Émile Granville est né en 1955 à Sens-de-Bretagne mais a toujours vécu à Redon. Son père était de Saint-Maudez, une petite commune à côté de Dinan, et sa mère de Vitré. Enseignant de mathématique et de breton en lycée. Membre du Parti Breton depuis fin 2006. Maire-adjoint à Redon depuis 2008 et vice-président du Pays de Redon qui comprend 55 communes. Nommé récemment tête de liste du Parti Breton pour les européennes et porte-parole de ce parti. Ancien président de l'association Bretagne Réunie. Émile Granville est membre d'associations culturelles ou de défense de l'environnement. Il a par exemple édité en 2007 deux ouvrages importants sur les Marais de Redon et de Vilaine.
[ABP] Émile Granville, quel est votre parcours politique ?
[Émile Granville] Je suis d'abord un associatif. Depuis les années 80, j'ai créé une dizaine d'associations dont plusieurs existent toujours alors que je n'y suis plus membre du conseil d'administration. Deux m'ont marqué particulièrement. La création de Gwezenn en 1987 avec un concept global pour la Bretagne (Histoire, langue, social, activités artistiques, environnement, plantations de haies agricoles, conférences). Puis le Comité des Marais de Redon et de Vilaine, créé en 1992, m'a permis d'aborder l'ensemble du territoire, la faune, la flore, l'agriculture, les aménagements hydrauliques. L'action associative a ses limites. C'est pourquoi, j'avais créé avec des amis Action Pays de Redon, sociale, écologiste et fédéraliste. C'est dans ce cadre que j'ai agi bien avant d'adhérer à un parti politique. Tout d'abord aux élections municipales de 1989, avec une liste «Redon Bretagne Écologie» qui avait obtenu 6 % des voix mais pas d'élu. Ensuite, entre 1995 et 2001, j'ai été conseiller municipal d'opposition, au moment où Alain Madelin était maire de Redon. En 2001, j'ai mené une liste «Redon Autrement» qui a obtenu 12,5 % des voix.
[ABP] Vous étiez membre de l'UDB auparavant ?
[EG] Je me suis engagé politiquement donc bien avant d'adhérer à l'Udb en fin 1999. Puis j'ai quitté l'Udb en 2003. J'ai mis à profit cette parenthèse politique pour militer plus particulièrement à Bretagne Réunie qui pour moi n'était pas une découverte puisque je suis adhérent au Cuab depuis 1983. Puis j'ai créé une nouvelle association, Brezhoneg war-raok, pour la promotion du breton. A l'Udb, j'ai insisté plus particulièrement sur l'écologie et le fédéralisme européen. Le terme «autonomiste» ne me convenait pas trop. J'étais alors partisan d'un front social, écologiste et breton totalement indépendant du PS avec la participation des Verts. Il se trouve que cette rupture politique claire et nette que j'avais souhaitée à l'Udb et que je pratiquais localement dans le Pays de Redon n'a pas été suivie par l'Udb, sans parler des Verts qui avaient leurs propres logiques de fonctionnement. L'Udb c'est aussi un peu une institution, difficile parfois d'y apporter une nouvelle vision des choses. Dans les années 2000, l'Udb a abandonné de sa charte des adhérents «la vocation nationale de la Bretagne». Dans cette logique, la Bretagne n'était donc pas une nation et n'avait même plus la vocation à le devenir. D'où le problème qui existe entre le discours autonomiste pour une «vraie régionalisation» de l'Udb, qui a priori pouvait être une stratégie politique pour la Bretagne en tant que nation sans État, et l'abandon pur et simple d'une conception nationale de la Bretagne qui conduit le militant à devenir au mieux un super-régionaliste.
[ABP] Vous êtes ensuite passé au Parti Breton, pourquoi ce parti ?
[EG] Il n'y a pas un changement politique de ma part. Car en fait, quand je défendais au sein de l'Udb la rupture vis-à-vis du PS, je voulais élargir notre base populaire pour nous adresser à l'ensemble des Bretons. J'ai beaucoup de respect et d'amitié pour les adhérents de l'Udb car l'Udb s'est toujours efforcée d'associer engagement breton et engagement social. Or par définition, l'Udb ne s'adresse qu'à la moitié des Bretons. A ceux qui, pour des raisons sociales ou par leur histoire personnelle, choisissent systématiquement la gauche. Mais quel est l'impact pour la Bretagne? Par effet d'entonnoir, toutes ces forces politiques, par le jeu électoral, servent à alimenter le PS dont les dirigeants parisiens sont de toute façon des jacobins. Avec le Parti Breton, on échappe à cette contradiction et les efforts des militants servent uniquement les intérêts de la Bretagne. Ce qui suppose aussi un esprit d'ouverture et de recherche de la meilleure solution politique. Les militants bretons d'aujourd'hui doivent éviter les idéologies, être avant tout des pragmatiques, confiants et enthousiastes !
[ABP] Le parti breton affirme avoir doublé le nombre de ses membres en 2008. Il a fait une percée au niveau électoral au cours des derniers élections municipales et cantonales comment expliquez vous ce succès ?
[EG] Dès le départ les fondements du Parti Breton ont été bien posés. Le Parti Breton est un parti de rassemblement. Il ne s'agit pas de nier les sensibilités politiques de gauche et de droite, ni même de vouloir les transcender. Mais de nous unir sur l'essentiel, la mise à niveau européen de la Bretagne. La force du Parti Breton, en ce début de 21ème siècle, c'est de considérer que le premier problème est l'économie. On peut s'appuyer sur l'économie citoyenne et solidaire, et les circuits courts. On peut s'appuyer sur les emplois de la fonction publique. Mais le point fondamental est l'économie liée à la vitalité des entreprises. L'intérêt des travailleurs c'est bien qu'il y ait des entreprises. C'est la clé de l'emploi. Il faut donc des capacités financières d'investissement et surtout beaucoup de liberté politique. Pas de liberté au sens de la déréglementation sociale, mais pour l'organisation politique et démocratique choisie par les Bretons eux-mêmes et adaptée à notre territoire. Le Parti Breton milite pour un gouvernement et un parlement bretons, pour la prospérité économique et la mise en place d'un contrat social propre à la Bretagne. La reconnaissance de la culture et de l'identité, de fait, est concomitante à cette prise de conscience nationale des forces économiques bretonnes. On le voit déjà avec l'organisation «Produit en Bretagne» qui associe culture et économie.
[ABP] Vous avez été élu à Redon avec aussi un autre membre du Parti Breton Gaël Le Bras, comment ça se passe au conseil municipal ? Quels sont les projets que vous avez réussis à faire avancer en tant qu'adjoint en charge de l'action sociale et du développement durable ?
[EG] En tant qu'adjoint à l'action sociale, je rencontre quotidiennement les difficultés des uns et des autres en matière de logement, de travail et de revenu. Je vois les restrictions budgétaires partout et les limites de l'action sociale institutionnelle, d'où la nécessité de nous battre pour que la Bretagne ait la capacité de créer des emplois. A l'automne dernier, nous avons organisé un forum des solidarités du territoire. Nous nous sommes engagés dans les économies d'énergie, la création de nouvelles pistes cyclables. La rénovation des zones boisées et atteint le «zéro pesticide» sur la commune. Gaël le Bras est président du conseil consultatif de l'identité et de la culture bretonne qui rassemble l'ensemble des associations de culture bretonne. La Ville a signé la Charte de la langue bretonne niveau deux avec un effort particulier pour le soutien aux filières bilingues breton/français. En complément à la fête de l'automne, la Bogue, la Fest-Yves va pendre cette année une nouvelle ampleur. Gaël le Bras, membre du conseil d'administration de l'hôpital, s'investit aussi dans tout ce qui touche le domaine de la santé, en particulier pour la création d'une maison médicale. Un gros projet rendu nécessaire par l'évolution inquiétante de la démographie médicale à Redon, comme dans toutes les petites et villes moyennes de Bretagne.
[ABP] Redon souffre beaucoup de la partition de la Bretagne, avec un Pays de Redon a cheval sur deux régions administratives et son exclusion du bassin industrielle Nantes/Saint-Nazaire. Dans une autre interview vous avez dit «Nous estimons que la Commission mixte entre la Région administrative et le département de Loire-Atlantique ne prend pas à bras le corps l'objectif de la réunification. Il ne s'agit pour les membres de cette commission que d'un dossier comme un autre, non prioritaire, et qui ne fait l'objet que de quelques mesures symboliques.». Quels sont d'après vous les initiatives que cette commission devrait prendre?
[EG] Déjà, cette commission ne devrait pas être réservée aux membres du PS et de l'Udb. Elle devait fonctionner avec tous les partis politiques ayant des élus. Comprendre les présidents et des élus des cinq départements bretons, des associations importantes, en premier lieu Bretagne Réunie. Il y a urgence ! Le projet de loi suite au rapport Balladur est en préparation pour l'automne prochain. Qu'attend cette commission pour prendre des initiatives? Ce dont nous avons besoin, ce sont les Etats généraux de la réunification, avec les élus, les associations, la population. Une volonté forte, capable de mobiliser toutes les forces bretonnes - et elles sont nombreuses - pour obtenir la réunification maintenant. Sinon, le rapprochement entre départements et régions prévu pour 2014 sera catastrophique pour la Bretagne. La Loire-Atlantique sera encore plus en avant intégrée à la Région de Jacques Auxiette. Les Bretons attendent de bonne foi que les responsables politiques bretons prennent de vraies initiatives. Les élus locaux, comme ceux de la communauté de communes du Pays de Redon, ont votés des vœux pour la réunification. Tout le monde est prêt! Que fait Jean-Yves Le Drian pour répondre à l'attente des Bretons ?
[ABP] Pour les élections européennes quelle est l'intérêt pour le Parti Breton de présenter une liste dans la circonscription Grand-Ouest qui comprend aussi les Pays de la Loire et le Poitou ? Que pensez-vous de ce découpage ?
[EG] Pour le Parti Breton c'est l'occasion de montrer que la Bretagne a avant toute une dimension internationale et un destin européen au delà des limites exigües de l'hexagone. Nous voulons faire entendre la voix de la Bretagne en Europe. La France a été obligée de mettre en place des circonscriptions régionales pour les élections européennes. Elle l'a fait de manière factice sans respecter les régions culturelles et historiques ni les peuples de son territoires. Les Bretons se retrouvent de fait dilués et privés d'expression propre. Le fait d'avoir quelques rares élus bretons ne proviendra que du hasard des choix des listes faits par les partis politiques parisiens. Alors que des Pays comparables comme l'Irlande, l'Ecosse, le Pays de Galles ont respectivement 12, 7 et 4 députés européens. Sans parler de l'Estonie qui avec 1,3 millions d'habitants a 6 élus européens. Il est temps de dénoncer ce hold-up électoral des voix des Bretons pour des partis politiques qui ne défendent pas la Bretagne à Bruxelles. Nous défendons la mise en place d'une Europe fédérale. Une constitution adoptée le même jour sur tout le territoire européen. Une vraie citoyenneté européenne qui donnerait tous les droits nécessaires aux Bretons pour défendre leur place en Europe. A travers notre engagement pour les élections européennes, nous nous préparons aussi pour les élections régionales de 2010 qui nous permettront mieux encore de proposer un projet concret et ambitieux pour la Bretagne.
[ABP] Merci d'avoir répondu à nos questions.
Philippe Argouarch
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