Hélène Cadou vient de mourir le 21 juin, jour de l'été, à l'âge de 92 ans. Lauréate du prix Verlaine en 1990, elle est l'auteur d'une importante oeuvre poétique, composée de 23 recueils publiés en grande partie aux éditions Rougerie auxquels s'ajoutent quelques livres de prose.
Son premier recueil, Le bonheur du jour publié en 1956 par Seghers, a été réédité en 2012 par les éditions Bruno Doucey. Son dernier recueil est Le Prince des lisières publié en 2007 par Rougerie. Plusieurs études ont été consacrées à son oeuvre.
Son écriture brève et intense en fait une voix essentielle et lumineuse où se croisent la vie, l'amour, la mort.
Elle s'est beaucoup consacrée à la diffusion et à la mémoire du poète René Guy Cadou son époux, décédé en 1951. Elle a été la conservatrice de la «Demeure René Guy Cadou» dans l'école de Louisfert où ils vécurent.
Elle a exercé le métier de bibliothécaire à Orléans où elle a écrit l'essentiel de son oeuvre. De retour à Nantes en 1993, elle y créa, avec l'aide de la Ville, le «Centre René Guy Cadou».
Nos pensées vont à sa famille, à ses proches et ses amis.
Pour une fois
Le temps de vivre
Devenir
Seulement un regard
Une immense
Rétine
Qui boit le monde
Et le nourrit
En retour
De son éclat.
Hélène Cadou
(anthologie Zeit zum Leben / Le temps de vivre Editions en Forêt, 2010)
Là où tout se joue
Entre ciel et terre
On se croit sauvé
Mais le ciel retombe
Il fait déjà nuit
Pour l’éternité
Hélène Cadou
(Le Prince des lisières, Rougerie 2007)
Site officiel Hélène et René Guy Cadou : (voir le site)
■Lucien Wasselin.
17 juin 1943
Tu étais la présence enfantine des rêves.
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière.
J'appelais, je disais que vienne enfin la grande,
La belle, la toujours désirable et comblée.
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là
Ce fut par un matin semblable à tous les autres.
Le soleil agitait ses brins de mimosa
Des peuplades d'argent descendaient la rivière.
Les enfants avaient mis des bouquets sur les toits.
Aussitôt que je vis tes yeux, je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes, à mes lèvres,
Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et vénéneuses caresses.
Tout le jour je vis bleu et ne pensai qu'à toi.
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine.
Sans rien dire, je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi, pour des promenades éternelles.
(René-Guy CADOU, Hélène ou le règne végétal, Paris, Seghers 1952)
Patricia Barreau-Yu
«Rencontrer Hélène Cadou, c'est rencontrer la mémoire du c½ur.
Vous arrivez de l'enfer de la route jusqu'à la maison d'école, toute droite au bord du ciel. Vous traversez la cour, à cloche-pied sur la marelle, en poussant le petit pavé de l'émoi.
Elle vous attend sur le seuil de la classe. On entre dans l'intimité d'un monde. Vous êtes un Brancardier de l'aube accédant à Poésie, la vie entière. Vous vous asseyez. Elle vous parle de lui, de son sourire immense. Peu à peu se tait votre vie. Vous êtes en 1943 ou sur un chemin de campagne. Les parcs et les châteaux sont là, l'éclatement des cris d'enfants qui ont fui les villes détruites
Elle vous raconte comment il a franchi la guerre, en réclamant sa liberté, comment la poésie l'a sauvé, un jour, dans la naïveté de son écharpe rouge. Aux Allemands qui l'arrêtaient il a dit, dans leur langue, comme un laissez-passer magique : « Je suis poète. »
Vous parcourez les vitrines du souvenir, qui mêlent cendrier bizarre et visages d'hommes. Vous parlez de la classe, de l'inspecteur et de la double vie.
Vous passez de l'autre côté, du côté des Lilas du soir.
La cuisine bleue vous accueille, ce bleu de la tendresse, ce bleu inimitable. Vous montez vers la chambre. Chaque pas vers l'éternité. Elle ouvre la fenêtre sur la campagne, les blés et la forêt pavée. Rien n'a changé. Sa main de plâtre sur la table. Le dernier poème à l'encre de Chine. Et elle vous parle de la cérémonie, du rite de cinq heures du soir. Le poème qui se fait, arraché peu à peu à la gangue des glaises, désenglué du quotidien, et lavé lentement des ratures du doute, gratté au feu des rêves et recopié à la plume d'oiseau.
Et vous parlez de la naissance, des parcs et des châteaux. De la parenté des enfances. La chambre vous élève, sur les hautes mers de la vie.
Quand vous évoquez l'avenir, il est là brusquement dans la chambre.»
A ma première visite, monter dans la chambre tout en haut de l'étroit escalier m'a tordu le ventre car il m'a semblé vivre la scène du dernier soir. Le temps est un accordéon, j'y étais par le corps et l'esprit.
Tous ceux qui aiment ces deux voix, Hélène et René Guy, ont ressenti cette boule au ventre, ont eu les larmes aux yeux à cet instant, j'en suis sûre.
Hélène Cadou, on l'oublie trop souvent, est une très belle voix, magnifique de justesse et de pureté. La grâce d'amour, elle l'a vécue dans ses mots : sa poésie toute de transparence nous élève, nous insuffle une joie profonde.
Son amour unique, elle l'a porté jusqu'au bout, «la vie entière». Je pense à elle comme à un trésor de sensibilité, de bonté et de lumière, elle reste en moi comme un cadeau de la vie.
Elle est partie, lisons sa poésie, elle nous ressource, nous réenchante.
...
Tu découpes un éclat de jour
dans l'embrasure de la fenêtre
Le regardes
longuement - silencieusement
Lui donnes les reflets changeants
des ciels que tu aimes
Le bleu des herbes
qui tremblent à portée de ta main
Et bientôt
plus loin que le ciel
plus loin que les arbres
brille cet autre éclat
qui te regarde
longuement
silencieusement.
M. L. Louisfert, 1995.
*
HÉLÈNE
Je t'atteindrai Hélène
À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L'inquiète la dormante
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des errantes
À ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue
Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l'auberge
Aux portes des villages.
René Guy Cadou, La vie rêvée, 1944.