Propos recueillis par David Raynal
A près de cinquante ans, ce militant originaire de Loudéac, inscrit depuis 2003 au Parti Breton, est aussi un écrivain de talent. Après “ Le Dériveur “, Frank Darcel a sorti peu avant l'été 2007 un second roman intitulé “ L'Ennemi de la chance “, dont l'action se déroule à Lisbonne, une ville dans laquelle l'auteur a vécu plusieurs années. Rencontre avec un breton d'Europe.
- David Raynal : Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'écrire un livre de portraits sur les Bretons et la Bretagne ?
- Frank Darcel : Originaire de Loudéac, j'ai toujours été très attaché à ma terre natale. J'ai eu la chance d'être éveillé très jeune au sentiment breton grâce à un grand-père militant (Ar falz) originaire de Scrigniac dans les Monts d'Arrée. Pourtant, je me suis vraiment intéressé à la Bretagne et à son histoire qu'à partir des années 90. Mon désir d'appartenance s'est accentué pendant mon exil volontaire de trois ans au Portugal. De retour en Bretagne, j'ai rencontré symboliquement Alan Stivell avec lequel j'ai travaillé pendant six mois, pour produire son album Back To Breizh. Durant plusieurs siècles, nous avons eu en Bretagne une histoire complètement séparée de celle de la France, avec de vraies guerres contre les Francs, puis les rois capétiens. Dans n'importe quel autre pays d'Europe, des événements de cette nature seraient connus du grand public, fêtés ou pleurés, en tout cas célébrés d'une manière ou d'une autre. Ici, rien. A croire que notre pays n'existe pas. Prenant conscience de l'étendue de ce que l'on nous avait caché à l'école, j'ai pensé qu'il était important de rendre hommage, dans un livre de portraits contemporains, à toutes ces individualités qui ont forgé par leur industrie et leur originalité la Bretagne. Ainsi, comme je le précise en préambule du livre, il se pourrait qu'à défaut de Bretagne, du moins, les Bretons existent !
David Raynal : Quels ont été les critères pour le choix de ces 111 personnalités?
- Frank Darcel : La modernité, l'esprit pionnier, ont été dès le départ deux critères déterminants. Avec Yann Rivallain, le rédacteur en chef d'Armen, nous voulions montrer comment la Bretagne avait reçu dès les années 1910-1920 la modernité et comment elle avait pu se l'approprier en dehors des clichés de l'exode rural ou de la conscription en masse, lors de la Première Guerre mondiale. En regardant la liste des 111, on se rend compte qu'il y a tout un tas de créateurs, d'autodidactes, d'aventuriers, qui ont fait bouger des lignes. Chacun dans leur domaine, ils ont participé à l'élaboration d'une modernité que l'on n'identifiait pas du tout à l'époque comme bretonne. Dans un mouvement, nous préférions toujours prendre celui qui était le déclencheur, plutôt que ses suiveurs, même s'ils étaient plus célèbres. En alignant, Alain Resnais, Louis Ferdinand Céline ou André Breton, nous avions également envie de montrer une certaine excellence. Chez les sportifs notamment, nous nous sommes aperçus qu'il y avait de grands inventeurs, à l'image d'Eric Tabarly, dont on célèbre cette année les 10 ans de la disparition, ou encore Bernard Hinault. En Bretagne, nous avons été frappés de voir que les gens font, en premier lieu, et quel que soit le domaine, à leur manière. En bons artisans, ils créent leurs outils de production par eux-mêmes et vont jusqu'au bout de leur projet, souvent avec une grande abnégation. L'obstination, si souvent admise, n'est en réalité qu'un des traits constitutifs du caractère breton.
David Raynal : Pourquoi 111 bretons, plutôt que 77 ou 222 ?
- Frank Darcel : A 200, cela devenait un travail énorme, dans la mesure où nous avons déjà mis près de deux ans à écrire le livre avec une équipe de 40 auteurs. L'un des risques en élargissant la liste, était de ne plus faire de choix, de mettre presque tout le monde, un peu à la manière du Who's Who. Très vite, j'ai apprécié les vertus graphiques du nombre 111 qui symbolise la trinité et se rapproche du drapeau breton. Il se trouve aussi, mais nous ne l'avons su qu'après, que la densité démographique de la Bretagne est de 111 habitants au km2.
David Raynal : Pourrait-il y avoir un jour une suite aux 111 Bretons des temps modernes ?
- Frank Darcel : Il se pourrait que nous étendions un jour le concept aux 111 Bretons de tous les temps. Cela deviendrait plus un travail d'historien dans lequel nous remonterions jusqu'à Arthur et pourrions aborder des personnages au destin controversé, comme Duguesclin. Ce serait une manière très intéressante d'amener les gens à l'histoire de la Bretagne. Les portraits pourraient être encore plus fouillés et plus longs. Là-encore, il ne s'agirait pas d'être né en Bretagne de parents bretons pour figurer dans le livre, mais d'avoir été à l'origine ou d'avoir participé à un événement exceptionnel de notre histoire. ■
111 Bretons des temps modernes
Sous la direction de Frank Darcel et Yann Rivallain
Photographies : Emmanuel Pain et Gwenaël Saliou
Editions ArMen, 45 euros
Le Dériveur, Frank Darcel, Flammarion 2005
L'Ennemi de la chance, Frank Darcel, Flammarion 2005