Ma tribune dans Le Peuple Breton : « Il faut dépasser le cadre des États-nations »

Communiqué de presse publié le 12/01/18 19:39 dans politique par pour

Le mensuel Le Peuple Breton a publié sur son site internet une tribune dont je suis l’auteur sur l’analyse politique des situations en Catalogne et en Corse suite aux récents scrutins électoraux.

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Il faut dépasser le cadre des Etats-nations

La victoire récente des nationalistes corses est éclatante. Certaines personnes ont bien essayé de faire peur sur l’indépendance de la Corse et, ce qui, pour les continentaux, est considéré comme un peu folklorique : la co-officialité de la langue et le rapprochement des prisonniers. Disons-le clairement, l’argument sans doute le plus utilisé est la balkanisation, la désagrégation de l’Europe après le Brexit, la Catalogne et la Corse. Même Jean-Luc Mélenchon croit voir dans les nationalistes corses des alliés anti-européens.

Pourtant, ce nationalisme corse, qui est davantage autonomiste qu’indépendantiste, n’est pas de la même nature que le nationalisme français porté par Jean-Luc Mélenchon ou par Marine Le Pen, voire par des membres de partis politiques nationaux démocratiques. La grande différence est que les petits peuples, au moins en Europe occidentale, voient leur avenir dans l’Europe. Une Europe qui les respecterait et qui fait une véritable politique de cohésion territoriale. Les Catalans qui sont contributeurs nets au budget européen veulent y rester. Les Écossais parlent de quitter ce Royaume-Uni qui a dit non à l’Europe pour justement y rester. Les Corses avouent que l’indépendance, si elle devait arriver, ne serait que pour dans longtemps et les Bretons, qui ont souvent un fort sentiment de vouloir gérer eux-mêmes une partie de leurs affaires, seraient dans le même cas de figure. Ces peuples ont tout simplement le sentiment de leur faiblesse dans un monde où les grands États ont des tailles continentales. Ce sont des peuples et des nations, sans même parfois avoir été des États, qui n’ont pas de sentiment de supériorité, pas de volonté d’hégémonisme, et acceptent souvent le dialogue et, dans la plupart des cas, la pluralité des appartenances. Par contre, ils ne veulent plus être niés et méprisés.

Le nationalisme des grands États-nations qui se sont construits historiquement contre l’idée d’Europe est différent. Il est hégémonique et exclusif. Exclusif car ces grands États n’acceptent pas la pluralité des appartenances. Il ne peut y avoir qu’un seul peuple, qu’une seule nation, qu’un seul État. Dans les cas extrêmes de cette idéologie, comme en France, ils refusent de reconnaître leurs minorités, les nient juridiquement et entretiennent à dessein la confusion entre citoyenneté et nationalité. Ils sont hégémoniques, se présentent comme universels et mythifient le souvenir d’avoir été des grandes puissances mondiales et coloniales. L’Europe, ils la veulent à leur image, n’hésitant pas à utiliser la guerre, comme l’Espagne, puis la France et enfin l’Allemagne, voire le Royaume-Uni. Pendant trois siècles, ils ont entretenu une guerre civile européenne soit pour dominer, soit pour empêcher le pays le plus puissant de les dominer.

Ce n’est qu’en 1945 que les Européens se sont décidés à changer leur modèle. Ils ont compris que dans le monde qui s’annonçait, ils risquaient fort d’être dominés par des États extra-européens. Cette vision de leur faiblesse future et de leur inconséquence qui s’est traduites par des millions de morts, les a incités à s’unir dans la diversité. Nous voyons cependant bien aujourd’hui que le souvenir de la seconde guerre mondiale s’estompant, les vieux démons resurgissent : ceux du nationalisme de conquête où le voisin n’est plus qu’une proie dont le destin est de devenir ce que nous sommes. La nostalgie guette des pays comme la Hongrie, l’Autriche ou encore la Pologne.

La France est sans doute l’archétype de ce phénomène. La droite regrette les grandes figures militaires, dont Napoléon. Elle rêve à une Europe qui ne serait qu’une grande France et refuse bien sûr de reconnaître les minorités qui la compose. Il est amusant de voir « le pays des droits de l’homme » refuser de signer toutes les conventions internationales qui parlent de minorités ou de langues régionales. Elle serait recalée si elle demandait aujourd’hui son entrée dans l’Union Européenne. Amusant de voir qu’un Breton comme moi est nié dans sa personnalité culturelle et nationale. Être breton cela n’existe pas dans le droit français, pas plus qu’être corse d’ailleurs. Encore plus amusant ou risible, les mêmes qui nous refusent toute existence légale en France ou en Europe, défendent les minorités ailleurs, les Kurdes par exemple. Un bel exemple de cartésianisme ou d’hypocrisie ? Pour la gauche nationaliste, qui n’a pas de mot assez dur pour le capitalisme français, la référence n’est plus Napoléon mais le peuple en armes, martyr pour sa liberté. Pour d’autres plus pragmatiques ce sera plutôt 1945. La France est pour eux l’État social par excellence. Le monde s’est arrêté soit à la période de la première révolution, soit à la reconstruction d’après-guerre.

En fait, les élections en Corse, en Catalogne ou en Écosse posent une question : comment faire évoluer nos États-nations vers des États plurinationaux résolument intégrés dans l’Europe ? Si nous n’empruntons pas cette voie, je crains que tôt ou tard, nous trouvions des formations politiques nationalistes et populistes qui réussiront à faire croire que ces États qui ont dominé le monde, peuvent encore le faire aujourd’hui et vivre sans se soucier des autres. Ils susciteront une réaction en retour des peuples niés comme ce fut le cas dans les années de la décolonisation. L’Europe sera vraiment en danger, car immanquablement, nous retomberons dans la guerre.

Nous devons également en finir avec un mythe : toute nation n’est pas destinée à avoir un État indépendant mais bien à s’inscrire dans une Europe plurielle, démocratique et respectueuse des peuples qui la composent. Le citoyen européen et français, de nationalité bretonne que je suis, le comprend totalement. Il convient donc de porter ce message dans les territoires qui sont les nôtres : en finir avec le bonapartisme et la centralisation pour aboutir à une vraie régionalisation, celle que l’on appelle autonomie. Le Président de la République aura-t-il la vision, le courage et la volonté d’emprunter cette voie qui nécessite un changement de la Constitution ? Avec l’élection des « natios » en Corse et certains dossiers bretons, nous le saurons bientôt. Mais pour faire de véritables réformes administratives, la case région est déterminante.


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