Festival du Livre en Bretagne de Guérande. Succès d'un thème a priori difficile

Reportage publié le 26/11/08 7:02 dans Cultures par Maryvonne Cadiou pour Maryvonne Cadiou

Sous la présidence d'honneur de Jean Bothorel, écrivain, journaliste, éditorialiste et engagé dans le militantisme breton dès sa jeunesse, le Festival a connu cette année un certain succès malgré une baisse de fréquentation. Certains éditeurs ont exprimé un regret de n'avoir pas vendu autant de livres qu'ils l'auraient souhaité...


Pour la fréquentation, dans la mesure où l'entrée est libre et où le comptage ne s'effectue qu'à la porte principale du Centre culturel Athanor – l'autre porte permettant, outre les entrées et sorties, des allées et venues vers le chapiteau – le chiffre est incertain.

Il n'en reste pas moins que la belle organisation sur place et l'atmosphère conviviale et sympathique, qui sont une des marques de ce festival, ont été cette année encore au rendez-vous.

Traditionnellement c'est Pêr Loquet, président de l'association Gourenez organisatrice, qui fait le discours de bienvenue. Voir le PDF ci-dessous.

Voir le discours d'inauguration de Jean Bothorel en video sur (voir le site) et l'intervention de Yann-Bêr Thomin sur (voir le site) .


Les tables rondes :

Des chefs d'entreprises conviés à un salon du livre ?

Oui, c'est possible, et même terriblement intéressant. Les patrons bretons, bâtisseurs du miracle breton est le thème de la première table ronde, animée par Ronan Le Flécher – un Breton, journaliste, qui connaît bien son monde – il les a déjà interviewés pour la plupart pour Armor magazine et pour son blog Breizh. Côte à côte Jeanine Goalabré, directrice du personnel chez Bolloré, Jean-Jacques Hénaff, président de l'entreprise fondée par son grand-père à Pouldreuzic, en pays bigouden, il y a 101 ans et Jean Bothorel, qui n'est pas chef d'entreprise mais qui a convié sur la scène pour le public, dans son entretien, les Alexis Gourvennec – fondateur de Brittany Ferries pour que les maraîchers du nord Finistère puissent exporter leurs légumes, Louis Le Duff – président du Groupe qu’il fonda à Brest en 1976 avec La Brioche Dorée connue dans le monde entier, François Pinault – qui « n'est pas un héros en France où l'establishment s'intéresse aux diplômes. Il n'en a aucun. Sa réussite me paraît unique, surtout qu'il est parti de rien ».

Jeanine Goalabré, dans un rôle qui n'est pas habituellement le sien, précise-t-elle, parle joliment avec tendresse de l'entreprise Bolloré Technologies, située à côté de Quimper « sur le site historique, le berceau de l'entreprise » et dont elle est la responsable du service du personnel. Depuis 41 ans elle fait partie de l'entreprise... « J'ai connu Michel, le père de Vincent, Gwen-Aël son oncle... ». Elle raconte la progression des fabrications, depuis le papier à cigarettes OCB jusqu'au film pour condensateurs, l'arrivée du jeune Vincent au printemps de 1981, qui leur promet de sauver l'entreprise, et comment chaque employé accepte avec confiance d'y mettre du sien au prix de sacrifices financiers (ceci est remarquablement exposé dans le livre de Jean Bothorel).
Jean-Jacques Hénaff rapporte que son grand-père « a commencé par la mise en conserve des légumes sur place car leur transport jusqu'à Pont-l'Abbé et Quimper durait trop longtemps. Il a créé son entreprise ex nihilo. Sans électricité – arrivée à Pouldreuzic en 1929 – il s'est mis à fabriquer des boîtes vides en 1907, pour occuper le personnel en hiver... »
Chacun parle avec son coeur, égraine ses souvenirs parfois lointains mais encore très précis et on a là un tableau saisissant du facteur humain et familial dans l'entreprise bretonne. Voir la vidéo sur (voir le site) .

— Un syndicaliste convié à un salon du livre ?

Oui c'est possible, surtout quand il s'agit du monde du travail et quand on est à deux lieues des Chantiers navals de Saint-Nazaire.

Deuxième table ronde La Bretagne du 3e millénaire, entre déclin et rebond. Il est à noter que les débats sur le monde du travail ont pris une épaisseur insoupçonnée, dont les organisateurs étaient loin de se douter quand ils choisirent ce thème il y a plus d'un an pour le salon 2008, ceci du fait de la crise économique annoncée depuis quelques mois. Ce thème d'une actualité intéressante a mobilisé le public de façon brûlante.

Jean Bothorel déclare « L'économie se relève par la volonté collective, les crises révèlent les gens. Le CELIB a été la volonté de jeunes dans les années 50... Le plan d'aménagement du territoire en France, sous Charles de Gaulle et Guichard est directement tiré du Célib ». Puis il dénonce « Ce pays est totalement jacobin, à un point que c'en est grotesque » ; Ronan Le Flécher s'enquiert du « moral des troupes sur le terrain » auprès de Marc Ménager, membre du syndicat réformiste CFDT aux Chantiers de Saint-Nazaire. Voir la video pour la suite sur (voir le site) .

Puis Joseph Le Bihan, président du Comité stratégique de l'Institut de Locarn et co-fondateur, en 1991, de l'association qui a engendré l'Institut, fait pendant une demi-heure un bilan et une prospective de l'économie mondiale et des rapports de force mondiaux, à donner des cauchemars au plus serein des membres du public.


Plusieurs auteurs des Dernières nouvelles de Guérande – le “bébé” du festival, comme l'a défini Pêr Loquet – présents au salon, ont partagé leurs impressions de Guérande, les circonstances du choix de leur nouvelle avec Françoise Pomard, l'animatrice littéraire attitrée du salon avec Christiane Kerboul. Il y a même eu l'aveu d'un “recyclage”. En effet Gareth Miles, le Gallois invité, auteur de scénarios pour la télévision galloise, a adapté une histoire se passant à Bordeaux !


Trois lectures bien suivies et appréciées, pour petits et/ou grands, se tenaient aussi ce jour à la médiathèque toute proche, organisées par Nathalie Flaraud, bibliothécaire, ainsi que d'autres animations le dimanche.

— Une dénonciation de l'histoire de France officielle. Pour une dénationalisation de l'histoire de France

L'entretien de Gilles Martin-Chauffier avec Ronan Le Flécher pour son livre Le roman de la Bretagne était des plus attendus. L'éditeur a choisi de ne pas prolonger le titre de son livre par « libre » comme l'aurait souhaité l'auteur. Il est vrai que la provocation se fait largement jour dans le texte...

Il faut dire quelques mots, avant de relater un peu de sa troisième intervention, de Ronan Le Flécher. Il est un remarquable meneur de débats, que beaucoup ont découvert avec surprise et admiration. Il est discret – n'étale pas, comme tant d'autres, sa science avec des questions-fleuves – il est précis, bref et fait mouche pour obtenir des réponses constructives. Il écoute vraiment la réponse et peut “rebondir”, connaissant bien le monde breton de l'entreprise. Il ne pouvait qu'avoir sa place à Guérande.

Directeur de la rédaction de Paris-Match, romancier et journaliste, Gilles Martin-Chauffier est vannetais. Il est très attaché à l'Île aux Moines, dont la maison de vacances familiale contient une somme d'archives impressionnante qu'il a toujours côtoyées et explorées. Son arrière grand-père a co-fondé la Société polymathique du Morbihan basée à Vannes depuis 1826.

Il a « voulu exposer des faits de l'histoire de la Bretagne que tous les Bretons devraient connaître ». Depuis les Vénètes, le début de l'histoire de l'Armorique, en passant par Nominoë, Arthur, « en tout 15 personnages pour 15 chapitres et 15 moments-clés de l'histoire de Bretagne ». La naissance de l'histoire de l'État breton apparaît au Ve siècle.

Sait-on que « Charlemagne a massacré le tiers de la population bretonne en deux expéditions » ?

Que « Londres et Rouen sont deux villes anglaises à l'époque où on brûle Jeanne d'Arc » ?

Sous-entendu : le sait-on quand on apprend l'histoire de France telle qu'on nous l'enseigne ?

« L'histoire de France est pleine de mensonges par omissions et de vérités habilement cachées ».

« On ne doit pas enseigner la même histoire aux jeunes Normands, Auvergnats ou Bretons... jusqu'en 1789 ».

« Les personnages qui ne conviennent pas à la France sont éliminés de son histoire enseignée » (1).

Gilles Martin-Chauffier est pour « dénationaliser l'histoire de France ».

– Il nous parle des Bretons dans le monde et leur affirmation :
« Tous les lundis, à “Paris-Match” nous regardons les photos. Le directeur aussi est breton. Il arrive toujours une photo d'un Breton avec son “Gwenn ha Du”, quelque part dans le monde, dans un stade ou dans tout autre endroit où il n'a rien à faire » [= pas spécialement en tant que Breton] !

– Anne de Bretagne et son goût du luxe. Elle n'a pas sauvé l'indépendance du duché.
« Après la mort de son premier mari elle avait toutes les cartes en main. Elle était fine, elle avait tout compris. Elle a préféré continuer dans le luxe, être la reine d'Europe la plus puissante et elle a épousé Louis XII... »

– Le club des Jacobins est à l'origine un club de Bretons.
À la Révolution, le 14 juillet est la première date-clé. La nuit du 4 août la deuxième.
Isaac Le Chapelier crée un club où se réunissent tous les soirs des députés bretons. S'y joignent Mirabeau, Sieyès et d'autres, et le Club breton doit chercher un endroit plus grand. Ils vont aux Jacobins et le Club breton devient le club des Jacobins.

Le public, dans le peu de temps qui reste, est invité à poser des questions. Un jeune militant breton remarque que «si l'auteur écrit que l'indépendance de la Bretagne viendra naturellement, moi» poursuit-il, «je ne le crois pas. Je suis tous les jours sur le terrain et il faut des gens sur le terrain. L'indépendance ne viendra pas toute seule...» On fait remarquer aussi que l'histoire de la Bretagne n'est pas enseignée, que les écoles bilingues devraient s'y mettre. Apprendre l'histoire de la Bretagne est une démarche personnelle et volontaire. Le livre de G. Martin-Chauffier peut être un déclic et les outils ne manquent pas chez différents éditeurs depuis les années 70, dont Skol Vreizh.

Ce livre, qui n'est pas un roman, relate des faits de l'histoire de Bretagne. « Tout est vrai » mais vu avec une lucidité du recul, l'ironie et parfois le sarcasme de l'auteur. L'épilogue est provisoire. L'auteur pensait depuis longtemps à ce livre. À une question à son stand, il répond : «Oui, quand on veut vraiment écrire un livre, on y arrive, même malgré de multiples activités et un travail très prenant ».
Voir deux videos de ABP-TV sur (voir le site) et (voir le site) sur la carrière et sur le dernier livre de Gilles Martin-Chauffier. Voir aussi les articles ABP : (voir notre article) et (voir notre article). Un extrait sur Anne de Bretagne se trouve sur (voir notre article).


Pour terminer “Les échos du chapiteau” et le Festival 2008, Françoise Pomard et Christiane Kerboul reçoivent, avec le talent et la passion qu'elles montrent chaque année, des auteurs qui présentent leur livre sur un thème du travail, de l'entreprise, du syndicalisme, ou encore le prix Yves Rocher de Daniel Giraudon, et Jean Bothorel pour son Chers imposteurs.

S'il faut une conclusion à ces deux jours de fête, de rencontres, d'échanges, de cordialité, on peut assurer qu'ils ont contribué à rendre fiers de leur pays les Bretons qui ne l'étaient pas encore, que la honte des siècles passés, instillée à petit feu et qui a fait tant de ravages, est et doit être définitivement rayée des esprits. La Bretagne est un pays moderne, dynamique, plein d'inventivité et d'énergie et le restera, grâce à la solidarité, grâce à la conscience familiale dans les entreprises (il n'a pas été question de “dynastie” !), grâce à la volonté toujours affirmée des Bretons de se dépasser et de lutter contre le carcan du jacobinisme français – plusieurs fois évoqué, dénoncé ici, et en termes pas forcément académiques...

Même si « Les mondes nordiques », thème annoncé pour 2009, ne manquera pas d'être passionnant – et, notons-le bien, plus large que “Les mondes scandinaves” – l'année 2010 accueillera « Les Bretons dans le monde ». Il semble qu'une grande impatience se fasse jour d'être déjà en novembre 2010.

Note

(1) éliminés ou déformés et ridiculisés : «Les personnages qui ne conviennent pas à la France sont éliminés de son histoire enseignée». Se souvient-on de [[Bernard Palissy]] à l'école primaire, juste après la guerre ? J'ai toujours en tête cette image d'Épinal de cet homme brûlant des planches (son plancher ?) pour cuire ses émaux : «Le potier fou»...

Oui, ce potier était un génie, pas seulement de la céramique mais de l'agriculture. Plus tard j'ai découvert ses textes... (réédités dans les années 60 et 80, sa page wiki est incomplète).

Mais il était protestant, donc cet État, pourtant laïc, ne pouvait mettre en valeur un protestant... Ou bien l'Éducation nationale de l'époque ignorait beaucoup de choses...


Vos commentaires :
PRIGENT Michel
Jeudi 14 novembre 2024
Je vois que les intervenants ne se sont pas privés de «biller» sur notre Pouvoir Central omnipotent, ils ont, certes de bonnes raisons de le faire. Ne désespérons pas, l'approche des élections européennes et régionales ne devraient pas manquer d'éveiller les consciences de nos élites politiques, ne serait-ce que pour les places à y conquérir. Le PS en particulier, qui vient difficilement de clore «ses examens de rattrapage à Solférino» (lieu une bataille meurtrière franco-italienne), va pouvoir à présent, nous préciser sa (ou plutôt ses !) position(s) vis à vis de l'Europe et de la décentralisation.

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