Guillaume Lejean, l'explorateur, l'ethnographe, le géographe breton

Chronique publié le 11/12/15 13:39 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean
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G Lejean
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Traon Dour, marc Patay

Guillaume Lejean n'est pas connu du grand public, car c'était davantage un savant qu'un héros. Il ne fut ni Livingstone, ni Burton et Speek (notes 1), ceux-là qui découvrirent les sources du Nil, mais en son temps, il est reconnu par ses pairs et devint célèbre. Jules Verne le cite maintes fois dans « Cinq semaines en ballon » (notes 2), de même qu'Elisée Reclus (notes 3) ; Guillaume Lejean découvrit » les Balkans (notes 4), fit sortir la géographie des cabinets, fut ethnographe en s’intéressant au destin des peuples, aux langues et aux systèmes politiques, et lui, ce fils de petit fermier du Trégor, compatit aux souffrances des paysans de par le monde et dénonça toujours les injustices et le fanatisme rencontrés lors de ses pérégrinations. Derrière le savant, le travailleur acharné, qui usa sa vie sur les chemins du monde pour mourir à 47 ans ! sans avoir achevé son œuvre, sans avoir recueilli toute la gloire de ses travaux, on découvre un homme éminemment attachant, intelligent, vif en même temps que juste et pondéré, ferme dans ses convictions démocratiques, un écrivain plein de probité.

Guillaume Lejean naît en 1824 à Plouégat-Guérand, près de Morlaix, dans une famille de petits paysans. Après de bonnes études classiques on le destina à la prêtrise mais, s'il était parfois sujet à des crises de mysticisme, il refusa cette voie. Il avait toutes les qualités du « kloarec » qui, selon son compatriote Olivier Souvestre (notes 6), est un « fils du peuple, et dont la devise est : Amour, Foi démocratique, Liberté »

Tour à tour enseignant, fonctionnaire à Nantes, Morlaix ou Quimper, archiviste de 1844 à 1847, il se livre à des études bretonnes, tenant à sa liberté et ne supportant la contrainte politique ; il collabore à des journaux locaux, rédige des notices pour les Biographies bretonnes du Brestois Prosper Levot, mais rêve déjà d'espaces plus vastes quitte à délaisser les situations assurées. Sans fortune et sans appuis, il se sent pourtant à l'étroit dans « le triangle officiel d'une administration de fer et la verge sournoise du clergé tout-puissant » et le climat conservateur de l'époque. Inspiré par ses mentors, les historiens Michelet et Augustin Thierry, il publie en 1846, une histoire politique et municipale de la ville et de la communauté de Morlaix, tirée du manuscrit de Joseph Daumesnil, suivi en 1849, d'un fort volume sur la Bretagne, son histoire, ses historiens.

Favorable à la révolution de 1948, Lejean monte à Paris et collabore au quotidien politique Le Pays, dirigé par Lamartine, dont il fut secrétaire de 1850 à 1853 ; ce qui ne lui laissa pas que de bons souvenirs. Mais bientôt il devient aussi le géographe attitré du Magasin Pittoresque, il écrit dans le Tour du monde et la Revue des deux mondes.

En 1856, Lejean devient membre de la prestigieuse Société de Géographie (notes 4), la première créée au Monde, mais elle vivote car il s'y trouve trop de ces « géographes en pantoufles » à la « sédentarité frileuse ». Avec quelques autres, Lejean va changer tout cela et contribuer à sortir la géographie française des cabinets et des théories (système de Buache), et l’intéresser à l'humain.

Dès lors, ses contacts, ses amitiés, les deux audiences auprès de Napoléon III, par l'intermédiaire d’Hortense Cornu, amie de Napoléon, Lejean obtint huit missions en Orient et en Afrique, qui l'admirent définitivement parmi les géographes de son temps. Napoléon III, l'être falot décrit par la république, fut en réalité à l'origine d'un mécénat archéologique sans précédent, qui fit sortir des limbes la préhistoire, la civilisation celtique, l'ancienne Gaule de même qu'il créait le Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye.

Dès 1857, Guillaume Lejean partit étudier les plus turbulentes régions d'Europe : la Valachie, la Moldavie et la Bulgarie, l’Albanie, le Monténégro et la Bosnie … la future poudrière des Balkans. Il en étudia la géographie et l'ethnographie, et publia une carte ethnographique dans la célèbre revue allemande Mitteilungen de Petermann (1861) qui révélait l’extrême intrication des peuples et des religions dans la Turquie d’Europe.

Dans l'intervalle, de 1860 à 1863, Lejean participe à la quête des sources du Nil. A partir de Khartoum, il visita tout d'abord le Kordofan et le Darfour (ancienne province de l'est du Soudan), puis contraint de revenir à Khartoum, il rejoint la ville de Gondokoro (près de l'Ouganda actuel) par le Nil blanc, mais il ne put la dépasser, en raison d'un état permanent de guerre entretenu par les esclavagistes. Il n'était plus qu'à 600 km du lac Victoria, non loin des sources du Nil. Au retour il explore la région marécageuse de Bahr-el-Ghazal. En 1862, il est nommé consul de France en Abyssinie (Ethiopie actuelle), mais il en est expulsé en septembre 1863 avec d'autres Européens. En 1864, il explora le Kassala (est Soudan) et le pays des Bogos (Soudan). Rentré à Paris, il publia « Voyage aux deux Nils » et « Théodore II, le nouvel empire à Abyssinie et les intérêts français (1865) ».

Il repartit en 1865 vers l'Asie Mineure, marchant sur les traces d’Alexandre, muni de son Arrien (écrivain grec), voyageant de conserve avec Plutarque et Quinte-Curce, longeant les mêmes côtes que Néarque (pilote d’Alexandre), parcourant la Mésopotamie, le golfe Persique et le bassin de l'Indus, partout fustigeant tyrans, négus, maharajah ou pachas, sans céder à un orientalisme à la mode. Sa dénonciation vigoureuse de l'esclavage le porte au rang d'Albert Londres ou de Gide. En 1879, lors d'un banquet, Victor Hugo déclara abruptement que l’Afrique n'avait pas d'histoire, que c'était un continent peuplé de barbares et de sauvages ; contre ces phrases fatidiques, sinistres et prophétiques, Lejean, ce parfait honnête homme, donna au cours de sa vie, des leçons de modération à notre génie des lettres.

En 1871, miné par la défaite de la France, affaibli par des fièvres et 14 années de voyages, Guillaume Lejean s’éteignait à 47 ans, le jour même de sa naissance, dans le berceau des siens et la jolie maison de Traon Dour.

En son temps, il y eut des hommes plus illustres mais il n'y en eut pas de meilleur (notes 5).

Quelques écrits de Lejean

Beaucoup de ses écrits sont disponibles sur le site de la BNF Gallica ou sur les sites marchands

1. Histoire politique et municipale de la ville et de la communauté de Morlaix, depuis les temps reculés jusqu'à la Révolution française, 1846

2. La Bretagne, son histoire et ses historiens, 1849

3. Voyage en Albanie et au Monténégro, 1858, Guillaume Lejean, dans le «Tour du monde» publié par E Charton

4. Voyage... dans l'Afrique orientale : 1860 -1862

5. Voyage au Kordofan, 1860

6. Voyage au Taka, Haute Nubie, 1864

7. Voyage aux Deux Nils : Nubie, Kordofan, Soudan,Oriental, exécuté de 1860 à 1864

8. Voyage en Abyssinie de 1862 à 1864

9. Théodore II : le nouvel empire d'Abyssinie et les intérêts français dans le Sud de la mer Rouge, 1865

10. Voyage dans la Babylonie, 1866

11. Une nuit d'hiver dans l'Anti-Taurus, 1866

12. La poésie populaire en Bretagne , Revue celtique, 1873-1875, T2

13. La traite des esclaves en Egypte et en Turquie, Revue des Deux Mondes T88, 1870

14. Le Tour du Monde. N° 21-22. Le Penjab et le Cachemire

Biographies, correspondance...

0. article Guillaume Lejean sur Wikipédia, écrit par mes soins

1. Guillaume Lejean, voyageur et géographe (1824-1871) de Marie-Thérèse Lorain, Les Perséides, 2006.

2. Guillaume Lejean, sa vie, ses voyages, ses travaux, par P. Levot

3. Article d'Erwan Chartier Le Floch paru dans le Télégramme : (voir le site)

4. Joachim Darcel, un grand breton méconnu : Guillaume Lejean, bulletin de la société archéologique du Finistère, 1961

5. Correspondance (1846-1869). Charles Alexandre, Guillaume Lejean par Jean-Yves Guiomar

6. Guillaume Lejean et ses voyages par Richard Cortambert

7. A P Segalen, aperçus sur la vie intellectuelle à Morlaix

8. Guillaume Lejean, Charette, suivi de Cadoudal. Préface et notes de J.Y. Guiomar, éd. Perséides, 2006.

9. Un jeune républicain breton, lettres de Guillaume Lejean à Michelet (1847-1860). cahiers menaisiens, J Y Guiomar

10. Deux Républicains bretons dans l'entourage de Lamartine et de Michelet, Guillaume Lejean, Charles Alexandre, J Y Guiomar

11. Le Nil, son bassin et ses sources, de Ferdinand Lanoye, 1884, texte de Lejean, belle dédicace en son honneur

Divers

1. Tombe de Lejean voir : (voir le site)

2. Une rue Guillaume Lejean à Rennes. Wiki Rennes.

3. Guillaume Lejean a fréquenté le café de Buci jusqu'au jour où il fut atteint de la maladie qui devait l'emporter. Il avait une table sur laquelle il entassait ses papiers et ses notes. En écrivant ses articles, en corrigeant ses épreuves du Tour du Monde, il causait, écoutait et ne manifestait jamais d'impatience. C'était le véritable caractère du Breton, tenace dans ses projets, bon dans ses relations. Paris-pittoresque.com

4. Le 2 décembre 1851 dans le Finistère, un coup d'État évanescent ? Laurent Le Gall. (voir le site)

5. «À la recherche des Macédoniens» : le regard des cartes, 1840-1918, Joëlle Dalègre

6. D'Ouest en Est, des voyageurs du patrimoine. (voir le site)

7. Nos explorateurs en Afrique par Jules Gros, article sur Guillaume Lejean

8. L'Afrique inconnue : récits et aventures des voyageurs modernes au Soudan oriental par P. Gilbert

9. nombreux articles de Lejean dans la Revue des deux Mondes

10. Articles sur Lejean dans le Bulletin de la société archéologique du Finistère, notamment en 1887 (14) et 1890 (17), Gallica

11. Le Journal des Savants, 1873 (page 194), texte biographique sur Lejean. Gallica

Notes

1. Lejean fit un article sur la (bonne) tentative de Speek et Burton, qui découvrirent les sources du Nil, p 99

2. Cinq semaines en ballon de Jules Verne, Lejean est cité 7 fois en p 6-17-20-49-63-111-120. Disponible sur Wikisource. Exemple : Ch 19 « ce jeune voyageur, M. Lejean, auquel nous sommes redevables des meilleurs travaux sur le haut Nil»

3. Le Grand Larousse du 19è consacre 55 lignes à Lejean.

4. La carte ethnographique de la Turquie d'Europe, après la guerre de 14-18, p 146, p 153, joua un rôle décisif aux cours des traités de Sèvres et de Saint Germain

5. Morlaix ne lui a même pas donné une rue ! Ni Brest, ni Quimper ...

6. Poète de Morlaix, auteur de «Mikaël, kloarek breton»


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