Le CRBC organisait en fin de semaine dernière deux jours de colloque au Manoir de Kernault autour de la figure de Théodore Hersart de La Villemarqué à l'occasion du bicentenaire de sa naissance.
Les divers intervenants ont tenté avec succès de cerner la personnalité de l'auteur du Barzaz Breiz en abordant son environnement familial, ses engagements politiques, ses réseaux, ses liens avec le Pays de Galles, ses différents ouvrages.
Deux journées particulièrement éclairantes et qui m'ont permis de mieux comprendre les polémiques très violentes dont La Villemarqué fut l'objet pendant des décennies et même pendant près d'un siècle. Rappelons qu'assez rapidement, La Villemarqué fut accusé d'avoir inventé les textes du Barzaz Breiz, polémique qui allait durer jusqu'à ce que Donatien Laurent étudie les cahiers de collectage conservés dans la famille La Villemarqué et établisse la véracité du collectage effectué par Théodore Hersart.
C'est au fil des différentes interventions et aussi des remarques et questions du public que je me suis fait une idée assez précise des raisons qui ont poussé certains, pendant près d'un siècle, à vouloir absolument détruire ce personnage et son oeuvre.
On peut finalement dire que le Barzaz Breiz est un peu l'arbre (très gros arbre !) qui cache la forêt des actions de La Villemarqué qui ont influencé la Bretagne et sa culture jusqu'à aujourd'hui.
En participant à l'Eisteddfod d'Abergavenny en 1838 au Pays de Galles, La Villemarqué pose ce que l'on pourrait appeler la première pierre des relations interceltiques des temps modernes, relations qui ne cesseront de se développer jusqu'à aujourd'hui. Alors bien entendu, en cette période de romantisme qui marque la première moitié du XIXe siècle, la vision développée par La Villemarqué et ses collègues nous paraît empreinte de rêves et de brumes bien éloignés de la réalité mais il n'en reste pas moins que La Villemarqué est l'un sinon le fondateur de l'interceltisme.
Jusque là, je n'avais pas trop fait attention aux liens profonds entre La Villemarqué et Jean-François Le Gonidec, le grand linguiste. C'est en s'appuyant sur les travaux de Le Gonidec que La Villemarqué va tenter d'imposer une réforme orthographique de la langue bretonne ainsi qu'un travail sur le vocabulaire en s'inspirant de l'exemple gallois. Avec plus ou de moins de succès, La Villemarqué sera pendant des décennies le porte-parole de la modernisation linguistique bretonne par volonté de sortir la langue bretonne de l'état dans lequel elle lui semblait se complaire. Cette volonté sera reprise par d'autres durant le siècle qui suivra et provoquera des débats sans fin assez violents jusqu'à la fin des années 1990.
Le XIXe siècle a été marqué par ce que l'on nomme le réveil des nationalités avec le retour sur la scène européenne de peuples qui jusque là avaient disparu, enfermés et étouffés par les empires, royaumes et autres républiques, Tchèques, Écossais, Croates, Irlandais, Baltes, ce sont des intellectuels, des artistes, des écrivains, des musiciens qui remettent à l'honneur leur propre culture en tentant de la mettre au niveau des grandes cultures européennes dominantes. C'est dans ce contexte européen que l'on peut replacer La Villemarqué et ses amis. Grâce à leur travail et à leurs oeuvres, la Bretagne a retrouvé sa place sur la carte européenne. Même si la dimension politique en Bretagne aura pris moins d'importance qu'ailleurs tout au moins dans l'immédiat, le résultat fut que la Bretagne, sa culture et sa langue, retrouvèrent une nouvelle jeunesse aux yeux des intellectuels européens.
La violence des attaques contre le Barzaz Breiz peut s'expliquer bien entendu par diverses raisons, notamment du fait de fortes inimitiés personnelles, des problèmes d'ego, etc. Mais le fait que ces attaques continuèrent longtemps après la disparition de La Villemarqué m'amènent à penser que le sujet véritable n'est pas le Barzaz Breiz en tant que tel. L'inimitié, la haine, les attaques développées contre La Villemarqué portent en fait sur son rôle joué à travers ses oeuvres, ses actions pour la renaissance de la Bretagne, de sa culture et de sa langue.
On a voulu l'enfermer dans des accusations de menteur, affabulateur, réactionnaire mais rien n'y a fait. Grâce à son travail et à celui de ses amis, la Bretagne a pu retrouver sa place au sein des cultures européennes, au grand désespoir sans doute de ceux qui auraient voulu (voudraient) confiner la Bretagne au rôle de province quelque peu folklorique.
Il est évident qu'il s'est retrouvé devant une tâche titanesque.
Concernant la véracité des paroles rapportées, il est étonnant que même à l'époque on ait pu s'en offusquer. Les dits chants ayant « mutés » au cours des générations. Le breton était également parlé différemment d'une région à l'autre. Il est également plus que probable qu'il y ait eu des « arrangements » de textes, une sorte de restauration de chef-d'oeuvre en péril, aux générations futures que nous sommes de rétablir la vérité. Pas de quoi fouetter un chat.
Cette compilation s'inscrit dans un mouvement populaire de l'époque. Ce mouvement européen établissait une carte des régions (ou autrefois pays) ainsi que de leurs us et coutumes populaires. Hersart de la Villemarqué ne faisait alors que prendre le train en marche et publier une ½uvre qui devrait passer à la postérité. Les Bretons en général se désintéressaient de ces recherches puisque étant « noyés » dans ce chaudron de culture celtique.
Je ne pense pas qu'il ait eu maille à pâtir face à l'autorité française, car cette dernière, fort intéressée par ses travaux lui demanda de rechercher les relations qui pouvaient exister entre la langue celtique et le français. Vous n'êtes sans doute pas sans ignorer que le riche folklore celtique, oral, écrit, chanté, fut allègrement copié par des chanteurs du bro ch'all en manque d'inspiration (je vous rassure le phénomène continue...).
Concernant ses détracteurs, ils sont toujours légions lorsque vous n'êtes pas des leurs. Vos recherches peuvent être d'un niveau égal ou supérieur aux leurs, rien ni fera, vous êtes considéré comme un hérétique, car non adoubé. Ce ne sont pas les chercheurs indépendants ou bénévoles actuels qui me contrediront.
Pour terminer, je dirais tout simplement que ce livre, ou plutôt ce recueil, est un bon complément pour des chercheurs modernes qui peuvent y puiser des sources fiables d'événements historiques majeurs.
Il est également évident que la Villemarqué était un Breton convaincu, engagé, et que ses positions n'étaient pas pour plaire à certains. La révolution française et ses cortèges de malheurs ne sont pas si éloignés. Le réveil des exploits guerriers bretons peut être, ou pouvait être, considéré comme une sorte de sacrilège. La Bretagne doit mourir dignement, sans Histoire, sans langue, sans folklore, sans rien...
La parano dans toute sa splendeur, et ça dure...
Personnellement, je n'ai jamais été très enclin à penser que les détracteurs de La Villemarqué étaient crédibles.
Pour plusieurs raisons:
.1 le vieil antagonisme entre Francs et Bretons, même amorti au fil des derniers siècles, est encore sous-jacent. La Bretagne attire, subjugue, mais gêne aussi…car elle existe, ou a pour vocation historique et géographique d'exister en tant que telle ! Insupportable pour les partisans d‘un jacobinisme niveleur et allergiques à toute diversité
.2 la culture dite française, d'origine gréco-latine, se reconnaît et se complaît d'abord dans l'écrit. Elle se refuse à prendre en considération toute civilisation ou culture de l'oral. Or, la littérature dite « populaire » est réputée être de tradition orale. Etablir un texte harmonique, versifié dans sa forme et fort dans son contenu, n'est pas à la portée de n'importe qui. Même derrière l'apparent anonymat, on peut penser que s'exprime la patte d'excellents auteurs dont le nom n'est pas venu jusqu'à nous, à moins que par touches successives au fil des générations un résultat d'excellence n'ait été atteint. Dans ces deux cas, qui ne sont pas mutuellement exclusifs, c'est bien le modèle d'une civilisation de l'oral qui est dénié et vilipendé. Sans raison.
La démonstration de Donatien Laurent, non seulement blanchit La Villemarqué d'attaques ignominieuses, mais elle garantit la valeur et la force du Barzaz-Breiz, dont – notons-le au passage – on ne trouve pas d'équivalent dans la littérature française, du moins à ma connaissance. N'en déplaise aux adversaires de l'oralité.
.3..c'est une attitude intellectuellement inappropriée, régulièrement démentie par les faits, que de supposer que les hommes, dans leurs ½uvres picturales, littéraires, artistiques, s'attachent plus à produire de l'imaginaire désincarné plutôt qu'à décrire et porter trace de la réalité et du vécu expérimenté ou constaté autour d'eux. Pendant longtemps, des Chinois ont affirmé que les Américains n'étaient pas allés sur la Lune.
Pareillement, jusqu'à tout récemment on trouvait encore des historiens ou gendelettres pour s'amuser de récits anciens selon lesquels les Bretons avaient traversé la mer sur des auges de pierre. Nos gendelettres ne savaient pas lire ces textes, comprendre ce qu'ils nous disaient. Idem pour les saints anciens qui ne nous ont pas laissé leur carte d'identité ! J'ai entendu tel historien connu, et aujourd'hui décédé, annoncer que ne trouvant pas de trace écrite suffisamment contemporaine de tel saint ancien, vénéré et considéré, il ne pouvait conclure à son existence. C'est un peu court ! La dispute entre le savant en chambre et l'aventurier de terrain n'est pas nouvelle. Et elle est assez répandue.
Alors oui, le Barzaz Breiz est précieux. Et mérite d'être considéré sous des regards croisés. Puisqu'il est la mémoire d'une population.
N'edon ket en emvod Kernaod, siwazh. Chom a raio din ober gant al levr a vo embannet war e lerc'h an abadenn. Je n'étais pas au colloque de Kernaod. Attendons donc la publication des actes.