Comparées à leurs voisines européennes, les régions de l'hexagone, on le sait, souffrent de compétences limitées et de faibles moyens. Mais la France aussi s'en trouve affectée, et plus qu'on ne l'imagine. Un événement prochain va le démontrer de façon éloquente.
Les 18 et 19 novembre, va en effet se tenir à Saragosse une importante réunion destinée à étudier notamment la politique de cohésion régionale de l'Union européenne, la révision de son budget et la définition de sa stratégie pour les dix ans à venir, ainsi que l'association du Comité européen des régions à la mise en œuvre des politiques communes.
Une conférence européenne sans la France
Seront représentées à cette réunion officielle des régions d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que du Portugal, de Belgique, d'Autriche et de Finlande. Mais nul délégué de la moindre région française n'y assistera ! Tout simplement parce qu'il va s'agir de la réunion annuelle de la Conférence des régions européennes à pouvoir législatif, communément appelée la Regleg. Et qu'aucune région française ne peut en être membre puisqu'aucune ne dispose du droit de voter des lois relatives à des sujets la concernant en propre.
Cette absence sera d'autant plus dommageable, pour les régions comme pour la France, que la Regleg constitue le principal moteur du Comité européen des régions, dont le rôle au sein des institutions européennes a été fortement accru par le traité de Lisbonne. Une situation d'autant plus paradoxale que c'est le président de la République française en personne qui a inspiré et fait ratifier ce traité.
En effet, les nouvelles compétences du Comité européen des régions concernent notamment la cohésion territoriale (donc aussi la politique agricole commune) et le contrôle du principe de subsidiarité. Comme l'a précisé sa nouvelle présidente, la socialiste Mercedes Bresso (par ailleurs présidente du Piémont), « le Comité va occuper une place de plus en plus grande dans le processus d'intégration européenne ». Il est aujourd'hui convié à participer aux conseils informels sur la politique régionale et territoriale. Et il ne délivre plus seulement des avis dans la phase préparatoire de la législation, mais se trouve directement impliqué lorsque s'élabore la position des États membres et que se détermine la volonté du Parlement européen.
Pour corriger cette situation, le gouvernement pourrait, dans le cadre de la politique de décentralisation, se conformer au principe de subsidiarité auquel la France a souscrit en ratifiant le traité de Lisbonne, où il figure. C'est-à-dire accorder elle aussi aux régions un pouvoir législatif dans les domaines de leur compétence. L'accorder au moins aux régions à forte identité et aux particularismes reconnus, par exemple à la Corse, à la Bretagne et à la Savoie, entre autres. Ainsi la France, dans son propre intérêt, se retrouverait-elle à égalité avec ses voisins au sein des institutions européennes. Quelqu'un osera-t-il le proposer ?
L'État touche-àtout
Il est d'autres raisons pour lesquelles une nouvelle avancée de la décentralisation régionale serait bénéfique à la République. Les administrations centrales, s'occupant toujours de tout, se noient dans les détails et sont contraintes à des improvisations souvent malheureuses.
Ainsi, pour ne pas remonter plus loin dans le passé, on a vu le ministère de l'Agriculture traiter la crise de la vache folle par de dispendieux abattages massifs (300 000 bovins inutilement incinérés), au lieu d'y faire face, comme en Suisse, par des abattages sélectifs largement suffisants, décidés localement et au cas par cas.
La grippe A aussi aurait pu être affrontée au plus près par les médecins locaux, habitués à traiter les grippes habituelles ; on a préféré tout centraliser à Paris, d'où la coûteuse hystérie que l'on sait.
Après les inondations du littoral atlantique, la désignation des habitations à détruire, au lieu d'être confiée aux collectivités locales, l'a été à des fonctionnaires bien au sec dans leurs bureaux parisiens ; ils ont donc bâclé des décisions présentées aussitôt comme « non négociables »… avant qu'on ne doive les renégocier individuellement sur place : ils avaient voué à la destruction des habitations non inondables et épargné certaines que les flots avaient envahies !
Des marches arrière précipitées
Certes, ces initiatives de l'État dans des domaines qui lui sont étrangers ne sont pas nouvelles. On se rappelle ses tentatives de l'après-guerre pour imposer la norme de télévision 819 lignes et le système de couleurs SECAM ; puis son Plan calcul, l'avion Concorde ; et aujourd'hui encore ses encouragements à construire et à exporter le char d'assaut Leclerc, l'avion Rafale, dont personne ne veut…
Toujours d'humiliants échecs, toujours de folles dilapidations pour un État dont les dépenses publiques, qu'il est incapable de maîtriser, ont atteint 55 % de la richesse produite par le pays !
Autre résultat de cette dispersion, se multiplient des décisions improvisées sur lesquelles ils faut revenir dans la précipitation : l'entrée en application de la taxe carbone était donnée comme « inéluctable » au 1er juillet… jusqu'à ce que son caractère inapplicable conduise à l'abandonner ; l'éco-redevance destinée à frapper dès cette année les poids lourds était si incompréhensible qu'elle aussi a dû être ajournée…
Ces aberrations suivies de piteuses volte-face sont devenues si nombreuses que même les plus ardents défenseurs de l'actuelle majorité s'en émeuvent. Ainsi, Le Figaro du 20 avril titrait : « Plus l'État est présent, moins il est fort », et dénonçait, sous la signature d'Yves de Kerdrel, « un État tentaculaire qui veut prendre en main tous les problèmes du moment sans en avoir les moyens ni la capacité ». Amer, notre compatriote allait jusqu'à rappeler le célèbre constat de Ronald Reagan : « L'État n'est pas la solution à nos problèmes. Il est le problème ».
Un problème qu'on pourrait commencer à résoudre en laissant les régions s'occuper elles-mêmes de leurs affaires, plutôt que l'État, donc en conférant, au moins à celles qui pourraient les assumer, des pouvoirs législatifs semblables à ceux dont bénéficient leurs voisines européennes. Ce serait leur intérêt, et aussi celui de l'État qui pourrait ainsi se montrer plus efficace dans les missions qui lui incombent réellement.
Éditorial de Morvan Duhamel publié dans armor magazine
■Or qu'en est-il dans les faits. rien ne change, tout se complexifie à plaisir, on rajoute aux multiples strates administratives le nouveau concept à la mode de la «métropole».
Pire, dans le même temps que la création de 500 000 fonctionnaires territoriaux, 400 000 suppléméntaires émargent au crédit (ou plutôt au débit) de l'Etat.
Quant aux partis nationaux, celà fait déjà plusieurs années que les questions de la rationalisation de notre gouvernance nationale et territoriale et plus encore de l'UE ont cédé la place aux rumeurs, intrigues et luttes de pouvoir qui animent notre «cour de Versailles» comme au «bon vieux temps» et que retransmettent complaisamment nos médias fascinés par les «princes qui nous gouvernent».