Une sobre jaquette sur fond noir, sur laquelle, dans un harmonieux chromatisme, apparaissent, au carré, comme composé par un jeu de miroirs symétriques, deux instruments : un accordéon, une guitare et deux visages, visiblement rayonnants du plaisir de jouer ensemble.
L’accordéon est diatonique, un « Dony » de la célèbre maison Castagnari et la guitare électro acoustique est une « Kopo », création d'une lutherie guitare des environs de Rennes.
Quant aux visages, signés du photographe Éric Legret (voir le site) , ce sont ceux de deux véloces maîtres de ces vents et cordes qui, joués avec vélocité, vous distillent, à foison, du bonheur et de l’émotion, ceux d’Étienne Grandjean et de Soïg Siberil.
Étienne Grandjean… je le connaissais, depuis 1995, alors que j’avais illustré un court passage d’un diaporama consacré au Croisic, par son « Hanter dro du Tréhic » (nom de la jetée qui abrite le port de l’ancienne cité corsaire). Ce titre était paru, à l’époque, sur une cassette de compilation, dénommée « Celte de Bretagne et d'Irlande ».
J’avais, déjà, été beaucoup touché par l’âme qui se dégageait de ce savoureux instant de piste magnétique, support que je possède, toujours.
Soïg Siberil ? C’est, pour Culture et celtie, l’e-MAGazine un fort talentueux sociétaire !
Nous avons eu, en effet, le plaisir de chroniquer, sur nos pages en ligne :
Avec Cédric Le Bozec, « Duo libre », édité en avril 2011 (voir le site) « Tamm ha Tamm », paru en avril 2012 (voir le site) et « Dek », publié en mai 2014 (voir le site)
Le disque de 12 titres reçu et, ici, présenté, est baptisé « La tempête ».
Dans le contexte celtique, breton, voire maritime qui trace, notamment, notre ligne éditoriale et la création de nombreux artistes armoricains ou celtisants dont nous parlons, chacun pourrait croire qu’il s’agit là, d’un enregistrement de morceaux musclés puisés dans le rythme infernal des grandes marées ou le souffle décoiffant des grands vents d’ouest… il n’en n’est rien !
Au contraire, nous sommes en présence d’un recueil musical d’une extraordinaire et intime gracilité, avec toutefois, des instants plus rythmés, notamment par des airs à danser...
Mais pourquoi, ce titre d’album : « La tempête » ?
Sans doute, en référence à la 5e plage du programme reprenant un traditionnel, une chanson contre la guerre, mettant en scène un soldat napoléonien, dit « La Tempête » qui livre des adieux poignants à sa bonne amie, n’étant pas certain de revenir vivant d’une campagne menée par la Grande Armée.
« Je m'en vais de par la ville,
Pour y faire mes adieux,
Mes adieux à toutes les filles
Qui ont, pour moi, les larmes aux yeux,
Ainsi qu'à ma bonne amie
Qui pleure pour son amoureux »
…/...
Datant de 1810, création d’un auteur anonyme, ce chant est, régulièrement, interprété par des promotions militaires, notamment celles émanant de l'École Spéciale Militaire de Saint Cyr Coëtquidan.
Il existe une version marine de ce texte : « L'adieu aux filles ».
À noter, pour cette pièce, qu’après une très courte, mais fort belle et plaintive introduction, comme le chantait « Le Grand Jacques », « dans le son déchiré d'un accordéon rance », la voix, très légèrement embrumée d’Étienne convient fort bien à cette lourde ambiance, « métronomée », par l’horloge de la cristalline guitare de Soïg.
Le choeur qui intervient après le pont d’accordéon, renforce la dramaturgie de ce déchirant moment. Une bien belle plage !
Paru en juin 2016, l’album « La tempête » a été, subtilement, enregistré en janvier 2016, par Pascal Mandin, au studio Marzelle et produit par ce label.
Pas étonnant, donc, de trouver, en ouverture de l’opus, sous forme d’un rond de Saint Vincent sur Oust, une composition d’Étienne Grandjean titrée : « Chauffe Marzelle !», un double clin d’oeil à l’ accordéoniste bien connu et à la maison de production sus-nommée.
Côté « Choeurs », apparaissent les noms de Soïg Siberil et de… Jean Chocun !
Le graphisme et la conception de la pochette sont signés : Konan Mevel !
Marzelle, Mandin, Mevel, Chocun… ne serions-nous pas dans « Le repaire des 3 Jean » ? autre clin d’oeil d’Étienne, suscité par le titre qui conclut l’opus, sous forme de Kas a Barh.
Entre la première et dernière allusion, ce disque nous présente un répertoire constitué de sept compositions ainsi que d'airs et chants traditionnels arrangés et interprétés de façon actuelle et originale.
En piste 2, dans la famille « Trad », vous retrouverez une chanson de Haute-Bretagne, « La misère » qui raconte l’histoire d’un traîne-misère qui a accompagné Étienne, tout au long de son parcours de musicien. Le duo nous livre, ici, une version plus rapide que celle, très électro-guitaristique, que je connaissais du musicien lorientais, Colin Chloe, qui la décline, avec grande créativité, très rock, « à la Bashung ! ».
Ici, c’est folk et le final à l’accordéon swingue quelque peu dans le registre de l’harmonica qui ponctue les « Élucubrations d’Antoine ». S’agit-il d’un autre clin d’oeil ?
Vous connaissez, certainement, ce texte qui vous induira l’air, car ce morceau a été enregistré à plusieurs reprises. L’interprétation du duo est, ici, très réussie !
« Dans toute la maisonnée
Il n’y avait pas de quoi
Mon père aussi ma mère
Ils sont partis sans moi
Refrain :
Et moi j’y vais mon train
En roulant ma misère
Et moi j’y vais mon train
En mendiant mon pain
J’ai marché sur les routes
Couché dedans les bois
Et pour casser la croûte
J’ai volé bien des fois.
Au Refrain
Je n’ai qu’une chemise
Pour tout habillement
Je lui fait sa lessive
Une fois tous les ans ».
Au Refrain
…/…
Retenons, aussi, une fort agréable valse où les deux instruments s’enroulent avec fluidité dans des spires mélodiques qui vous donnent envie d’esquisser les 3 temps du spécifique pas.
Il s’agit de « Madonna’s valse ». Encore une délicieuse plaisanterie d’Étienne Grandjean, puisque, pour ce titre, le commentaire de la jaquette spécifie.
« Petite valse composée, non pas en hommage à la chanteuse du même nom, mais à la petite chienne Jack Russel d’Étienne qui aime également être promenée en laisse et collier de cuir… ».
J’ai également été heureux de retrouver, en position 4, « Halage », une composition de Soïg Siberil qu’il avait enregistrée sur son CD « Gitar », paru en 2002 et qui avait été reprise au sein de son double album « 30 ans de scène -Tamm ha Tamm ».
Une flânerie solitaire sur le halage, le long du Canal de Nantes à Brest, en plein Kreizh Breiz. J’avais amplement apprécié l’interprétation de Soïg, alors, accompagné par Patrice Marzin à la guitare et Jean-Loup Cortes au piano, mais je dois avouer que ce duo Étienne-Soïg ajoute de la rêverie ou du vague à l’âme à cette poétique balade. Tour à tour, les pensées s’envolent, s’exaltent, puis retombent.
Un texte figurant à l’intérieur de la jaquette, signé de Jean Chocun nous signale qu’ « Étienne Grandjean prend un plaisir malicieux à entonner quelques chansons aux refrains teintés d’une gaillarde ironie ».
C’est le cas pour la chanson revendicative franc-comtoise « La brouette à Satan » qui a accompagné Étienne dans ses premiers instants d’apprentissage de l’instrument à soufflet et qu’il reprend, en choeur, façon « chant de table » !
Ces joyeux couplets pamphlétaires gardent néanmoins, grâce aux deux brillants intervenants une finesse conjuguée par la fusion parfaite des deux registres instrumentaux.
Le texte « bénit » bien des catégories :
« Satan le roi des enfers, vient faire sa ronde !
Et parcourir l'univers, pour purger le monde !
Des accapareurs, voleurs, des rapineurs, des fraudeurs,
Des banqueroutiers et des usuriers, financiers et banquiers
Vont aller en tête ...
Au fond de la brouette !
Chez tous les marchands de vin et les aubergistes,
Les mélanges ils vont leur train, ce sont des droguistes !
Ils droguent jusqu'au vin d’Arbois, ils le rendent faible et plat !
De tous ces tripoteurs, de vin de liqueurs, Satan, va sûrement
Sans tarder les mettre…
Au fond de la brouette ! »
…/…
8 instrumentaux, 4 chansons, rond de Saint-Vincent, valses, jig, an dro, hanter dro, kas a barh, voici un disque très inventivement varié où se mêlent sentiments et humour , suave ou guilleret accordéon et éclatante et limpide guitare, sous la houlette de deux instrumentistes d’exception.
La virtuosité amplifie l'émotion et l'amitié semble, ici, sculpter la musique. Il faut se rappeler que ces deux « complices » ont partagé la scène durant six années, à partir de 1982, avec le groupe Pennoù Skoulm.
L'accordéoniste Étienne Grandjean et le guitariste Soïg Siberil sont deux musiciens présents sur la scène musicale bretonne depuis près de… trente-cinq ans !
Quelle belle idée d’avoir produit ce disque qui donne une autre notion de l’heureuse association de ces deux instruments.
Un tome 2 serait le bienvenu et nous pensons qu’avec la diversité artistique qui jalonne cet enregistrement, voici une prestation scénique toute trouvée pour les organisateurs qui cherchent, véritablement, des programmations originales mais rassurantes en terme de réception de la part du public.
Un remarquable et intime CD qui enrichira, sans nul doute, votre discothèque !
Gérard Simon
CD «La Tempête»
01 - Chauffe Marzelle - 3:44
02 - La misère - 3:51
03 - Madonna's valse - 3:36
04 - Le halage - 3:11
05 - Les adieux de «La tempête» - 3:49
06 - Jigophonie - 3:48
07 - La maison de Bot - 3:29
08 - Chez Pedro - 3:59
09 - La brouette à Satan - 3:04
10 - Sentier des Ormeaux - 2:37
11 - Rossignolet du bois - 3:24
12 - Le repaire des 3 Jean - 3:36
CD «La Tempête» - Étienne Grandjean et Soïg Siberil
Parution : 3 juin 2016 - Réf : 5112476
Édité chez Marzelle
Distribué par Coop Breizh - (voir le site)
© Culture et Celtie
Illustration sonore de la page : Extrait de «Sentier des Ormeaux» (S. Siberil / É. Grandjean) de l'album
«La Tempête» d'Étienne Grandjean : (voir le site) et Soïg Siberil (voir le site)
D'autres extraits sur Culture et Celtie, l'e-MAGazine :
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