Nous apprenons avec tristesse la disparition de Chris Kutschera, alias Paul Maubec, décédé le 31 juillet. Sa femme Edith, photographe, et Paul, journaliste écrivain, formaient un couple qui, pendant plus de quarante ans, a sillonné les pistes du Kurdistan, du «Grand Kurdistan» et dont les photos, les témoignages, les rencontres, sont les témoins d’une longue quête pour connaitre en profondeur le «Mouvement national kurde» et relater, avec une extrême sensibilité mais sans concession, le «Défi kurde ou le rêve fou de l’indépendance», sans oublier la «Longue Marche des Kurdes».
Les Kurdes perdent un grand ami, fasciné par l’importance de la langue pour asseoir l’identité d’un peuple :
«tous ces Kurdes qui sont plus ou moins acculturés, mais pas assimilés, sont d’accord pour souligner l’importance de la connaissance de la langue, et le lien entre la langue kurde et l’identité. C’est un des fondements de l’identité ; si vous n’avez pas ça, qu’est-ce que vous avez ? Les Kurdes, tout en étant aujourd’hui le plus grand peuple sans Etat, ont une langue et une culture qui leur donnent un vif sentiment d’identité, une identité qui a survécut à des siècles de répression et d’assimilation et qui les a conduit à se battre pour les droits à une nation kurde», écrivait Kutschera, tout en reconnaissant que la réalité n’est pas aussi simple : la répression et l’acculturation laissent des traces.
Le «Middle East Magazine» a publié en décembre 2012 un long document de Chris Kutschera sur les pourparlers d’Oslo, qui se déroulèrent de 2008 à mai 2011 entre les émissaires du PKK et ceux du gouvernement turc. Zubeyir Aydar, l’un des trois négociateurs du PKK (que nous avons nous-même rencontré à Rennes en septembre 2012) lui confie ses doutes sur la sincérité d’Erdoğan pour trouver une solution politique à la question kurde :
«les émissaires du gouvernement sont venus les mains vides. Ils n’ont jamais fait de proposition. Nous avons proposé 12 amendements à la Constitution, ils n’ont jamais accepté de discuter la Constitution. Ils voulaient nous convaincre d’accepter des droits individuels mineurs – le droit d’enseigner notre langue dans les écoles, par exemple, et d’avoir une télévision en kurde».
Zubeyir Aydar, relate Chris Kutschera, tout en admettant qu’il y a eu un «véritable processus de négociation en 2010-2011», estime que le véritable objectif du gouvernement était de faire trainer en longueur les négociations, tout en mettant en place une coalition avec l’Iran et la Syrie et en préparant une opération pour détruire militairement le PKK après les élections turques de juin 2011. Mais les événements en Syrie auraient amené les Turcs à ajourner leur grande opération militaire.
Danielle Mitterrand, la «Mère des Kurdes», comme elle aimait elle-même le rappeler, décédée le 22 novembre 2011, a rendu un hommage mérité aux Kutschera en préfaçant le livre «Le Défi kurde» :
«grâce à sa connaissance personnelle des principaux acteurs de l’histoire kurde contemporaine et à ses nombreux déplacements dans la région depuis plus de vingt ans, Chris Kutschera dispose d’informations puisées aux meilleures sources. Il nous offre ici un vaste panorama de l’histoire kurde, telle qu’elle se dessine aujourd’hui, avec ses luttes, ses espoirs, ses échecs et ses drames. Tous ceux qui à un titre ou à un autre s’intéressent au peuple kurde et à son histoire devraient lire cet ouvrage fort utile qui leur permettra de comprendre pourquoi son histoire se trouve aujourd’hui au cœur de notre actualité».
André Métayer
Chris Kutschera, journaliste et écrivain français né en 1938, spécialiste du Moyen-Orient et plus particulièrement de la question kurde, a écrit plusieurs ouvrages et publié de nombreux articles dans le Monde Diplomatique, les Cahiers de l’Orient, Al Wasat et Moyen-Orient. Son site officiel.