Un livre important de 400 pages qui aurait pu être une thèse universitaire sur l'identité bretonne. Rien de surprenant venant de la part d'un professeur de géographie de l'Université de Bretagne Sud. Jean-Michel Le Boulanger, aussi conseiller régional PS adjoint à la culture, était déjà apprécié par tous les Bretons de gauche comme de droite pour ses discours bien articulés et son sens de la formule, tout spécialement sur les enjeux de la culture bretonne.
Son écriture est toute aussi limpide sur un sujet complexe qui ne se prête pas aux analyses simples voire simplistes. Son style est académique, certes, mais son travail de recherche est rigoureux. Sa documentation ample est à l’image de son immense culture et de ses lectures. Les sources souvent sortent des sentiers battus et des citations copiées et recopiées. La compilation de faits et de dires est énorme et, juste pour cela, le livre deviendra une référence.
En choisissant Jean-Yves Le Drian pour écrire la préface et en s'inscrivant dans la tradition d'Anatole Le Braz, amplement cité dans le livre, Jean-Michel Le Boulanger s'inscrit dans la continuité du régionalisme éclairé. Un régionalisme identitaire basé sur le sentiment d'appartenance et sur la connaissance intime de son territoire. La reconnaissance complète de son identité bretonne devient une nécessité mentale pour le bien-être personnel certes, mais aussi pour pouvoir agir, servir, créer et s'octroyer un futur.
Pour reprendre la formule de Le Drian dans la préface : « pour moi la Bretagne est mon creuset, c'est l'humus de mon devenir ». Certes c'est essentiel de le reconnaître, mais peut-on se limiter à un simple accaparement égoïste d'images, de paysages, de sons, d'odeurs de pins iodés et de chardons écrasés ? La Bretagne peut-elle se limiter à un élixir de bonne santé physique et mentale ? Beaucoup de militants ne seront pas d'accord.
Pourquoi ne pas s'en tenir aux faits ? La Bretagne a subi ou embrassé 500 ans de colonisation. Le mot n'est pas prononcé dans le livre. Le Boulanger préfère le terme «nationalisation». Pour lui les Bretons n'ont pas été colonisés mais nationalisés comme d'ailleurs 90% des habitants du territoire français sans parler d’autres, africains ou européens où la tentative a échoué.
Quoiqu'on en dise et qu'on écrive, même d'une façon savante, le régionalisme aura toujours ce côté coiffe de dentelles et biniouseries, menhirs, chansons de Botrel et poésies de Brizieux. Certes, les nationalistes bretons ont aussi leurs casseroles et on ne reparlera pas ici de la seconde guerre mondiale. Le Boulanger a la décence de ne pas reparler, à peine une ou deux pages, d'un sujet déjà trop abusé. En tous les cas, le livre n'est en aucun cas une attaque du nationalisme breton, il essaie de proposer une autre voie basée sur la force d'une identité vécue et acceptée et maintenant reconnue. Une sorte de force tranquille qui s’imposerait d’elle-même puisque la Bretagne fabrique de la bretonnité -- même sans État pour la gérer et gratuitement en plus !
L'identité seulement ? On ne peut que répéter la phrase de Kennedy: « Do not ask what the country can do for you, but what you can do for your country ». Ne pas se demander ce que l'on peut recevoir de la Bretagne, ce qu'elle nous a donné, ce qu'elle peut nous apporter, y compris cette identité, mais se demander ce que l'on peut faire pour sauver la culture, la langue, l'intégrité territoriale, l'identité même, menacée à la fois par la France et par la mondialisation. Il y a aussi la défense de cette terre où sont ensevelis nos ancêtres... des centaines voire des milliers de générations puisque la Bretagne est peuplée depuis au moins 500 000 ans, comme le montrent les restes de foyers à Menez Dregan en Plozevet (les tempêtes ont mis à jour sur l’estran des empreintes humaines fossilisées vieilles de 600 000 ans en Cornouailles britannique la semaine dernière).
Le Boulanger met sur le même pied nationalisme français et nationalisme breton ... mais le sont-ils ? Les nationalismes sont-ils tous les mêmes ? On peut en douter. Celui qui défend sa terre est-il le même que celui qui va conquérir celle des autres jusque qu'au bout de la terre (et c'est le cas de la France)? Le sujet est d'autant plus ambigu que les Bretons ont participé à l’expansionnisme français, ont participé à la traite des esclaves et, dans une proportion qui reste à définir, ont participé à l'aventure coloniale française et à ses guerres plus ou moins sales mais toujours contraires au droit international mêmes si celui-ci n’était pas encore institutionnalisé.
Le Boulanger analyse la formation de l'identité bretonne en parallèle avec le développement de l'identité française. Les identités finissent par se superposer. Le Boulanger reprend d'ailleurs ce que Mona Ozouf a bien expliqué et affirmé : l'identité est multiple. « Comme les couches d’un oignon » dit-elle. C'est vrai. Un Breton du 21è siècle a une culture multiple, bretonne, française et anglo-saxonne (la culture internet, rock and roll, et la culture urbaine sont principalement des cultures anglo-saxonnes). Les Bretons de la diaspora ont une couche supplémentaire, celle de leur pays d'adoption.
Mais si nous avons tous une culture multiple, pouvons-nous appartenir à plusieurs nations ? That is the question. Et l’auteur ne la pose pas. La réponse est non à mon avis mais elle est sans doute oui pour les régionalistes comme Le Drian et Le Boulanger. Certes nous pouvons être à la fois citoyen français et citoyen européen et même en plus citoyen américain comme l'auteur de cet article, mais nous devons choisir entre la nation française ou la nation bretonne ou même une autre pour les immigrés récents. D'ailleurs, la France oblige les immigrés africains à choisir. Cela s'appelle l'intégration, une nationalisation pour reprendre le mot de Le Boulanger. Rappelons que les jacobins, de Marine Le Pen à Mélenchon, ne reconnaissent qu’une identité, l’identité française.
Quand Le Boulanger écrit page 292 « Le nationalisme qui privilégie l’identité unique porte en lui la guerre, comme la nuée porte en lui l’orage »... On aimerait penser qu’il parle des nationalistes français, et non pas des nationalistes bretons et même des nationalistes français contemporains. Le cas de Roparz Hemon qui voyait une Bretagne où ceux qui n’auraient pas parlé breton en auraient été exclus appartient à un lointain passé. Aujourd’hui la Bretagne est menacée par les extrémistes français, les républicains adeptes de l’identité unique.
On peut avoir plusieurs identités mais on ne peut appartenir qu'à une seule nation. Ce n'est pas un hasard si les symboles nationaux, drapeau et hymnes nationaux sont uniques. Le gwenn ha du comme le bro gozh (oui oui c'est le même au Pays de Galles mais bon), sont des symboles non pas d'une appartenance à une culture, mais à une nation. On regrettera que le Boulanger ne fasse pas la différence. Le Drian non plus au vu des cérémonies militaires et honneurs rendus quasi hebdomadaires sous le drapeau tricolore et les marseillaises.
Cette amalgame est-il tenable ? Sans doute pas pour très longtemps. Les intérêts de la Bretagne ne sont pas forcement les intérêts de la France, l’histoire l’a déjà montré. Il suffit d’un exemple non contesté et non contestable. Les guerres incessantes entre l’Angleterre et la France ont ruiné l’économie bretonne si florissante à la fin du moyen âge.. Tôt ou tard ces divergences d’une Bretagne tournée vers la mer et une France continentale ou méditerranéenne referont surface. A la limite, les intérêts de l’Europe ne sont aussi pas forcement les intérêts de la Bretagne. Un euro fort ne gêne pas une Allemagne exportant des machines outils, elle gêne l’économie bretonne qui ne peut plus exporter ses produits, principalement agricoles, en dehors de l’Europe car les prix de ventes en euros sont trop élevés. Elle ne peut même plus exporter ses produits agricoles en Europe car la fiscalité et la législation française sont des handicaps et le seront encore plus avec l’écotaxe.
Le Boulanger reprend les constructions identitaires françaises et bretonnes à travers l'histoire depuis le XIXe siècle. Il admet assez rapidement, et je crois abusivement, que l’identité bretonne n’existe pas avant 1840, un peu comme ces historiens communistes pour qui il n’y a pas de nation avant la révolution française. Quand Marie de France dit « encore un lai qui nous vient des Bretons », elle identifie bien, donc donne une identité, aux Bretons en tant que groupe distinct. Ce n'est pas parce que les textes sont rares que cette identité n’existait pas. Le lecteur reste sur sa faim pour les 18 siècles d’avant le Barzaz Breizh.
Le Boulanger reprend l'idée que l'identité n'est pas la langue, même si elle l'a été à un certain moment pour les bas-bretons et justement dès le moyen âge. Le slogan «Hep brezhoneg, breizh ebet» est mis en pièce. Tout au contraire, l'arrivée de la langue française a, comme l'a expliqué Anatole Le Braz, et ceci est repris justement par Le Boulanger, permis à la Bretagne d'avoir une langue commune aux populations parlant soit le gallo soit le breton. Le français a paradoxalement renforcé l’unité bretonne. Le Boulanger oublie d'ailleurs de le dire, le français serait devenu langue officielle du duché (la date reste à préciser) avant qu’il le devienne en France. Et l'édit de 1539 de Francois Ier n’est même pas une officialisation à proprement parler. C‘est la révolution qui fera du français la langue officielle de la république.
Dans la deuxième partie intitulée « et les Bretons se dirent Bretons », Le Boulanger analyse la prise de conscience récente des Bretons de leur bretonnité. Tout semble commencer en 1840 ou vers cette époque avec un joueur de biniou extrêmement populaire, aveugle et virtuose Matilin an Dall (Mathurin l'aveugle). En Bretagne, tout commence par la musique comme le revival de 1970 avec Alan Stivell. Le Barzaz Breizh, lui-même publié en 1840, est un recueil de chants populaires. C'est la bible de l'identité bretonne retrouvée, « un petit livre rouge » brandi par les premiers régionalistes comme une preuve -- dans la foulée des « nostalgiques »: Châteaubriant, Lamennais et Renan. Des rêveurs, apparus à contre courant dans une France idéologique et rationaliste. Des rêveurs qui proposaient et fantasmaient une Bretagne «idéalisée ».
Dans la troisième partie « Composition bretonne », Le Boulanger continue sa longue narration de l’identité bretonne à travers Gwalarn et l’élitisme des nationalistes d’avant guerre, puis à travers le CELIB et finalement le renouveau des années 1970. Une place méritée est donnée à travers tout le livre à son collègue le géographe [[Michel Phlipponneau]], l’auteur de « Debout Bretagne ». Citant les hommes politiques de gauche, puis de droite, qui oeuvrent pour la Bretagne, on est surpris qu’il cite Goulard ou Cozan mais qu’il évite Le Fur ... pour quelle raison ? Les amendements qu’il a proposés pour la langue bretonne comme pour la réunification sont documentés y compris sur ce site.
La page 344 sur le »mythe Anne de Bretagne" est complètement inutile et pêche par omission. Non seulement il n'y a pas de mythe Anne de Bretagne, il y a certes une ferveur populaire, mais Le Boulanger oublie de mentionner un fait capital de la vie d’Anne de Bretagne. Deux jours après la mort de Charles VIII, Anne restaure la chancellerie de Bretagne (son gouvernement) et y nomme des Bretons. Un fait capital montrant son degré de responsabilité envers le duché jamais entamé par son destin de Reine de France. Ce n’est absolument pas un mythe mais un fait historique comme d’ailleurs son fameux contrat de mariage avec Louis XII, très bien négocié, qui définit clairement les droits et l'indépendance future du duché. On l’aura compris, Le Boulanger est géographe mais pas historien du Moyen âge et de la Renaissance. Il reste que Le Boulanger a fait un excellent travail d’histoire moderne en narrant l’identité bretonne à travers la culture populaire , la littérature, la musique et la politique sur les derniers 150 ans.
Le livre finit par une transcription d’une communication donnée lors d’un colloque à l’Unesco qui résume bien la pensée et l’analyse de l’auteur.
Aux éditions Palantines
prix : 23 euros.
Philippe Argouarch
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