Disparition de Jean-Jacques Kérouredan

Disparition publié le 4/05/08 18:39 dans Politique par Bernard Le Nail pour Bernard Le Nail

Avec la mort de Jean-Jacques Kérouredan, le 3 mai dernier, c'est une grand figure intellectuelle de la Bretagne qui disparaît et également un authentique poète. Jean-Jacques Kérourédan fut aussi philosophe, excellent germaniste, ardent militant de la construction européenne et fervent partisan du multilinguisme. Jean-Jacques Kérouredan laissera aussi le souvenir d'un visionnaire, d'un homme jamais satisfait du présent et toujours en marche vers l'avenir, rêvant d'un monde plus juste, plus solidaire et plus fraternel.

Né à Quimper en 1932, d'un père originaire du pays Bigouden, Jean-Jacques Kérouredan qui fut très proche de Pierre Jakez Hélias et du recteur Henri Le Moal, resta toute sa vie profondément attaché à la Bretagne, à son identité et à sa culture populaire. Il quitta sa ville natale à 20 ans pour aller à Nantes où son père souhaitait le voir faire l'École supérieure de commerce, mais il se lança en fait dans des études de philosophie, tout en s'inscrivant au Conservatoire de musique en violon et en piano. Il alla ensuite poursuivre ses études de philosophie à Paris, à la Sorbonne, où il eut pour maître Vladimir Jankélévitch, qui y enseignait la morale et la métaphysique; une profonde amitié allait le lier à ce philosophe engagé, jusqu'à la mort de celui-ci en 1985.

Curieux de tout, Jean-Jacques Kérouredan poursuivit aussi des études poussées de mathématiques, de physique et d'astronomie, puis il partit en Allemagne du Nord où il allait passer de nombreuses années de sa vie, d'abord comme professeur de philosophie au lycée franco-allemand de Hambourg, puis comme enseignant à l'Université de Hambourg et à celle de Kiel. Ayant épousé une Allemande et élevé ses enfants en français et en allemand, il était devenu un chaud partisan de l'éducation bilingue au point d'en faire sa spécialité, de devenir consultant international dans ce domaine et de fonder une association intitulée Europe Éducation avec le professeur Gilbert Dalgalian. Dans les années 1980, il allait notamment se battre avec beaucoup d'énergie en liaison avec le monde économique pour la création de lycées internationaux en Bretagne, en commençant par Saint-Nazaire, mais les pesanteurs et les résistances de l'Administration, en particulier de l'Éducation nationale, ne permirent pas à ce beau projet d'aboutir alors...

Ses enfants devenus grands, il ressentit la nécessité de revenir en Bretagne et d'y mettre en application l'expérience acquise en Allemagne et, plus largement en Europe, à travers ses missions et son formidable réseau de relations. Ses convictions européennes et décentralisatrices l'amenèrent à adhérer de bonne heure au Mouvement des Radicaux de Gauche (MRG), animé en Bretagne par son ami le recteur Henri Le Moal. Homme de gauche, Jean-Jacques Kérouredan lutta toute sa vie pour l'abrogation du décret Pétain Darlan du 30 juin 1941 qui avait séparé le Pays Nantais du reste de la Bretagne, et pour un enseignement de la langue bretonne digne de ce nom dans les écoles de Bretagne.

Venu s'installer au début des années 1980 à Baillé, près de Saint-Brice-en-Coglès, il fit campagne avec Jacques Faucheux et Louis Feuvrier contre Michel Cointat, député-maire de Fougères, et Jacques Faucheux ayant emporté la mairie, il devint son adjoint à la culture. C'est lui qui lança dès 1984 l'organisation d'un salon du livre à Fougères dans le magnifique cadre de l'ancien couvent des Urbanistes; en 1985, ce salon allait se spécialiser et devenir le Festival du livre de jeunesse qui a toujours lieu chaque année au mois de novembre depuis déjà 23 ans. De graves problèmes de santé le contraignirent à ralentir ses activités et, à la fin de son mandat, il dut abandonner ce poste, très lourd, mais, ayant développé ses activités professionnelles à Rennes, il accepta de figurer sur la liste d'Edmond Hervé aux élections de 1989 et il devint conseiller municipal de Rennes (jusqu'en 1995).

En 1984, Jean-Jacques Kérouredan avait lancé avec son épouse Ursula une maison d'édition, Ursa, qui publia nombre de livres remarquables sur les peintres de la Bretagne et sur le patrimoine, mais, au bout de quelques années, des problèmes de trésorerie le contraignirent malheureusement à arrêter cette activité.

Très marqué par le développement du design dans les pays du nord de l'Europe, en particulier au Danemark et en Finlande, il créa à la fin de 1994 l'association «Création en Bretagne» avec Jean-Guy Le Floc'h (Armor Lux), la faïencerie Henriot, Gildas Le Minor, Le Villec et d'autres, en collaboration avec la styliste Nelly Rodi-Le Louët, afin de développer et promouvoir dans la décoration, les arts de la table, l'architecture intérieure et le cadre de vie des Bretons du XXIe siècle un «style breton» d'avant-garde, mais enraciné dans la richesse des traditions populaires bretonnes. Il en fut pendant plusieurs années le très actif délégué général.

Très lié à l'Organisation de Bretons de l'Extérieur (OBE) devenue Bretons du monde, il aida aussi un de ses fils, Hervé Kérouredan, à créer à Hambourg une «maison de la Bretagne», pour promouvoir notre région sur le plan touristique, mais aussi ses produits et ses richesses culturelles et artistiques sur le marché allemand. Il fut aussi le fondateur de l'association Bretagne Prospective, sorte de «Think Tank» breton visant au développement économique, social et culturel de la Bretagne, dont l'idée lui vint lors de rencontres suivies avec Joseph Martray, le fondateur du CELIB qui finit par en accepter la présidence d'honneur (Bretagne Prospective est aujourd'hui animé par Jean Ollivro). Il participa aussi à la création du Mouvement Fédéraliste de Bretagne ainsi qu'à l'Union des Mouvements Fédéralistes avec Jean-Yves Quiguer qu'il avait rencontré au sein de Bretagne Prospective.

À l'âge de cinq ans, Jean-Jacques Kérouredan avait contracté un rhumatisme articulaire, dont les conséquences allaient faire de la plus grande partie de sa vie un véritable calvaire. De nombreuses années plus tard, il allait devoir subir plusieurs opérations à cœur ouvert. Il se savait «en sursis» ainsi qu'il le disait lui-même, et tous ceux qui le connaissaient bien, ne pouvaient qu'être remplis d'admiration pour son courage et pour l'énergie qu'il déployait, malgré sa fatigue et sa souffrance, dans de nombreux domaines.

Jean-Jaques Kérouredan était membre de l'Institut culturel de Bretagne et de l'Association des écrivains bretons.

Jean-Jacques Kérouredan, qui signait ses œuvres du nom de Gwilherm Herri Kerouredan, était aussi un poète de qualité, auquel on doit un grand nombre de recueils publiés depuis des décennies. Peu de temps avant de quitter la mairie de Rennes, Edmond Hervé avait tenu à lui rendre un hommage public à l'Hôtel de Ville de Rennes.

Une des dernières sorties en public de Jean-Jacques Kérouredan aura été le 11 mars dernier à la Bibliothèque de Rennes-Métropole aux Champs Libres, pour l'inauguration d'une exposition consacrée à son ami poète Eugène Guillevic disparu en 1997. Jean-Jacques Kérouredan, amaigri et très fatigué, avait tenu à être présent avec son épouse Ursula et à saluer, avec beaucoup d'émotion, Lucie Albertini, la veuve du grand poète natif de Carnac.


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