Les députés de la «France Insoumise» se sont opposés à l’unanimité à la loi Molac sur les langues dites régionales. L’analyse du scrutin par l’Assemblée nationale est accessible ici. La seule députée LFI qui avait voté pour, Bénédicte Taurine, s’est retractée. A peine six mois auparavant, elle défendait l’occitan. Voir ici. Comme quoi, les «insoumis» français sont particulièrement soumis et bêtement disciplinés.
LFI est le seul groupe politique à défendre le monolinguisme d'État, et la France est un des derniers grands États monolingues. Les LFI ne sont pas seulement des opposants à la langue bretonne, mais à toutes les langues sous domination française, de l’occitan de Frédéric Mistral, trahi par Bénédicte Taurine, jusqu’au créole de mes amis réunionnais. Le double langage des supplétifs de province est néanmoins toléré par les grands chefs à l'approche des élections. Voir ici
Le groupe LREM est partagé. Les députés bretons et bien d’autres ont voté pour, enfreignant les directives venues d’en haut. Eux, ils ont fait preuve d'insoumission. Dans les autres groupes, les députés n’ont pas voté contre, même les élus du Rassemblement National et les Communistes, pourtant de tradition jacobine. Les uns ont voté pour, les autres n’ont pas pris part au vote. Ce genre d’hypocrisie montre que le vent tourne. La morgue qui accompagnait les incantations de la France une et indivisible n’est plus d’actualité. Tant mieux.
Qu’est-ce que l’insoumission ?
Quand j’étais jeune, j’ai fait 15 mois de prison militaire pour «insoumission et refus d’obéissance». L’insoumission était alors quelque chose de concret. C'était une désobéissance à des lois. L'insoumission comportait une prise de risque. La sanction, quand vous refusiez de porter l’uniforme lors du service militaire, pouvait aller jusqu’à 24 mois de prison. En temps de guerre, c’est la peine de mort. Je n’ai pas été le seul insoumis breton.
Jean-Luc Mélenchon s’est emparé du terme «insoumission» pour en faire quelque chose d’accessible à tous les petits bourgeois frustrés de l’Hexagone et à toutes les dames patronnesses en mal de confort intellectuel. Une sorte de bonbon idéologique pour les gamins qui rêvent d’aventures, mais sans lâcher la main de papa. Il en a fait de même avec d’autres mots, comme «république». Les mots, quand on les vide de leur sens, permettent de tresser facilement des appels révolutionnaires. Les discours, alors, sont aussi généreux et aussi vides que les sermons des curés d’il y a cinquante ans. Les curés les plus réacs prononçaient leurs sermons en chaire, ce qui rendait la réplique impossible. La «France Insoumise» rajoute à ses discours une bonne dose d’indignation, ce qui permet, là aussi, d’éviter toute discussion loyale.
A la question «Insoumis à quoi ?», Mélenchon répond : au capitalisme, à la tyrannie, à l’argent. C’est tout ? C’est vraiment jouer petit bras. Avec une telle arnaque intellectuelle, on peut aussi se proclamer insoumis au cancer, à l’incompétence (des autres), au mauvais temps, au coronavirus et à des milliers d’autres choses encore.
Ils défendent un capital
Arrêtons-nous sur le capitalisme auxquels sont «insoumis» ces gens, dont la plupart n’ont jamais travaillé sous les ordres d'un patron capitaliste.
Le capitalisme, celui de la révolution industrielle, est lié à la production et à la consommation de masse. Le XIXe siècle a été le siècle d’or du capitaliste industriel. Au XXe siècle, il a cédé la place au capitaliste financier. Au XXIe siècle, nous sommes passés à une société de l’information, à une société du savoir. La révolution numérique a produit une information de masse et un savoir de masse. Le savoir c’est le pouvoir ! Celui qui détient un capital de savoir a des prétentions politiques. Les passions se déchaînent entre les possesseurs de savoirs -réels ou imaginaires- : technocrates, leaders populistes, hommes de médias, nouveaux philosophes, scientifiques ambitieux, créateurs de start-ups. Les anciennes générations de capitalistes, ceux que les communistes appelaient les 200 familles, ont pour la plupart disparu. Ils ont cédé la place à des nouvelles figures, comme Bill Gates, qui ont créé des empires internationaux.
La «France Insoumise» se dit anticapitaliste. Mais elle défend un capital culturel dominateur qui, comme le capital industriel et financier, a largement prouvé son rôle oppresseur. Inutile de développer ici le rôle de la langue française dans les pires aspects de la colonisation. Je citerais seulement Paul Bert, héros de la République, qui résumait en une phrase sa mission lorsqu’il devint résident-général du protectorat de l’Annam-Tonkin, l’actuel Vietnam, en 1886 : «Il faut placer l’indigène en position de s’assimiler ou de disparaître». Sur le site Contreculture.org, j’ai démasqué d’autres icônes de la pensée française.
Défendre un capital culturel dominant contre les langues natives et les créoles, dans l’Hexagone et outre-mer, n’a rien d’une insoumission. C’est même le contraire. C’est revendiquer le pôle réactionnaire de l’échiquier politique. On croyait la place occupée par le Rassemblement National. Il est vrai que le RN revendique maintenant un autre pôle, celui de la représentation des catégories sociales déconsidérées ; ceux qui, au travail, portent un gilet jaune. Ce swing nous change des clivages traditionnels de la politique. Tout évolue en ce moment. Il faut remettre à plat nos habitudes de pensée, sous peine de ne plus rien comprendre à la politique.
La revendication républicaine
La République En Marche fait de la sous-enchère sur la droite et la gauche, de manière à proposer une synthèse, le fameux «en même temps». La France «insoumise» fait l’inverse. Elle fait de la surenchère sur la gauche et sur la droite, sur les Socialistes et sur les Républicains. La référence historique en est les jacobins de la Révolution française. Ce modèle, fusion originale de l’incompétence, du mépris, des grands mots et de la pulsion de mort, est un trait culturel enraciné dans l’histoire de France. Les programmes scolaires en font un modèle devant lequel le citoyen doit s'incliner.
Pour conclure, on pourrait résumer le républicanisme de la «France Insoumise» en paraphrasant un homme politique célèbre : «Tout dans la République, rien contre la République, rien hors de la République». Beau slogan progressiste, n'est-ce pas ?
Le dynamisme des communautés
Le communisme, dont Mélenchon se veut le légataire universel, avait accompagné la révolution industrielle et la production de masse. Les communistes voulaient, comme leur nom l'indique, organiser la «communauté des producteurs» face au capitalisme industriel. Aujourd’hui, l’organisation en communautés accompagne la révolution numérique et le savoir de masse. Les communautés défient la propriété intellectuelle comme les communistes s'attaquaient à la propriété industrielle. Des communautés d'informaticiens créent et diffusent des logiciels libres. Des communautés de malades contestent les brevets des laboratoires pharmaceutiques ; bientôt, elles fabriqueront des médicaments génériques. Des communautés éphémères de touristes lancent des appels d'offres auprès des voyagistes. Les adolescents se moquent de la propriété intellectuelle des artistes de variétés.
D’anciennes communautés, comme la communauté bretonne, sont à l’aise dans cette révolution. Elles revivent, après l'étouffoir jacobin. La communauté bretonne se reconnait dans son originalité culturelle. Elle surfe sur internet. Elle y diffuse et y stocke sa langue. Le breton est la 83ème langue sur Wikipédia, avant bien des langues officielles d’États reconnus par l’ONU. Je bénis ces magnifiques et discrets bénévoles qui travaillent dans l’ombre. Le Wikipedia en breton compte 93 contributeurs et 3 administrateurs. Ce sont eux les vrais révolutionnaires. Ils bousculent l’ordre ancien, comme ces professeurs bretonnants qui font de nos enfants et petits-enfants des multilingues.
L’avenir est aux nouveaux insoumis bretons, pas aux «insoumis» français.
■Car ce dernier se soumet très bien à l’idéologie jacobine et, fidèle admirateur sans risques de la voie ouverte par le vertueux déclencheur de la Terreur révolutionnaire. se revendique toujours robespierriste. C’est probablement pourquoi il fut d’abord longtemps trotskiste. En effet, si l’on pense que «la fin justifie les moyens» et que la violence est un moyen comme un autre …
Amalgamant la notion de «république» et celle de «centralisme jacobin», il se présente en défenseur de la seule forme de république qui lui semble exister : la monarchique. Fédéralistes, girondins, régionalistes et j’en passe : traîtres à la République ! ( En réalité à SA république ). Il fustige du coup les Bretons «réactionnaires» qui défendent une identité plus ancienne que celle de la France, mais sans y voir de hiatus, s’enorgueillit à un autre moment de son ascendance andalouse…
Pourtant, les chambardements promotionnels de la Révolution se faisant attendre, il finit par enfourcher le cheval plus paisible et plus sûr du socialisme «réformiste» alors au pouvoir, suffisamment en tout cas pour en être rapidement récompensé par un poste de secrétaire d’Etat, avant d’enchaîner sur une copieuse somnolence de 20 ans dans la pourpre des fauteuils sénatoriaux.
Alors : insoumis ?
En paroles, ce bonimenteur en convaincra - ou du moins en rassemblera - à son heure un nombre non négligeable : orphelins idéologiques en désarroi par l’évolution des temps, tellement soulagés de pouvoir se raccrocher à son révolutionnarisme verbal qu’ils en oublient sa soumission effective aux revenus et avantages divers de la «République bourgeoise» qu’il est censé combattre.
L'uniformisation de la République française nous oblige à être des vrais insoumis à des lois scélérates, à pratiquer la désobéissance civil.
« La [Bretagne] ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec [la France]. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les [Français], ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage [...]. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »
N'en déplaise à certains «bisounours».
Vous avez complètement raison. Stalinisme et trotskisme sont effectivement politiquement incompatibles, tellement incompatibles d'ailleurs le petit père des peuples (Josef) a fait assassiner le fondateur de l'Armée rouge (Léon) au Mexique. Mais vous l'aurez compris, je donnais à «stalinien» le sens imagé de parti monolithique, aux mains d'un seul homme ou d'un petit groupe d'hommes, avec une ligne politique dont il ne s'agissait surtout pas de s'écarter sous peine d'exclusion (ou de mort en d'autres époques). Cordialement,
La pensee LFI va bien au dela du jacobinisme ou des communistes industriels, ce sont des religieux robespieristes.