Humour et minorités en France : de Michel Leeb à Jamel Comedy

Conference debat publié le 15/02/11 22:56 dans Cultures par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Nelly Quemener doctorante à la Sorbonne

Le groupe ERMINE (Équipe de recherche sur les minorités nationales et les ethnicités) est une composante du laboratoire CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique) de l'Université Rennes 2.

Dans le cadre des séminaires Ermine à Rennes, Nelly Quemener, doctorante en Sciences de l'Information et de la Communication, ATER UFR Communication à l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, Laboratoire CIM, a présenté une communication sur le thème : « Ma mère est black, mon père est noir et moi je suis métisse ! » Elle a fait un exposé de ses recherches à propos des humoristes français d'origine africaine ces dernières années.

Michel Leeb, une vision colonialiste ?

La question est difficile. Difficile d'échapper aux clichés coloniaux d'un Michel Leeb singeant un Africain stupide, « esclave qui fait rire, celui dont on se méfie toujours car il peut tromper ses maîtres » (Stuart Hall). Il a un fort accent, restreint l'homme noir à un corps et à une pensée simpliste. Ce sketch, rejoué de nombreuses fois et qui a fait la popularité de Leeb, a été très critiqué par les humoristes noirs : le rire est un rire moqueur, content de l'infériorité de cet Africain que l'on peut exploiter, puisqu'il est si proche de l'animal, de ce peuple joyeux, un peu simpliste et innocent, proche de nos Bécassine et de nos Banania (voir : (voir le site) Les comiques actuels jouent de leur identité française et africaine de façon de plus en plus subtile. .

Elle a étudié la place des humoristes de groupes ethno-raciaux minoritaires sur le petit écran, montrant une évolution positive des année 1980 à aujourd'hui, le nombre d'humoristes augmentant, mais sur des chaînes bien particulières et des émissions spéciales. Les scores que font actuellement sur Internet et à la télévision SAV (service après vente) en sont une preuve.

Le Jamel Comedy ou le «gentil garçon arabe»

Spivak parle des minorités ethno-raciales qui ont moins « de facilité d'accès à la sphere publique ». Le chef de file de cette évolution est Jamel Debouze qui incarne le « garçon arabe de banlieue ». Dans son émission Le Jamel Comedy Club qui va enfin être acceptée par les directeurs des programmes après les émeutes de 2006, il va faire intervenir de nombreux artistes de toutes origines, leur point commun étant leur identité autre que seulement française.

Dans la salle, le public est pris à parti, participe, on lance des « vannes » aussi bien aux autres artistes qu'à un public, qui se voit dans l'émission filmé autant que les artistes. Jamel promet la diversité, de façon souple et peu différencialiste, il ouvre des espaces. Mais selon Nelly Quemener, « cet humour reste toujours ancré dans une logique compliquée de définition par rapport aux stéréotypes ». Comment ne pas enfermer les représentations ? 2007 connaît une augmentation exceptionnelle des humoristes sur le petit écran : Foresti, Jamel, Roumanoff, Gad Elmaleh, Dany Boon …

Le modèle d'émission,le stand up (humoristes debout, micro à la main, toujours en mouvement) est copié sur le modèle américain, avec des présentateurs vedettes comme Richard Pryer ou Eddy Murphy. L'humoriste est debout, les plans sont larges. On sort alors du café théâtre parisien pour ouvrir un imaginaire influencé par les Etats-Unis. Jamel a dans sa troupe un gitan obèse, une jeune femme blanche qui justement s'appelle « Blanche », la banlieue est unificatrice, il orchestre le tout en chantonnant entre chaque sketch « c'est ça la France ».

Avec Jamel, c'est « la permanence des hiérarchies socio-culturelles », il met en scène son origine de banlieue sans revendication politique. Il retourne le cliché du jeune Arabe dangereux et désarme ainsi toute agressivité potentielle. Jamel a beaucoup changé depuis cette époque : il a une image plus politique, il est davantage tourné vers le cinéma. De culture marocaine, il défend les valeurs familiales, sa religion musulmane. Il vient divertir les blancs du plateau, représentant le gars de banlieue qui a réussi, avec un double handicap physique et social, venant de banlieue et ayant un bras paralysé.

Mais Jamel est inoffensif, il s'éloigne de la critique politique et laisse toute sa place à l'hégémonie blanche. Il se réinstalle de lui-même au bas de la hiérarchie, par exemple quand il accueille Laetitia Casta et qu'il dit qu'elle est trop belle pour lui. Identité négative bien intégrée, comme l'a définie Louis Elegoet.

Il accueille dans son émission de l'époque trois humoristes que Nelly Quemener va s'attacher à présenter car selon elle ils représentent différentes facettes de l'évolution actuelle de la représentation de ces identités plurielles.

Thomas N'Gijol

Thomas N'Gijol vient du Cameroun, il a un regard critique sur son pays d'origine. Il représente un Noir bien intégré. Dans son sketch sur Superman, il montre la sympathie qu'il éprouve à l'égard des Africains, et sa méfiance à l'égard d'un « Superman noir » devenu dictateur et oubliant son peuple. Dans l'imaginaire américain, il existe un « homme noir cool » que Thomas N'Gijol incarne bien. Il se réapproprie le regard de l'homme blanc, tout en pratiquant une auto-dérision sur sa propre origine. Voir à ce sujet les deux compères Jamel et Thomas se relançant sur Canal Plus : (voir le site)

Patson

Il met en scène son africanité, et affirme son identité d'homme noir en France. Son discours est plus incisif, aussi Jamel va-t-il atténuer ses propos en disant à la fin de sa prestation « j'adore ce mec mais je comprends rien à ce qu'il dit ». Cette attitude n'est ni dangereuse, ni excluante. Ici, la dimension devient carnavalesque, voire « cauchemardesque », il incarne le fantasme de l'homme africain (virilité, sexualité, danse, pouvoir, magie...), il parle une langue africaine (c'est la première et la seule présentation sur scène de la langue). Patson est charismatique et la salle lui répond de façon cathartique. Il utilise la dénonciation quand dans son sketch, son oncle prend une place handicapé au supermarché, il répond alors au policier qui l'interpelle : «être noir en France, c'est pas un grand handicap ? ».

Il se rit aussi des sans papiers, de l'expulsion des Africains, en demandant de ne pas trop bronzer cet été sur les plages, au risque d'avoir des ennuis.

Patson active l'ensemble des peurs de l'homme blanc. Il exprime la violence permanente du racisme, il l'actualise au gré des événements politiques. Il se joue de la diversité culturelle affichée par le système politique français. Paston bouge, danse, il met un costume africain, ses spectacles cathartiques seraient-ils en train de mettre en place une forme de réparation, de remise en place d'une identité noire qui s'assume pleinement et montre sereinement au pouvoir ce qu'il lui a fait vivre ?

Nelly Quemener parle en ce qui le concerne, d'identité « hybride ». Ne peut-on pas utiliser le terme de « biculturel », comme tant de gens dans ce monde, n'en déplaise aux franco-français monolingues ? On a une identité « hybride » quand on a deux identités ? Et peut-on faire de l'humour sans utiliser des stéréotypes ?

Claudia Tagbo

Elle est la seule femme de l'équipe de Jamel est une sorte de mélange des deux comiques précédents : elle allie trois facteurs de discrimination : elle est femme, noire et issue d'un milieu socialement défavorisé. Elle a la posture de Paston, faisant appel à un certain imaginaire exotique de la femme noire, des formes généreuses sur lesquelles elle joue, elle apostrophe le public, et surtout les hommes pour que les rapports de pouvoir s'inversent. Elle invective, transforme l'assujettissement en instrument du pouvoir. Aujourd'hui, Claudia et une autre humoriste noire, Charlette Fanon se produisent à Paris dans des sketches qui mettent en scène leurs trois facteurs d'exclusion. Même si globalement on observe plutôt un recul sur le petit écran de la « révolution Jamel », de nouvelles formes qu'inaugurent ces deux femmes semblent , une nouvelle façon de faire de l'humour quand on parle des minorités ethno-raciale.

L'humour est-il une stratégie d'empowerment ? Que produisent ces comiques ? Une indifférenciation,montrant que la république traite bien ses minorités, ou bien une confrontation de type politique mettant en évidence les discriminations et les difficultés des populations de couleur en France ? .

Les points oubliés par Nelly Quemener : la langue (seul un humoriste va utiliser sa langue maternelle pour un sketch) et les identités régionales en France qui subissent le même sort et sont tout autant minorisées, malgré là aussi un développement récent des humoristes qui parlent de leur accent, de leurs origines, pour faire rire, et attendrir le public : Dany Boon en Picardie, Lors Jouin ou Kergrist en Bretagne … Elle n 'aborde pas du tout ces questions qui ont pourtant de nombreux points communs.

Humour et pouvoir politique, fous du roi dans les Guignols de l'info, sur France Inter ou Canal plus, dans quelle mesure l'humour peut-il changer les choses  ou les faire accepter ? ■


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