Sans se prononcer sur la nature exacte des faits reprochés aux 11 Bonnets Rouges traduits en justice le mardi 22 avril à Rennes, et sans savoir (encore) si les prévenus en question sont (ou non) vraiment « Bonnets Rouges » (ou s'ils ne le sont « que de circonstance »), on peut à bon droit se poser la question de savoir s'il n'y a pas là un puissant symbole pouvant être utilisé par ceux qui tâchent d'enrayer ce mouvement depuis ses débuts.
Ne s'agirait-il donc, comme tous les Bonnets Rouges, que « d'individus isolés menaçant l'ordre public » ? Le risque est que le mouvement soit «débretonnisé». La coïncidence de la date de l'interpellation (vendredi 18 avril, veille de la manifestation à Nantes) ne cesse d'interroger : l'arrestation est peut-être «préventive», il n'en demeure pas moins qu'elle ne repose sur aucun fait, et plutôt «sur des intentions». Lesquelles seront aisément utilisées par l'accusation eu égard à des faits «passés» (comme la destruction d'un portique écotaxe «hors Bretagne» : à Pontorson). Nous ne mettons pas ici en cause la Justice (qui ne fait que son travail), mais il est indéniable que l'Etat français fera son miel de ce procès en le symbolisant en sa faveur. La question est, en l'occurrence, strictement philosophique : il s'agit moins d'une opposition entre «des individus» et «un système» que d'une confrontation entre des ensembles de représentations. D'un côté, une Bretagne qui, pour parler comme certains philosophes, tâche de «persévérer dans son être» et de l'autre, une France qui, comme d'habitude, refuse d'en entendre parler.
Cette dernière, et c'est là l'aspect le plus philosophique de la question, se permettant de juger la première «a priori», c'est-à-dire «avant expérience» ou, pour le dire autrement, «selon son propre point de vue». La Bretagne sera toujours, de ce point de vue, «a priori» coupable. Et cela, «parce que (précisément) elle n'est pas française». CQFD.
Pendant ce temps, l'Etat français (qui est quand même censé être concerné au premier chef par les événements de l'automne 2013) ne se remet absolument pas en question et ne fait rien quant à l'épineuse et symbolique question de l'écotaxe. C'est lui, le premier, le responsable des «débordements».
La nouvelle Ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, a vite dite, suite à sa prise de fonction, «qu'elle réserverait l'écotaxe aux transporteurs étrangers» pour se rétracter quelques jours après avouant que, «du point de vue de Bruxelles», cela n'était pas concevable.
Une fois de plus, la responsabilité est entièrement du côté de l'Etat français (qui ne «laisse pas faire la situation» pour ensuite la reprendre à son avantage, mais qui ne fait tout simplement rien, laissant jusqu'à douter de son existence...). On imagine aisément la France, pseudo «patrie des Droits de l'Homme», s'indigner de pareils événements dans n'importe quel autre pays.
Ne faisons donc pas de ce procès annoncé pour le 15 mai (quatre jours avant la St-Yves et douze jours après le second match historique en Coupe de France «Rennes-Guingamp») le mauvais symbole, et ne laissons pas à l'Etat français le privilège d'en faire LE symbole. Car Pontorson n'est pas le seul élément. Les inculpés sont au nombre de 11, comme les 11 points de la Charte des Bonnets Rouges...
Nous dénonçons donc la violence sous quelque forme que ce soit, qu'elle vienne d'un côté ou de l'autre, mais comme le formule à propos Jean Pierre Le Mat dans son pertinent «Carnet du Bonnet Rouge» (avril 2014, p. 22) : «la violence contre les choses permet de tenir en respect ceux qui font violence aux hommes et femmes du pays». Et la violence est toujours, et d'abord, d'ordre symbolique...
En résumé, parce que, plus que jamais, la question bretonne est à l'ordre du jour, plus que jamais l'Etat français souhaitera l'éteindre de manière « préventive ». A cette «violence de la représentation» alliant, du point de vue français, indifférence et cynisme depuis 1532, préférons la réflexion et la philosophie : les Bonnets Rouges interpellés vendredi dernier n'ont «a priori» rien fait.
Simon Alain
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