Fin juin 2013, les Presses Universitaires de France ont publié un nouveau «Que sais-je ?» entièrement consacré à « René Descartes ». La quatrième de couverture est éloquente : a) la philosophie cartésienne se déclinerait en « un refrain tranquille » b) ce refrain serait celui « de la France entière » (on notera bien la précision : il s'agit de la France « entière ») c) ce refrain est résumé à une formule lapidaire (qui trahit la philosophie de Descartes) : « je pense, j'existe ».
D'une part, Descartes écrit « je pense, je suis » et d'autre part, « je suis, j'existe ». Autrement dit, rien ne justifie le raccourci de ce « je pense, j'existe » résumant la pensée de Descartes à « une bouillie indigeste ». Cet ouvrage est un pur scandale. L'esprit français s'y dévoile dans toute sa splendeur. Ajoutons que la page 10 est une réponse point par point à notre «Descartes, Breton ?» (2009). Tout y est : le Panthéon, l'église de Saint-Germain-des-Prés, le crâne et même l'empoisonnement à l'arsenic ! Car il faut quand même reconnaître que c'est là le premier ouvrage français à admettre (même si c'est du bout des lèvres) «que Descartes a été empoisonné» ! Citons le propos (p. 9) : « Décédé en terre luthérienne – peut-être suite à un empoisonnement à l'arsenic ». Cependant, si le meurtre est concédé, rien bien sûr concernant le Parlement de Bretagne...
Descartes est présenté dans ce livre comme « le cinquième mousquetaire » (ce qui aide considérablement la compréhension de son oeuvre). Le ton est « grand seigneur » (ce qui caractérise « le style français »), et il est mentionné dans l'introduction que le crâne du philosophe (qui n'est pas le sien) se trouverait « dans le tout petit musée Descartes, en Touraine » (c'est la dernière phrase de l'introduction).
Ce musée est d'autant plus « petit » que le philosophe est « grand », voire « immense ». Car, plus que jamais, il a « la taille d'un pays ». C'est, en quelque sorte, chaque « Français » qui doit se reconnaître dans cette sorte de «père (ou grand-père) de la nation». La couverture du livre est elle aussi éloquente : elle présente le timbre qui a été spécialement créé en 1996 pour le 400ème anniversaire de la naissance de Descartes.
Si l'intention de ce petit livre est de « temporiser » la vague de contestation (américaine, allemande et bretonne) qui règne depuis 2008, et de fermer ainsi « le dossier Descartes », «il ne fait en réalité que l'ouvrir», car y manque partout « le bon sens » dont parlait si bien Descartes en son temps.
Notons en outre l'usage systématique du latin dans les références (ce qui est censé rendre le propos « plus scientifique » et donc « moins contestable »). Or, si Descartes s'est donné la peine d'écrire en français au 17e siècle, c'est peut-être pour qu'on ne le lise pas en latin au 21e siècle. Notons aussi que l'auteur (normalienne, agrégée et Docteur d'Etat) est une spécialiste de Fénelon (1651-1715).
Ce petit livre représente donc « le point de vue français » dans ce qu'il a de plus conservateur et de plus unilatéral, c'est-à-dire ne tenant compte de rien d'autre que «de lui-même». L'expression « France entière » est une provocation : il s'agit bien de celle qui commence et qui finit à Paris. C'est alors moins que ce livre « trahisse l'esprit de René Descartes » qu'il ne le rend en fait «profondément inintéressant». C'est sans doute le but de la manoeuvre : il ne s'agit pas de «comprendre René Descartes», mais de faire en quelque sorte « le ménage » dans ce que l'on dit de lui. Quoi de mieux que de régler son compte au philosophe pendant l'été ? Alors que « les Français » sont « en vacances » et qu'ils préparent une rentrée annoncée comme particulièrement « difficile » ? A l'heure où les injustes portiques « écotaxe » commencent à tomber en Bretagne, l'attitude franco-française relève de la pure inconscience.
Simon Alain
■Abbé Génevey, «Bulletin de l’Académie Delphinale de Grenoble», 1856.