Les enfants apprennent aux petites écoles que la guerre en Europe s'est finie le 8 mai. Comme beaucoup de ce que l'on apprend, ce n'est pas tout à fait exact. La guerre en Europe s'est finie dans un champ au centre de la Loire-Atlantique. Les derniers canons d'Europe à s'être rendus se trouvaient en pays de Retz. La guerre en Europe s'est finie en Bretagne.
La guerre en Europe s'est achevée le 11 mai 1945, il y a 67 ans, par la reddition solennelle de la Poche de Saint-Nazaire, un réduit de résistance allemand qui comprenait le tiers ouest de la Loire-Atlantique, au nord et au sud de la Loire. Le front s'étendait à l'est à plus de 60 km de Saint-Nazaire, partant de la Roche-Bernard jusqu'à Cordemais, puis de la commune de Frossay à Pornic, alors que le reste de la Loire-Atlantique était libéré de début août à fin septembre 1944. Tenu par des FFI et des résistants pour la plupart locaux, issus souvent des « empochés », habitants qui dans le réduit allemand connurent neuf mois d'occupation supplémentaires, de début août 1944 au 11 mai 1945, le front de la Poche est l'un des principaux théâtres d'opérations militaires de longue durée où sont intervenus les résistants et aussi l'un des plus délaissés par la mémoire et l'histoire publique. Si on exclut évidemment la mémoire locale qui ne s'endort pas.
La Poche, deux fronts en ruine, Saint-Nazaire bombardée d'un côté, des villages tout le long du no man's land arrosés sans arrêt tous les jours du siège par des obus. Guenrouët, 80.000 obus, dont 35.000 sur le seul bourg. La partie de Saint-Omer de Blain située à l'ouest et au sud du canal, jusqu'au Fession, tous hameaux vidés, écharpés, bombardés, brûlés. A Bouvron, les lignes encerclaient la croupe sur laquelle est juché le village, passaient au fond d'un ruisseau, gravissaient la crête d'un moulin éventré par les mortiers. Bouvron, où en novembre 1944, la moitié du village, « du calvaire sur la route de Fay jusque l'église » était rayée de la carte. La Poche. Une mémoire en ruines, un front aujourd'hui invisible.
Les empochés se terraient. Mais vivaient tout de même. Passaient les lignes et les faisaient passer. Aux aviateurs tombés au-dessus de la Brière. Pour le ravitaillement. A Notre-Dame de Boulogne, sur la Vilaine puis à Lavau. Les marais, vastes terres hostiles aux envahisseurs, abritaient les résistants et servaient de portes d'entrée sur la Poche. Ils vivaient, l'espoir dans l'âme, la vie jusqu'au fond des tripes. Fermiers, réfugiés de Nantes (Coislin) et de Saint-Nazaire, militaires pris dans la pagaille, résistants, attentistes. Vivaient, se soutenaient. Osaient. Partir au travers des champs de mines, comme les habitants de Fession fin novembre 1944, poussant leurs bêtes de ferme devant eux, droit vers l'est, vers les lignes américaines, les terres libérées. Passaient les fleuves, transbordant hommes et renseignements vers les résistants, de l'autre côté des lignes. Ainsi cette note du poste de Saint-Étienne de Montluc, au sujet des embarcations pour aller dans la Poche, ce qui était quotidien ou quasiment : tous les canots doivent accoster à la Gicquelais (…) tous les civils passant de la Poche (même avec des papiers signés correctement) doivent être amenés au 2e bureau du sous-secteur, sous-entendu pour donner des renseignements.
Le 11 mai, le soleil brille sur Bouvron, sur les villes du front est de la Poche en ruine. La reddition se fait dans le champ de course du Grand Clos envahi par l'herbe, à l'ouest du bourg. Au cours de cette cérémonie, le général Junck commandant la Festung Saint-Nazaire (forteresse St Nazaire) remet son arme au général américain Kramer en présence du général Chomel, du préfet de Loire-Inférieure, Alexandre Vincent et de détachements français et américains. La signature de la reddition avait eu lieu trois jours avant, le 8 mai au lieu-dit Les Sables sur la commune de Cordemais, mais contrairement à une idée établie, la signature n'avait pas entraîné la cessation des combats, et l'on se battait encore dans le sud-Loire jusqu'au matin du 11 mai. A midi, les artilleurs de Préfailles, qui ne voulaient pas se rendre aux FFI, clouèrent leurs pièces et se rendirent à des Américains. La guerre en Europe était finie.
Aujourd'hui, les églises abattues de la Poche, les bourgs rasés pendant les combats, de part et d'autre de la ligne de front, ont été reconstruits. Saint-Gildas des Bois, Bouvron, Saint-Omer et Rieux, libérés mais où les Allemands avaient fait sauter les églises, Guenrouët où la foi se terrait dans des chapelles provisoires, immortalisées sur les nouveaux vitraux du chœur (voir le site) Les flèches des bourgs ont porté l'espoir, et sont encore la mémoire la plus visible, la plus prégnante, de la foi d'un pays qui malgré la perte d'une génération dans les tranchées d'une guerre et les ruines de la suivante, gagne toujours contre l'adversité. Mais la mémoire aujourd'hui s'éteint avec ses porteurs. Mémoire d'un front héroïque, mémoire des résistants, mémoire des paysans abattus par les occupants, mémoire des destructions, mémoire de ruines, mémoire de combats. Il est temps que cette mémoire vive en-dehors des cantons où elle est née, où la Poche a meurtri. Allez voir le monument de la reddition, grande croix de Lorraine frappée d'un glaive à l'ouest du bourg de Bouvron. Là s'est finie la guerre en Bretagne, là s'est finie la guerre en Europe, c'était le 11 mai 1945.
Dernièrement, à la suite de nombreux débordements, la possibilité a été donnée de restreindre l'ouverture aux commentaires pour les articles. Je publierai, par défaut, mes articles ouverts aux commentaires, à l'exception de ceux qui traiteront de la commune de Bouée et de la 2nde guerre mondiale. Exception à l'exception : les articles traitant de la Poche de Saint-Nazaire resteront, tant qu'il ne survient pas de débordements, ouverts aux commentaires. Merci à tous de faire attention.
Au sud de la Loire, il existe une très complète histoire de la Poche au jour le jour faite par Michel-Alexandre Gautier (voir le site) qui donne aussi les généralités concernant la Poche elle-même.
Au nord de la Loire, il y a le musée de Batz (voir le site) qui présente des objets retrouvés en Poche et des témoignages collectés auprès de nombreuses personnes qui ont vécu les événements.
Par ailleurs, je vis moi-même quand je suis en Bretagne, à 800 mètres du front est de la Poche, j'ai collecté de nombreux témoignages dans les alentours immédiats et des documents d'archive. Pour que vive la mémoire, pour que vive l'histoire de la 2nde guerre mondiale en Bretagne, je m'efforcerai de les publier sur l'ABP.
Louis-Benoît GREFFE.