Eugénie DUVAL était porteuse d'une très riche culture traditionnelle et mîitrisait un vaste répertoire qui s'était transmis à travers les générations. Elle fut une des grandes compagnes de route de l'association La Bouèze. Pendant plus de 20 ans, elle participa à quelques centaines d'animations et anima maintes veillées. Elle fut un exemple. Nombreux sont ceux à qui elle donna envie chanter et de conter.
Elle est née en 1926 à Mézières-sur-Couesnon et, enfant, elle s'est imprégnée de cette culture traditionnelle. Son père, Emile Rébillon, était un sabotier mais également un conteur et un chanteur réputé souvent demandé pour animer les veillées. Elle l'écoutait fascinée et très vite, elle devint également une bonne chanteuse.
Quand elle se marie avec Albert Duval, elle ne quitte pas la commune natale. Le jeune couple s'installe sur une ferme sur les bords du Couesnon. Elle reste ainsi proche de son père. Elle continue à chanter et à conter dans le cercle familial.
Ce n'est qu'au moment de sa retraite qu'elle se fera connaître et qu'elle-même prendra aussi conscience de la valeur du patrimoine oral que lui avait transmis son père et les chanteuses qu'elle avait côtoyées lors des rassemblements qui, alors, ponctuaient les moissons et les travaux collectifs des champs.
Au milieu des années 70, en compagnie de son père, elle avait rejoint un groupe de danseurs traditionnels qui venait de se créer à Mézières sur Couesnon. Le groupe est naturellement invité à la 3e Assemblée de la Bouèze organisée par la toute jeune association. Elle se tient cette année-là sur le commune au château de la Ville-Olivier. Les danseurs locaux sont ovationnés. Ils le seront également quelques temps plus tard sur la grande scène de la Maison de la Culture de Rennes, (l'actuel TNB ) dans le cadre du Festival des Rigodailles également initié par l'association.
Ces manifestations sont pour elle des révélations. Les chansons traditionnelles, les contes, les danses ne sont plus marginalisés et rejetés dans le passé mais intéressent un large public. Remarquée lors d'un concours de contes et de chants organisé par les caisses locales du Crédit Mutuel, elle prend vite de l'assurance et ne cessera plus désormais de chanter et de conter. Le jeunes passionnés de la Bouèze n'arrêteront plus de la solliciter. Ils l'invitent à des veillées, des animations, aux ramaougeries...
Sa réputation dépasse rapidement les limites du Pays de Fougères. Elle est accueillie au Festival des Tombées de La Nuit de Rennes. Elle est lauréate à trois reprises du grand concours de la Bogue d'Or de Redon, ce grand rendez-vous annuel des chanteurs et conteurs de Haute-Bretagne. Elle remporte, ce qui est exceptionnel des bogues d'or dans deux catégories : le conte et le chant. Elle voyage également , notamment au Québec. Ce séjour la marquera par les rencontres qu'elle y fera.
En 1995, elle enregistre avec l’association la Bouèze, une cassette-livret de chants et de contes. Celle-ci rencontre un grand succès à sa sortie.
C'est également au sein de l'association qu'elle fait connaissance au tournant des années 90 de Thérèse Dufour, conteuse et chanteuse comme elle. Elles formeront désormais un duo inséparable.
Pendant de nombreuses années, elles vont multiplier, inlassables, les animations et notamment les interventions auprès du jeune public. Rien ne faisait plus plaisir à Eugénie Duval que d'avoir autour d'elle un groupe d'enfants bouche bée, captivés et suspendus à ses paroles.
La culture traditionnelle mène naturellement à la création. Thérèse Dufour, et Eugénie Duval furent ensemble des créatrices parfois facétieuses. Elles mystifièrent joyeusement leur entourage avec une chanson traditionnelle de belle facture qu'elles disaient avoir collectée auprès d'une chanteuse dans une maison de retraite. Elles n'avouèrent la vérité et «leur forfait» que plusieurs mois plus tard dans de grands éclats de rire.
L'année suivante un jury hilare et unanime en finale au Kan ar Bobl à Pontivy, leur décerna le grand prix de la création pour une désopilante chanson sur le don d'organe, un sujet qui habituellement ne prête pas vraiment à rire.
Eugénie Duval s'en est désormais allée. Les membres de la Bouèze regretteront longtemps l'amie, sa gentillesse, sa disponibilité. Elle a œuvré avec modestie mais talent pour transmettre et valoriser le riche patrimoine oral de la Haute-Bretagne
C'est un fabuleux héritage qu'elle transmet. Certaines des chansons et des contes qu'elle nous lèguent, ont traversé les siècles. Grâce à elle, ils résonneront encore longtemps dans toute la Haute-Bretagne. Ses chansons et ses contes ont été déposés par la Bouèze sur le site de Dastum. www.dastum.bzh
Ses obsèques se sont déroulées à Mézières-sur-Couesnon dans une intimité contrainte par l’épidémie. Les associations culturelles ont été nombreuses à saluer et pour lui rendre hommage et elles ont fait publier sans doute pour la première fois dans Ouest-France, un avis d'obsèques en gallo.
Dans un communiqué, L'Afap, l’ Association pour la formation et l’animation populaire (prix Froger-Ferron, entre autres), par la voix de Jean-François Froger salue son «héritage de patrimoine culturel exceptionnel».
«Par sa voix elle a fait vivre notre terroir fougerais. Sa participation aux dix ans de l'Afap, au prix Froger-Ferron, à diverses veillées et randonnées chantées nous a procuré un grand bonheur. Beaucoup d'entre nous garderont le plaisir de fredonner ses chansons, et l'atelier Chant-enfant de l'Afap s'en est beaucoup inspiré».
Maurice Langlois, lui-même conteur, rappelle : .«Elle savait rendre hommage, avec brio, à l’héritage venu de son père en matière de contes en gallo. Elle a enchanté tant d’oreilles à travers les chants et légendes qu’elle interprétait si talentueusement. Je suis heureux d’avoir fréquenté cette dame à qui je rendais visite, chez elle, à Mézières-sur-Couesnon, les soirs de printemps, après mon travail au lycée agricole de Saint-Aubin-du-Cormier».
Maurice Langlois de conclure en gallo, la langue qu'elle affectionnait : La Ugénie cé ënnalée bagoulë enddans lé nuaïges.
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