Le porte-parole du collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », Jean-Pierre Le Mat, nouvellement promu à la place de Christian Troadec, qui s'est mis en retrait (voir notre article), s'est déplacé à Plonéour-Lanvern pour une rencontre-dialogue avec les Bonnets rouges du Sud-Cornouaille. Il a résumé la courte histoire des Bonnets rouges, montré la dynamique du « relocaliser les décisions en Bretagne » et, dans un dialogue vif, mais, sans ruptures, fait une mise au point sur les relations entre le collectif et les comités locaux. Un expert-comptable a, ensuite, dans des termes très pédagogiques expliqué la situation apocalyptique des comptes de l'Etat et le pillage des PME que cela engendre, ainsi que le blocage économique pour des raisons psychologiques.
L'apparition de bonnets rouges sur les têtes est venu de la coagulation de plusieurs malaises dans les secteurs économiques bretons, certaines filières agricoles et agroalimentaires, dans les transports routiers, le tout renforcé par l'aggravation de la pression fiscale. L'annonce de l'imposition de l'écotaxe, prévue début 2014, a fourni une occasion magnifique, car il y avait là « une Bastille à prendre ». Il confirme que, sans que les personnes concernées aient porté des bonnets, la date de naissance du mouvement a été le 2 août 2013, lors de l'abattage du portique écotaxe de Guiclan (près de Morlaix) (voir notre article). C'est, suite à une demande locale, émanant d'abord de Redon, qu'ont été lancés les comités locaux des Bonnets rouges en décembre 2013.
C'est Jean-Pierre Le Mat, parce qu'il est un spécialiste des «big data »qui, devant les 35 000 doléances individuelles des Bretons, recueillies en janvier et février 2014 , a eu l'idée de confier à des universitaires l'analyse de cette masse qu'il a fallu mettre en 3 catégories, puis faire regrouper en «nuages de mots » par les ordinateurs. Ce fut le travail de l'équipe de Yannis Haralambous à Sup Télécom Bretagne (Brest-Plouzané) et il a donné une base solide à la charte de revendications en 11 points présentée à Morlaix-Garlan le 8 mars dernier (voir notre article). Ce n'est pas fini, puisque des sociologues ont demandé à pouvoir travailler sur ces mêmes doléances.
Sans faire allusion aux débordements peu informés d'un très mauvais plumitif, Jean-Pierre Le Mat a estimé qu'il y avait eu un quiproquo à partir de ces 11 points que des autonomistes et des indépendantistes ont interprété comme le signe que « le mouvement des Bonnets rouges leur appartient ». A son sens, alors qu'il dit avoir été initié à l'autonomisme en Irlande, ils n'ont pas mesuré, ni le fait que tous les Bonnets rouges, même, s'ils évoluent, ne veulent pas poser une opposition de principe entre la Bretagne et la France, mais, surtout que l'autonomie était un vieux mot qui ne pouvait pas être brandi n'importe comment et qui doit être dépassé pour une idée plus dynamique. Il a bien parlé de la première crise au sein du mouvement en indiquant qu'il y avait un fort courant d'échange avec les comités. Il est quand même surpris par le changement dans les têtes de beaucoup de Bretons.
De sa participation aux réunions dses comités locaux des Côtes d'Armor, Jean-Pierre Le Mat a été frappé par deux choses : beaucoup de participants vivent le sentiment de la précarité, soit, à court terme (intérimaires, salariés d'entreprises en péril), soit, parce qu'ils exercent une profession indépendante dont l'avenir est bouché par les impôts. Dans le secteur privé s'étend l'idée que plus personne n'est protégé. A contrario, on n'y voit pas de salariés à statut protégé (fonctionnaires). Une catégorie particulière : des femmes qui sont grand-mères et expliquent leur présence par le désir de faire quelque chose pour que leurs petits-enfants aient une vie meilleure.
Montrant un schéma dressé par Marc Halévy, un phycisien qui théorise sur les complexité Jean-Pierre Le Mat montre que les revendications des Bonnets rouges les placent là où la courbe rouge du vieux monde va se régénérer dans une courbe verte de l'innovation, de la prise en main par soi-même, de l'effervescences des petites inventions et des nouveaux modes de vie. C'est pourquoi pour définir l'avenir, il faut éviter le vieux vocabulaire, trop chargé en vieilles idées et préférer ce qui permet d'obtenir l'adhésion comme « relocaliser les décisions ».
Le redressement passe par le constats que les entreprises de service, comme Veolia, Orange, GDF-Suez, Alstom, etc. ne pourront plus continuer sur leur trajectoire, sauf à passer sous contrôle étranger. L'avenir est aux «champions régionaux » , tels que le consortium Redéo est en train de mettre en place pour le gaz et, bientôt, pour l'épargne (voir notre article). Les 16 milliards d'euros que possèdent les Bretons devraient s'orienter vers des services qui les concernent et qui seront moins chers.
Nombre de Bonnets rouges ont critiqué le collectif pour sa lenteur à définir sa position sur la mise en cause et l'incarcération (18/04) de plusieurs personnes accusées d'avoir abattu le portique écotaxe de Pontorson. Ce n'est que le 21 avril que Christian Troadec a pris position, alors qu'il n'avait eu qu'une allusion au début de la manifestation pour la réunification de la Bretagne, à Nantes, le 19 avril.
Jean-Pierre Le Mat a expliqué que le collectif avait voulu s'assurer que les actions n'avaient rien qui puisse être considéré comme criminel et qu'il avait fallu obtenir un contact avec les avocats, lesquels ont déconseillé toute action massive prématurée, dans l'intérêt même des mis en examens. La défense sera sur une base politique et des rassemblements silencieux pourront avoir lieu.
Yves Brun, expert-comptable, est venu, à la fois montrer que la situation des comptes de l'État est plus que grave, et que beaucoup d'entreprises bretonnes sont en danger de mort. Il a promis de chercher plus avant à analyser les comtes de l'État, sur lesquels,dit-il, les journalistes économiques ne font pas des analyses bien informées. La moitié de l'énorme déficit est constitué par les intérêts à payer pour la dette !
Il a dépeint la situation de nombreux commerces, cabinets, petites sociétés pris en cisailles entre l'augmentation des charges et la baisse du chiffre d'affaires, car, la population diminue sa consommation par peur de l'avenir. C'est avant tout une question psychologique. Le carcan imposé par l'administration coupe les ailes de toute personne ayant une bonne idée à exploiter. L'avenir est dans des formes nouvelles d'activités, par exemple, plus de grandes industries, mais de la micro-industrie avec les imprimantes 3 D. Comme Jean-Pierre Le Mat, il constate que des gens lui parlent spontanément des idées promues par le mouvement des Bonnets rouges et lui font part de leur adhésion.
Les banques ont déserté l'économie locale, car elles exigent des délais de remboursement exagérément courts (5 ans), alors que les taux sont dès bas. La Banque publique d'investissement est plus ouverte, mais est freinée par ses confrères. Il faut de nouvelles sources comme le crowdfunding (apport volontaire par des individus avec une rémunération réelle ou symbolique) ou les projets co-financés par de multiples associations d'investisseurs (clubs Cigale), comme celles qui ont permis le parc éolien de Béganne, près de Redon.
La situation de la pêche en Finistère est grave et les marins-pêcheurs voudraient que les Bonnets rouges les aident à faire la lumière sur les blocages qui tiennent, soit aux comités de pêche nouveau style, soit aux vieilles méthodes des chambres de commerce et d'industrie (voir notre article).
Des participants à la réunion ont demandé que le collectif VDTB s'implique plus dans la défense des personnes de Dinan et de la région qui sont inculpées pour l'affaire du portique de Pontorson. Une réunion entre le collectif et les comité des Bonnets rouges de Dinan est programmé le soir du 29 avril.
La partie débat de la réunion fut animée, mais elle a permis à des échanges entre membres des comités de tout le Finistère Sud et montré que le rapprochement des points de vue se fait dans ce genre de réunion.
Christian Rogel
■