Exclusif de notre reporter ABP sur place en Catalogne

Reportage publié le 30/10/17 12:02 dans Europe par Bertrand Romain pour Bertrand Romain
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Estelada (drapeau de la République catalane) et "Si" en référence au référendum du 1er octobre. L'indépendantisme s'affiche aux balcons sans complexes.
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La Plaça Nova à Palafrugell

A LA RENCONTRE DU COMITÉ DE DÉFENSE DE LA RÉPUBLIQUE CATALANE À PALAFRUGELL

Petite ville côtière de 23 000 habitants, à une heure et demi de la frontière française et de Barcelone et à moins d'une heure de Gérone, Palafrugell est surtout connue en Catalogne pour son festival international de musique au Cap Roig, ses plages, considérées comme les plus belles de la Costa Brava, et son festival de chants de Havaneres, ces Catalans partis faire fortune aux Amériques au XIXe siècle et revenus au pays.

Au lendemain de la déclaration d'indépendance de la Catalogne, proclamée par le Parlement catalan à Barcelone, à Palafrugell, sur la Plaça Nova - la place principale - les terrasses des cafés sont pleines en cette belle fin de journée. Les Esteladas, les drapeaux catalans frappés de l'étoile, symboles de la République catalane, déjà bien présentes, ont fleuri aux balcons depuis le mois de septembre, au début de la riposte madrilène à la loi catalane sur l’organisation d'un référendum sur l'indépendance.

Après l'ahurissante réponse policière espagnole lors du référendum du 1er octobre, ce sont les drapeaux réclamant « Democracia » ou affirmant un «Si » à l'indépendance qui se multiplient.

Depuis le début du XXe siècle, Palafrugell vote pour le centre-gauche, avec une fibre « régionaliste » puis « autonomiste » assez marquée. Sans grande surprise, le social-démocrate Josep Piferrer i Puig, membre de Esquerra Republicana de Catalunya, la Gauche Républicaine de Catalogne (ERC, indépendantiste) a été élu maire en mai dernier.

Le drapeau espagnol avait été retiré du fronton de la mairie et la municipalité rejoignait les 750 autres communes indépendantistes, sur les 950 que compte la Catalogne. M. Piferrer fait actuellement l’objet de poursuites par le Parquet espagnol, pour avoir autorisé la tenue du référendum dans les locaux des écoles municipales de sa ville.

« LE TIERS ÉTAT À PARIS EN 1789 N'AVAIT PAS MANDAT NON PLUS POUR SE DÉCLARER CONSTITUANT  »

« Ce mantra sur la légalité et la Constitution, c'est une affaire de corne-cul » s'agace Sylvestre, un retraité breton résidant depuis cinq ans à Palafrugell. « La déclaration de sortie de l'URSS par le Soviet suprême de Lituanie avait été jugée inconstitutionnelle par Moscou ; la déclaration d'indépendance de l'Islande contrevenait aux lois du Royaume du Danemark, le parlement de la RDA n'avait pas mandat pour accepter l'annexion par la RFA... ». Et d'ajouter à l'adresse de ses concitoyens français : « Le Tiers état à Paris en 1789 n'avait pas mandat non plus pour se déclarer constituant. Invoquer la légalité dans ce genre de cas est absurde, c'est l'Histoire qui fait le droit, rarement l'inverse. »

Légale ou non, ce qui frappe ici, c'est la détermination. La veille du référendum, alors que les rumeurs allaient déjà bon train sur la possibilité d'une réponse brutale de la part des autorités centrales, des groupes informels de citoyens se sont formés, par le bouche-à-oreille amplifié par les réseaux sociaux, afin de défendre d'abord les bureaux de vote, jugés illégaux par Madrid.

Laura, 45 ans, en faisait partie, avec son fils de 15 ans. Avec un groupe d'amis, de relations, de voisins, elle a passé la nuit dans l'école de son quartier où était installé un bureau de vote afin d'éviter une saisie des urnes par la police espagnole ou par la Garde civile. « Des groupes se sont formés partout dans les écoles, des gens de toutes tendances. Mais étant donné les risques de violences, nous ne voulions pas faire prendre de risques à des enfants ou à des personnes âgées ». Pourtant ces dernières, dont la propre mère de Laura, se sont mobilisées pour apporter un peu de confort cette nuit-là avec des distributions de café, de gâteaux, d'entrepans - la version catalane du sandwich. Pour Laura, il s'agit d'une preuve du caractère intergénérationnel du combat pour l'indépendance.

Le jour du vote, des groupes d'une centaine de personnes continuaient dans le calme à garder les écoles où avait lieu le scrutin. Ici, pas de violence policière : les seuls uniformes visibles étaient ceux des Mossos, la police catalane, en binôme débonnaire devant les bâtiments. « Nous refusions que la police espagnole puisse s'emparer des urnes, quitte à faire bouclier humain, sans violence, seulement avec détermination. » raconte Laura.

« NOUS NE TENONS PLUS COMPTE DE CE QUI DIT OU PENSE MADRID, NOUS ALLONS DE L'AVANT !»

Enrouée après une semaine de réunions dans toute la Géronaise et à Barcelone, cette directrice de start-up, qui a vécu dans différents pays d'Europe, aux USA et à Madrid, a décidé de s'investir dans le Comité de Défense de la République (CDR) à Palafrugell. « Nous ne tenons plus compte de ce qui dit ou pense Madrid, nous allons de l'avant » Concrètement, il s'agit de s'opposer de manière non-violente aux dispositions de l'article 155 de la Constitution espagnole, qui prévoit la suspension de l'autonomie et la mise sous tutelle de la Catalogne par Madrid. Il s'agit de réaffirmer et de défendre l'indépendance de la République catalane.

« Nous prenons pour référence l'indépendance de l'Inde. La résistance passive menée par Gandhi a eu le dessus contre un des empires les plus puissants du monde » précise David, technicien gazier de 37 ans et membre du CDR.

Aux insinuations de la presse espagnole ou française, David répond point par point. « Je ne sais même pas qui est le Soros que vous évoquez. La Russie ? Nous n'avons pas le numéro de téléphone du Kremlin ! » s'amuse-t-il. « Ils affirmeront bientôt que ce sont les extra-terrestres et les reptiliens qui sont aux commandes, plutôt que de reconnaître la volonté du peuple catalan » envisage Laura, avec un sourire.

Nationaliste ethniciste ? « Quelle blague ! Mes grand-parents andalous se sont installés en Catalogne. C'est le cas de nombreux Catalans d'aujourd'hui . Il ne faut pas oublier que la Catalogne a été le moteur de l'industrialisation dans la péninsule ibérique, avec l'attraction de populations diverses que cela suppose » continue David.

Politisés ? « En terme droite / gauche, certainement pas. Le CDR n'a pas de but politicien, la plupart des membres n'ont aucune carte politique, mais être membre d'un parti est parfaitement possible. L'essentiel est de partager l'objectif de défense de la République » explique Julia, 22 ans, étudiante en éthologie qui travaille parallèlement comme magasinière. Elle-même est membre du mouvement de jeunesse du parti de centre libéral Convergencia i Unio, rebaptisé Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCat). « Il y a au CDR des membres de la CUP [Candidatura d'Unitat Popular, extrême-gauche], de l'ERC [sociaux-démocrates], de PDeCat [centristes libéraux], nous n'avons pas de problème à travailler ensemble » confirme Laura. De même, le CDR compte parmi ses membres des militants culturels venant d'organismes comme l'ANC ou Omnium, dont les dirigeants, les « deux Jordis » ont été récemment emprisonnés pour sédition.

Désir égoïste et bourgeois d'une région riche ? David fait calmement remarquer que les mesures sociales prises par le gouvernement catalan, comme l'interdiction des coupures d'eau pour impayés ou encore l'interdiction des expulsions locatives ont justement été censurées...par le gouvernement central espagnol.

Laura dénombre au moins 25 lois catalanes retoquées par Madrid, allant de l'interdiction de la fracturation hydraulique à la protection des personnes les plus précaires, en passant par la fiscalité des banques ou la production culturelle.

«POUR NOUS L'ESPAGNE, C'EST LOINTAIN ET C'EST UN FREIN À TOUTES AVANCÉES POSSIBLES...»

« C'est précisément ce genre de mesures autoritaires, cette tutelle qui nous empêche d'avancer qui est insupportable. Pour nous l'Espagne, c'est lointain et c'est un frein à toutes avancées possibles... » soupire Julia. Venant d'une famille militante, son grand-père a été maire de Montras, petite commune adossée à Palafrugell, elle n'oublie pas que son arrière-grand-père a été assassiné par les Franquistes. « Comme dans beaucoup de familles ici » ajoute sobrement David.

Cette lassitude vis-à-vis du pouvoir espagnol ne date pas d'hier. Mais elle prend aujourd'hui une forme sans ambiguïté, celle du désir d'indépendance politique. « Il y a encore une vingtaine d'années, le nombre d'indépendantistes ne dépassait pas les 20 % » se souvient David. « Mais vingt années de refus humiliants à des demandes raisonnables, comme par exemple d'avoir un régime fiscal comparable à celui dont jouissent les Basques espagnols, ont éloigné les Catalans du pouvoir central. Aujourd'hui, la rupture est nette »

Que pensent-ils de l’exécutif catalan ? Le président Puigdemont a été critiqué pour ce qui a pu être pris pour une hésitation lors de la journée précédant la proclamation de l'indépendance. De nombreuses rumeurs ont parcouru les réseaux sociaux, alors que les annonces de conférences de presse étaient annulées, puis décalées, au Palais (siège du gouvernement catalan), au Parlement, entretenant suspens et confusion.

« NOS INSTITUTIONS CATALANES SONT LE FRUIT DE L'HISTOIRE ET DE LA VOLONTÉ POPULAIRE. NOUS VOULONS QU'ELLES FONCTIONNENT  »

« Nous sommes tous derrière le gouvernement. L'heure n'est pas au choix politique mais à la défense de la République » tranche Laura. « Nos institutions catalanes sont le fruit de l'histoire et de la volonté populaire. Nous voulons qu'elles fonctionnent et nous les défendrons. Nous ne savons pas encore quels moyens nous mettrons en œuvre, mais ils seront non-violents »

Les semaines à venir seront cruciales. L'intransigeance de Madrid risque de se renforcer, non pas seulement du fait du soutien d'une partie de la droite dure espagnole et de ses outrances verbales, mais aussi parce que d'éventuels « événements » en Catalogne détourneront le regard de l'affaire Gürtel, un énorme scandale financier à 42 millions d'euros qui éclabousse actuellement le Partido Popular, au pouvoir à Madrid.


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spered dieub
Vendredi 15 novembre 2024
Manifestation indépendantiste en ce moment à Barcelone
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