Gwenc'hlan Le Scouezec, objet du mémoire de Gregory Moigne

Interview publié le 19/07/12 23:19 dans Cultures par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Gwenc'hlan Le Scouezec.
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Gregory Moigne ; Bernadette Le Scouezec-Le Huche ; Per-Vari Kerloc'h au CRBC à Brest.
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Gwenc'hlan Le Scouezec.

Rencontre avec l'auteur lors du Gorsedd Digor de dimanche dernier.


ABP - Comment vous êtes-vous intéressé à la question du druidisme ?

Gregory Moigne : Déjà adolescent, la culture bretonne et celtique m'intéressait, je lisais ce que je trouvais là-dessus, j'écoutais parler les anciens. J'ai découvert la richesse de la culture bretonne, sa langue, son histoire. Il y avait de la contestation là-dedans, assurément : être breton, lutter pour sa culture, sa langue, face à la culture dominante. Et puis c'est une façon de mieux se connaître, de mieux connaître l'endroit dans lequel on vit. A la fac, je me suis « spécialisé » dans l'histoire de la Bretagne.

Quant au druidisme, c'est une spiritualité sur laquelle je me posais beaucoup de questions depuis des années : qui sont ces druides des temps modernes ? Quelles sont leurs références ? Leur histoire ? ...etc. et puis comment peut-on revendiquer une spiritualité celtique dans notre civilisation judéo-chrétienne ? J'y trouvais là-aussi une forme de contestation. De plus, le mouvement druidique contemporain est fortement lié à l'Emsav, au moins jusqu'aux années 1920. Il est donc inconcevable d'étudier l'histoire récente de la Bretagne en faisant l'impasse sur le druidisme contemporain.

Dès que j'ai eu l'occasion de reprendre mes études à côté de mon métier (je suis enseignant), je l'ai fait sur ce sujet : les archives de Gwenc'hlan Le Scouezec étaient au CRBC, à Brest, dans des cartons, et n'attendaient que moi ! Cela m'a permis d'avancer dans mes réflexions, mes recherches, d'éclaircir quelques points sur l'histoire du mouvement, son fonctionnement, le rôle de Gwenc'hlan.


ABP- En quelques lignes, pourriez vous résumer ce qu'est le druidisme en 2012 ?

G. M : Tâche ardue s'il en est ! Ce qu'on appelle « druidisme » est en fait la religion des anciens Celtes, dont les druides étaient les sacerdotes, en plus d'être des savants complets. Le mouvement druidique contemporain est composé de nombreux groupes, ne comportant parfois que 3 ou 4 membres. Il n'est pas restreint à la Bretagne : on en trouve dans toute l'ancienne Gaule, en Grande-Bretagne bien sûr, mais aussi au Québec, en Australie... De plus, ces groupes se distinguent par leurs fonctionnements différents, leurs « textes de références », leurs filiations. La Gorsedd de Bretagne, le plus important groupe de l'Europe continentale, est issue de la Gorsedd de Galles. Il existe le même type de groupe en Cornouailles, uniquement composé de bardes. Ces Gorseddau comptent à elles trois environ 2.500 membres.

La Gorsedd de Bretagne se situe sur le plan symbolique ; chacun est libre de ses croyances. D'autres groupes, plus petits, affirment, eux, être sur un plan religieux : il y a une maîtrise par le groupe des croyances de chacun, à travers des dogmes, des enseignements (basés sur les textes mythologiques irlandais et gallois, les écrits de Iolo Morganwg, d'Yves Berthou...). De plus, comme nous ne savons au final que peu de choses sur la religion des Celtes et leurs rites, lorsque l'on est dans une phase de création d'un groupe druidique, on invente forcément tout un tas de choses pour combler les vides de la Tradition et de la rituelie. Ainsi, beaucoup de groupes druidiques inventent, créent, imaginent, et vont même jusqu'à déformer l'histoire, pour justifier leur existence et leurs croyances, et ce depuis la fin du XVIIIe siècle. Ajoutons à cela le Romantisme du XIXe siècle et la Celtomanie, et on arrive parfois à des choses bien loin des réalités et recherches archéologiques, linguistiques (qui maîtrise le vieil irlandais ou le moyen gallois ?) etc. Il y a un côté para-scientifique à tout ça. Mais c'est normal, nous sommes dans le domaine de la croyance. Toutes les religions sont confrontées à cette réalité. Le mythe est à la base de tout, et celui-ci est plus fort que l'Histoire.

Au final, la Gorsedd est le principal mouvement : celle de Galles, celle de Bretagne, celle de Cornouailles. Il y a là une donnée culturelle, linguistique, voire politique, à prendre en compte, en plus du côté spirituel. On trouve des groupes liés à la Gorsedd de Bretagne, les Pommiers, avec un enseignement. Il existe d'autres groupes, certains rattachés au Druid Network britannique : la Kredenn Keltiek (née d'une dissidence d'avec la Gorsedd en 1936), le Compagnonnage Druidique d'Hyperborée etc. et quelques autres.


ABP - Gwenc'hlan Le Scouezec était un grand druide particulièrement étonnant. Vous lui avez consacré une thèse. Comment a-t-il donné cette impulsion à la fois pour les druides bretons et pour le renouveau des études celtiques (pierres, croix, symboles, Bretagne terre sacrée, etc.) ?

G. M. Je n'en suis pour le moment qu'au mémoire, la thèse sera la prochaine étape.

Membre de la Gorsedd depuis 1967, il faisait aussi partie d'autres groupes, comme le Pommier, la Fraternité des Druides d'Occident, l'Ordre Monastique d'Avallon (l’Église Celtique, donc). En 1979, le IVe Grand Druide étant malade, le bureau de la Gorsedd décide de choisir Gwenc'hlan comme adjoint, donc pour le remplacer à long terme. Finalement, ce fut à court terme puisqu'un an après, il devint Grand Druide. Il était là pour permettre à la Gorsedd de se redresser, celle-ci étant tourmentée depuis des années par des dissidences, des désaffections. Il a mené sa mission à sa façon : humaniste, il a amené la Gorsedd à se rapprocher des valeurs de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, il a évincé les rares fascistes que l'on pouvait trouver dans la Gorsedd, il a fait enlever le nom de « dieu » de la prière des druides... Bien sûr, ce que j'appelle ses « pérégrinations spirituelles » y sont pour quelque chose. Faire partie d'autres groupes de pensée, comme les Pommiers ou la Vente Forestière (franc-maçonnerie forestière) l'a amené à évoluer spirituellement et à aller au-delà de ce qu'était le druidisme contemporain. Ses recherches personnelles, bien sûr, alimentent aussi cette évolution spirituelle. Il a répercuté cela sur la Gorsedd. Il canalisait en lui 3 formes d'une même tradition : le druidisme contemporain, le christianisme celtique, la franc-maçonnerie forestière. Pour lui, c'était une seule et même tradition. De plus, il disait que la tradition qui l'habitait, lui, était bien plus ancienne que ça, et remontait bien avant les Celtes.

Il avait une façon bien à lui de faire de la science : c'était intuitif, subjectif. Il l'assumait, mais cela amène parfois à des erreurs, je pense notamment en linguistique. Il a tout de même permis à des Bretons de se reconnecter avec leur culture, grâce à ses ouvrages. Il a aussi affirmé dans le druidisme contemporain la réalité d'une tradition bretonne, armoricaine : la littérature orale bretonne, populaire, pleine d'une sagesse ancestrale, était pour lui un des derniers reliquats d'une religion celtique. Gwenc'hlan Le Scouezec a été médecin, historien, écrivain... c'était un transmetteur de tradition, un passeur de savoir. Il a été aussi actif sur le plan politique : premier président de Skoazell Vreizh, co-fondateur de l'éphémère Parti Communiste Breton,... Il a écrit dans des revues bretonnes comme Ar Vro, par exemple. Tout cela le rapproche de ce qu'était le druide de l'Antiquité : un homme se situant sur le plan de la connaissance, de la politique, du religieux.


ABP - Qu'avez-vous pensé de la cérémonie de dimanche ? Quelle réalité a aujourd'hui le druidisme dans le monde celtique (gallois, cornique, irlandais, breton) ?

G. M. Invité par le Grand Druide à présenter mon travail, j'ai été spectateur de la cérémonie du Gorsedd Digor.

Il n'y a pas de druidisme en Irlande, ni en Écosse d'ailleurs, en tout cas rien d'officiel. N'oublions pas que même si c'est le pays celtique qui a le plus conservé de traces de son passé celtique, il a été marqué par le christianisme, de façon sévère.

Revenons à la cérémonie, pleine de symboles. Rien que par la situation, en plein air, et le positionnement des pierres, on est en plein dans la nature et sa réalité (points cardinaux, cycle du soleil...). Un nemeton reconstitué, en fait (il n'y avait pas de nemeton perdu au fond des bois, mais des sanctuaires, lieux de cultes, souvent sous formes de bosquets reconstitués à des endroits précis : dans un village, à la frontière entre plusieurs tribus... Je renvoie aux travaux de J.-L. Bruneau).

Le Gorsedd Digor est la fête celtique de Lugnasad, avancée dans le calendrier : la fête (ou l'assemblée) du dieu Lug, ou plutôt celle que ce dernier, dans la mythologie irlandaise, a mis en place en l'honneur de sa mère, pour être précis.

Le cérémoniel est bien sûr une création moderne (le premier Gorsedd Digor date de 1792, et est l'oeuvre de Iolo Morganwg, l'auteur des Triades et du Barddas, textes de références du druidisme contemporain, fortement teintés de christianisme, et remplis d'inventions de l'auteur), mais comporte des symboles anciens : la lance, le chaudron, le glaive, la pierre. Les quatre objets « fondateurs » de la religion celtique antique, ramenés des îles du nord du monde par les quatre premiers druides. La Gorsedd de Galles et celle de Cornouailles envoient des représentants au Gorsedd Digor, pour montrer les liens entre les peuples Celtes, pour montrer une unité.

Cette cérémonie permet aussi au Grand Druide de faire un discours (en breton, comme tout le reste de la cérémonie)sur l'année écoulée, de parler de culture et de politique, de différents travaux ayant trait au druidisme, aux Celtes... C'est un moment où la Gorsedd est ouverte à toutes et à tous, chacun peut y venir, en curieux, en croyant, discuter avec les membres etc.

Quant à la réalité du druidisme dans les pays celtiques, je pense avoir répondu déjà en partie plus haut, mais je peux ajouter quelques informations. Ce mouvement fait lui-même partie d'un plus grand mouvement de retour du paganisme en Europe, depuis des dizaines d'années. Je pense à l'Asatru, religion des Vikings, officielle au Danemark, ou des courants philosophiques comme la Wicca. Il y a une envie de renouer avec un passé idéalisé, ré-inventé : il y a des arrangements entre mythes et Histoire. On recréé une organisation à travers des groupes druidiques, en essayant de lui donner le plus d'authenticité possible, le plus de contenu, mais en oubliant souvent sa division tripartite (les producteurs, les guerriers, les sacerdotes – je renvoie aux travaux de G. Dumézil) : dans le druidisme contemporain, on a conservé surtout les sacerdotes, et il y a eu ajout des bardes, qui étaient un groupe à part des druides, et des ovates, qui étaient une catégorie de druides, voire une de leurs fonctions (ils lisaient les signes). Certains groupes inventent des stades d'initiation, et les titres qui vont avec, là aussi en s'arrangeant avec l'Histoire, l'étymologie, la linguistique. On peut aussi voir tout cela comme une évolution d'un grand ensemble de spiritualités paganisantes. On y trouve de réels croyants, des érudits, des acteurs de l'Emsav, mais aussi de véritables charlatans!

A l'automne 2010, la Charity Commission de Grande Bretagne a reconnu le Druid Network comme organisme religieux, non pas la religion druidique comme religion officielle. Cela permet à cet organisme d'être rangé aux côtés d'autres organismes ou associations à caractères religieux. C'est une fédération de groupes, très différents les uns des autres. Il est difficile de trouver une unité, car il n'y a pas de dogmes, il n'y a pas de textes de référence, ce n'est pas une religion « du livre » (et même dans ce cas, il y a de multiples interprétations ouvrant la porte aux extrémismes), même si des textes peuvent être communs (je pense aux textes mythologiques irlandais et gallois, retranscrits au Moyen Âge). De plus, il y a des vides dans cette Tradition : certains vont les combler avec des donnés extra-celtiques et anachroniques,issues d'autres religions ou spiritualités. On se retrouve parfois face à des groupes qui n'ont de druidique ou celtique que le nom !


Vos commentaires :
Gildas Henriot
Dimanche 22 décembre 2024
An Arzhanoù e brezhoneg.

Gildas Henriot
Dimanche 22 décembre 2024
La fête celtique qui est en Irlande Lugnasad est en Bretagne : GOULEOST.

De la même façon :

Samhain est Heven
Beltaine est Kenteven
Imbolg est Gouel Brec'hed

n'oublions pas Kala-Goañv et autres fêtes brittoniques.

Nul doute qu'en étudiant Gw Le Scouezec, Gwenn e ved !, on ne se fasse une idée assez précise de la celtomanie moderne. Vaste programme.


per le moine
Dimanche 22 décembre 2024
J'ai longuement répondu mais ne sais si vous avez reçu car j'ai connu Gwenc'hlan dès 1944 . Kenavo . PER LM

G. Moigne
Dimanche 22 décembre 2024
bonjour,

je serais très heureux d'échanger avec vous sur Gwenc'hlan. Le sujet est si vaste ! Et au-delà de ses archives sur lesquels je travaille, je favorise les discussions avec des personnes l'ayant connues, afin d'acquérir de la «matière vivante» (j'ai déjà rencontré plusieurs personnes personnes).
G. Moigne


KAB
Dimanche 22 décembre 2024
Souvenir d'une goursez digor.... : Le Scouezec lisant un texte (bonjour la tradition orale...), distribué d'ailleurs aux personnes assistant à la cérémonie et truffé de fautes, parlant du général Aussaresses (le rapport avec la Lugnasad ?), agitant une carte routière de la Bretagne et s'offusquant que la Loire-Atlantique n'y soit pas et brûlant un drapeau français. Des ovates (et plusieurs bardes) incapables d'aligner une phrase en breton..., et pour certains n'appartenant clairement pas «ethniquement parlant» au peuple breton (simple constatation), un folklore ridicule dans un «cercle de pierres» artificiel alors que le Menez Mikael (ou la montagne Cronon) s'y prête et accueillait ces cérémonies il y a plusieurs années etc etc. Alors si c'est ça un «grand» druide, autant aller marcher sur les hauteurs des montagnes d'Arrée en chantant Youenn Gwernig !

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