étions les biens les plus précieux d'André !»

Annick déclare que toutes ses tentatives légales pour rouvrir le dossier n'ont abouti à rien. En 2001 elle a porté plainte contre X pour assassinat. En 2002 la plainte fut rejetée. Il y a eu une ordonnance de non-lieu. Désespérée, elle tente alors, en 2004, de faire classer le décès d'André comme accident du travail. Car au moins elle aurait droit à des dédommagements... mais sans succès.

«Je veux simplement savoir la vérité»

Annick est une Bretonne têtue. Elle n'a certainement pas perdu courage. « Je veux simplement savoir la vérité » dit-elle. Elle est déterminée à aller jusqu'au bout... Devant le silence des autorités, une enquête bâclée et cloisonnée, une mise en scène évidente pour faire croire au suicide, le refus de l'autopsie, on est en droit d'échafauder des hypothèses. S'il est certain qu'André Rigault ne s'est pas suicidé, il est possible que sa mort ait à voir avec un refus de sa part de voir une de ses inventions ou son travail partir dans les mains de marines de régimes corrompus et dangereux y compris le Pakistan de l'époque. Si on lui a demandé de partir au Pakistan, il a certainement refusé. D'ailleurs il voulait quitter la DCN. D'après Annick, on lui avait refusé sa demande de départ pour l'École des Mines de Nantes.

Quoi qu'il en soit, Annick Le Saux a le droit de connaître la vérité sur la mort de son compagnon. Où est passée la corde qu'André aurait utilisée pour se pendre ? Pourquoi sa chemise était-elle si propre s'il est tombé de si haut ? Pourquoi André a-t-il acheté le matin de sa mort un carnet de tickets restaurants pour une semaine s'il avait l'intention de se suicider le jour même ? Pourquoi le procureur a-t-il refusé une autopsie ? Autant de questions qui restent sans réponses.

Rien dans la vie d'André Rigault ne laissait présager une quelconque fragilité. Il n'a jamais été diagnostiqué dépressif ou dans toute autre condition suicidaire. Il n'a jamais fait de dépression. Tout au contraire, il avait une grande confiance en lui surtout qu'il avait commencé sa carrière comme technicien, puis poursuivi des études d'ingénieur et finalement il était de fait devenu chercheur - par son travail, son intelligence et l'amour de son métier, nous explique sa compagne.

Il reste la possibilité, peu probable mais qui ne peut être exclue, qu'André Rigault ait fait de l'espionnage pour une puissance étrangère. Le couple a effectivement fait un voyage en Chine et un autre en Russie en tant que touristes. Même si Rigault s'était livré à des activités illicites, forcé par un chantage, ou de son plein gré, il avait droit à un procès équitable.

Quelques articles mais pas d'investigation

Le lendemain du décès d'André Rigault, Ouest France publia un entrefilet, Presse Océan fit un article, mais ce n'est qu'en 2001, à l'occasion de la plainte contre X qu'Annick Le Saux a déposée, que la presse va finalement parler du mystère André Rigault dans Libération. Les médias régionaux ne font pas de reportages d'investigation, cela coûte trop cher. Par contre, Le Figaro Magazine, Libération et France 3 dans une émission intitulée “Les silences de l'arsenal” ont ouvert le dossier. Presse Océan a fait un article à l'occasion du 10e anniversaire. D'après Annick, un journaliste de Libération voudrait rouvrir le dossier et un inconnu l'aurait contactée récemment prétendant vouloir écrire un livre.

Si vous êtes en possession d'informations sur cette affaire, merci de contacter Annick Le Saux annick.lesaux (at) gmail.com


(*) Rapporté dans Le Figaro Magazine du 13 avril 2001.

Philippe Argouarch


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