«Stafell Gyndylan ys tywyll heno» (canu Llywarch Hen)
Kenavo dit, Yvonig !
C'est un très grand patriote breton qui vient de partir pour Avallon.
J'avais rencontré Yvonig à la fin de 1998, à la gare de Saint-Brieuc, pour parler du projet de Fondation de Bretagne qu'il voulait aider à lancer avec le Conseil régional et dont j'allais avoir à m'occuper sous son autorité pendant plus d'un an d'activité intense. Puis, lorsque l'Institut culturel eut à déménager, quittant Rennes pour Vannes, je fus choisi comme nouveau directeur, à la suite de mon vieil ami Bernard Le Nail, conservant cette fonction pendant huit ans, de juin 2000 à avril 2008, date de mon départ en retraite.
Je souhaite témoigner aujourd'hui de l'homme exceptionnel qu'il était
Yvonig, lui le petit Gallo d'extraction modeste de Josselin, nourri d'Histoire de Bretagne, aura été avant toute chose un très grand patriote breton. N'ayant jamais réussi à maîtriser le breton (il fallait cependant se méfier, car il saisissait bien le sens général des conversations dans cette langue) l'histoire était pour lui le premier pilier de notre identité, tant il est vrai qu'elle seule, disait-il, pouvait vraiment réunir le bas et le haut pays. Son œuvre est importante à cet égard et son superbe ouvrage sur le Combat des Trente (aux éditions Coop Breizh) fait désormais référence. Ensemble, nous avions récemment eu l'idée de réaliser un poster de généalogie des souverains bretons, que j'avais choisi d'éditer en partenariat avec Mikaël Bodloré-Penlaez : c'était un travail scientifique difficile auquel il avait participé très activement. Il venait juste de mettre un point final à son dernier gros travail, l'histoire de la Chambre de Commerce du Morbihan, dont il avait été durant si longtemps le Directeur général : il me disait combien l'écriture de cette somme (au final trois kilos, 544 pages !) le passionnait mais aussi combien il avait hâte de la conclure, chose difficile car, scrupuleux, il allait toujours bien sûr directement aux sources, écumant les archives.
Yvonig était un homme droit et intègre et son éthique personnelle comme ses convictions religieuses, aussi discrètes que profondes, lui interdisaient toute médisance et toute attaque ad nominem, qu'il exécrait par-dessus tout, notamment en réunion. Yvonig, empreint d'une profonde humanité, homme simple, disponible et chaleureux tout à la fois, aimait d'ailleurs beaucoup la vie et rien ne lui plaisait autant que les repas en compagnie de ses amis, après les très nombreuses séances de travail que sa vie de militant lui dispensait à profusion. S'il pouvait parfois plaisanter et même se moquer, ce n'était jamais avec méchanceté, et son rire éclatant retentissait alors avec puissance et entrain. Yvonig, empreint de bonté, respectueux des personnes, lui qui avait négocié avec le Président Giscard d'Estaing la Charte culturelle bretonne, se méfiait beaucoup des puissants : à plusieurs reprises et notamment à l'époque où certains s'étaient vus priver de liberté pour activités bretonnes illicites, il avait subi des pressions, qu'il s'était empressé d'ignorer. Yvonig me racontait toujours cela avec indignation. Jeune lieutenant en Algérie (il avait «fait» Cherchell), il avait dénoncé au Colonel les tortures commises dans sa zone d'autorité. Pour toute rétribution, il s'était rapidement retrouvé «sur un piton», comme on disait à l'époque, à la tête d'une compagnie d'appelés. Nul doute que cela avait contribué à faire de lui un véritable chef, respecté parce que lui-même rempli de compassion et de respect pour les autres.
C'était un grand travailleur. À un âge où la plupart décident de se consacrer au repos ou aux loisirs, il continuait à ferrailler sur tous les fronts de la Bretagne culturelle : Président de Coop Breizh jusqu'en 2003, Président de l'ICB/SUAV depuis 1999 bien sûr, mais aussi fondateur et animateur de l'Université bretonne populaire de Lorient, membre actif du cercle d'action humanitaire des Kiwanis. Tout cela, en plus de son lourd travail d'écrivain et des nombreuses conférences qu'il acceptait de donner gracieusement ici et là sur les sujets qui lui tenaient à cœur.
Avec lui, j'ai pu organiser neuf colloques du Congrès de l'Institut et neuf cérémonies de remise du collier de l'Ordre de l'Hermine, plus d'une trentaine de Conseils d'administration, plus d'une vingtaine de Conseils de Promotion et d'Animation (de concert bien sûr avec Pêr Denez puis Jean Cévaer, vice-Présidents) ainsi que huit Assemblées générales. J'en établissais systématiquement les actes et je peux aujourd'hui m'honorer du fait qu'il ne m'ait qu'à une seule occasion demandé d'en modifier un point sensible. Constamment dans une logique de chantiers et de projets concrets, de préférence aux concepts abstraits et aux notions immatérielles, nous avions confiance l'un en l'autre et étions la plupart du temps sur la même longueur d'ondes. Ce sont ainsi plusieurs dizaines d'autres colloques, événements ou manifestations exceptionnelles comme les «Assises de la culture bretonne» de Carhaix en mai 2005, que nous allions organiser ensemble.
Cette entente (qui n'a pas exclu des coups de gueule lorsque la tension sur nos épaules était trop vive) se fondait sur un seul idéal, double et commun à l'un comme à l'autre : rassembler et ouvrir.
Rassembler les Bretons, hors de tout sectarisme et de tout esprit de chapelle, c'était bien le leitmotiv d'Yvonig Gicquel : l'Ordre de l'Hermine (qu'il présidait) revêtait à cet égard pour lui toute son importance en tant que distinction symbolique. La cérémonie de remise du collier de l'hermine officialise en effet la reconnaissance due à des Breton(nes) souvent peu connus de leurs propres compatriotes, mais ayant excellemment servi leur pays. Unique manifestation publique au cours de laquelle la Bretagne apparaît comme peuple et très ancienne nation, le lien avec la période de la souveraineté y est en outre affirmé comme essentiel. Nous avons appris récemment (au Congrès de septembre à Rennes) de la bouche de Michael Jones, que, de tous les pays celtiques, seule la Bretagne a su ainsi donner une continuité à son ordre de chevalerie. C'était aussi, insistait-il, une des plus anciennes distinctions européennes, instaurée par Jean IV pour unir les Bretons, divisés par plusieurs décennies de guerres intestines. Yvonig aura donc sans nul doute beaucoup souffert ces derniers mois, de constater qu'en cette Bretagne du XXIe siècle, les dissensions stériles trouvaient encore parfois libre cours, que l'invective et la chasse aux sorcières se substituaient trop fréquemment à la morale et à l'éthique et que l'unité restait toujours aussi difficile à atteindre, y compris au sein même du mouvement culturel.
Rassembler et ouvrir le mouvement culturel : il suffit de consulter la liste des thèmes de Congrès de l'ICB pour constater combien cet impératif que nous avions lui et moi en commun a été respecté dans plusieurs des colloques publics construits avec nos présidents de section, ainsi notamment :
Avec Yvonig, nous eûmes notre lot d'épreuves et je dois même dire, plusieurs coups durs, mais nous connûmes bien sûr aussi de grands moments de bonheur et de réussite. J'en retiendrais pour ma part quatre :
Yvonig Gicquel était pénétré de l'histoire du Peuple breton, qu'il connaissait dans le détail et dont il voulait à tout prix qu'elle se perpétue. Le travail accompli – autour d'Yves Lainé et aujourd'hui Jean-Pierre Levesque - dans la nouvelle section «Droit et Institutions», que nous avions décidé de créer en avril 2001 pour donner à l'ICB son collège juridique et l'intéresser à notre existence collective future, était pour lui, à cet égard, tout à fait fondamental et il participait d'ailleurs très activement à l'ensemble de ses travaux et interventions. Il était pour lui inconcevable qu'un jour la Bretagne ne recouvre pas – comme d'autres peuples d'Europe un temps oubliés - l'essentiel de ses droits légitimes, évidemment accompagnés des moyens institutionnels et budgétaires qui en découlent normalement, sous diverses formes et sous toutes les latitudes. Il se sera battu pour cela jusqu'au bout.
A Régine, son épouse, à ses enfants, je veux dire aujourd'hui toute ma tristesse.
Yvonig, ne vi ankouaet ganimp, kenavo dit er bed all !
Bernard Gestin, ancien directeur de l'Institut culturel de Bretagne/Skol-Uhel ar Vro (2000-2008)
■