Lieu théâtral s’il en est, pour la cérémonie de remise des Hermines 2019,
l’Opéra de Rennes, théâtre de la mi-XIXe siècle, a accueilli l’ICB, Institut Culturel de Bretagne – SUAV, Skol-Uhel ar Vro – pour cette nouvelle cérémonie de remise des Colliers de l’Hermine à cinq récipiendaires : Maripol Gouret, Stéphanie Stoll, Paul Loret, Marianig Larc'hantec et Malo Bouëssel du Bourg, ainsi que deux médailles de l’Institut au fameux petit Fañch, pour le tilde, et aux jeunes qui ont osé passer le bak e brezhoneg
(vidéos à suivre)
Cette nouvelle remise du Collier de l’Hermine, dans une cérémonie protocolaire et empreinte d'un certain cérémonial, ici amplifié par la majesté du décor qu’offre l’opéra de Rennes, théâtre à l'italienne de la mi XIXe, sous son plafond réalisé par Jean-Julien Lemordant, si finement orchestrée, a délivré son message, montrant toute la diversité de la la Bretagne.
Cette cérémonie commença par un hommage appuyé aux Herminés partis durant l'année écoulée : Yvon Palamour, Pêr Padelleg, Patrig Malrieu (aussi ex Président de SUAV-ICB), et Yann-Fañch Kemener (voir photo).
Ensuite vint la remise des Colliers proprement dite, et, selon le rituel d'usage, le discours des récipiendaires.
Maripol Gouret, avec tant d’émotion, sur son combat de Vannes à Nantes pour créer le KDSK, Stéphanie Stoll, toujours aussi pêchue, militante infatigable pour la langue, Paul Loret, sachant montrer combien la réunification de la Bretagne se situe dans un objectif d’avenir, de développement économique et environnemental, Marianig Larc’hantec, celle pour qui la harpe et la musique sont des instruments de cohésion de la Bretagne, et Malo Bouëssel du Bourg, au discours si empreint de culture, pour qui l’avenir de la Bretagne est et surtout se construit aussi via le réseau Produit en Bretagne.
Le moment d’émotion fut grand quand le petit Fañch (on l’appelle toujours ainsi, le petit Fañch), mais il est en passe de devenir le plus célèbre des Bretons, grâce au combat de ses parents pour son prénom) reçut la médaille de l’Institut, et un tee-shirt avec son prénom, tildé, evel just.
Puis vinrent cinq représentants de ces jeunes de bak e brezhoneg qui ont osé bravé la jacobinisme et les interdits, rédigeant les copies de leur baccalauréat en breton.
Ci-dessous les interviews des récipiendaires obtenues plus ou moins facilement dans la foule qui se pressait.
-[ABP] : Bonjour Maripol, Tout d'abord, toutes nos félicitations pour ton Collier. Tu rejoins les plus grands Bretons de tous les temps. Peux-tu dire aux lecteurs de ABP ce que tu as ressenti ce jour ?
- [MG] : Faire partie des plus grands Bretons de tous les temps ? Non, je n'ai pas cette prétention. Comme beaucoup de militants en Bretagne, je me bats pour que la langue de mon pays soit apprise et parlée et que sa culture et son histoire soient reconnues.
Aujourd'hui, je ressens de l'émotion, bien évidemment. De la reconnaissance aussi envers les personnes qui m'ont choisie mettant ainsi un focus sur le KDSK et le travail réalisé depuis une vingtaine d'années.
- [ABP] Peux-tu nous dire quelques mots du KDSK, de son fonds... ?
- [MG] : Pour ceux qui ne le connaissent pas, le KDSK c'est un centre de ressources qui propose un fonds documentaire spécialisé sur la Bretagne, la langue bretonne et les Pays Celtiques, le patrimoine culturel, sous ses aspects les plus variés : production littéraire, édition, ethnologie, histoire, vie économique et sociale... La production littéraire de langue bretonne aujourd'hui éditée, est systématiquement acquise. La littérature bretonne de langue française ainsi que la littérature des autres langues celtiques constituent également une part importante du fonds.
Environ 18.000 documents sont mis à la disposition du public, plus de 400 titres de revues spécialisées sur la Bretagne ou les Pays Celtiques y sont également archivées.
Concrètement, le KDSK, c'est une médiathèque ouverte à tous les âges et à tous les publics intéressés par une consultation du fonds sur la culture et la langue bretonnes ou autres langues et littératures celtiques. Le KDSK accueille aussi bien les très jeunes enfants (un espace leur est dédié) que les enseignants, des scolaires, des chercheurs, des étudiants, des particuliers, ... Nous accueillons régulièrement des instituteurs des filières bilingues (Diwan, Dihun, Divyezh) avec leurs classes. Le KDSK est également ouvert aux associations et aux structures qui assurent des cours de breton, des stages de formation à la langue bretonne ainsi qu'aux individuels inscrits à des cours de breton.
Depuis sa création, le KDSK bénéficie de dons apportés par des particuliers, des éditeurs, des écrivains. Au fil des ans, sont entrés dans le fonds du KDSK, des archives ou des livres ayant appartenu à des personnalités du mouvement breton.
Aujourd'hui, le fonds documentaire est composé de livres (romans, nouvelles, albums pour la jeunesse, poésie, théâtre...), brochures, revues, photos, supports de communications (affiches, flyers, autocollants... ), disques, DVD, archives privées... spécialisés dans la matière bretonne et celtique. En dehors des archives privées et des documents rares ou fragiles, une grande partie du fonds est en accès libre dans l'espace Médiathèque.
Depuis quelques années, le KDSK assure aussi un travail de numérisation de ses documents en breton les plus anciens du domaine public. Ils sont ensuite mis en ligne sur le site internet du KDSK ainsi que sur Bretania, le portail régional de ressources numériques.
Actuellement, nous numérisons des photos, des films négatifs et des diapos. La mise en ligne de cette numérisation de supports en provenance de notre fonds iconographique permettra de faire découvrir l'importance d'événements ou de revendications qui ont marqué la Bretagne contemporaine : manifestations pour la reconnaissance de la langue bretonne (du breton à la télé, signalisation bilingue, enseignement du breton à l'école...), manifestations pour la défense de l'environnement (anti-nucléaire à Plogoff et au Carnet, anti-aéroport Notre Dame-des-Landes, protection des Marais salants de Guérande, collectifs anti-marées noires...), manifestations pour le respect des droits civils et politiques (prisonniers politiques bretons, droit d'asile politique en Bretagne...), manifestations antiracistes, contre la guerre du Golfe, conférences-débats politiques, interventions de personnalités politiques, promotion de la culture bretonne en Loire-Atlantique, manifestations pour la réunification de la Bretagne...
- [ABP] ... et des difficultés que tu as surmontées pour aboutir ?
- [MG] : Des difficultés, il y en a eu bien évidemment, il y en a encore. Une structure comme le KDSK coûte et rapporte peu... la recherche de financement est une préoccupation quotidienne. Le KDSK fête cette année sa vingtième année d'existence. Vingt années passées à convaincre pour exister, à rechercher de l'argent pour faire fonctionner une structure qui n'a toujours eu qu'une seule ambition : faire exister la culture bretonne, la valoriser, la faire connaitre ; tout particulièrement dans ce département de Loire-Atlantique où solliciter les collectivités territoriales n'a rien d'évident.
Financièrement, la période actuelle est un peu compliquée.
- [ABP] Ton engagement pour la Bretagne est connu et reconnu. As-tu un nouveau projet en tête ?
- [MG] : Non, je n'ai pas de nouveau projet en dehors de ceux qui concernent le KDSK. Et c'est déjà beaucoup !
- [ABP] Question subsidiaire à toi, la résidente de l'agglo de Nantes : la Réunification, c'est pour quand ?
- [MG] : Que répondre à une telle question, la réunification devrait être effective depuis bien longtemps ! Hélas, le manque de courage et d'audace de nos élu.es dès lors qu'ils sont au pouvoir, l'amnésie de leurs belles promesses et de leurs engagements, la difficulté du mouvement breton à s'unir font que nous en sommes toujours à attendre cette réunification.
Le récent sondage à l'initiative de Dibab me donne un peu d'espoir.
Il nous apprend que près de 60 % des habitant.es de Loire-Atlantique affirment se sentir Bretons malgré des décennies de propagande coûteuse pro-PDL ; et que, 65% des Breton.nes seraient favorables à ce que la Région Bretagne prenne l'initiative d'un référendum sur la taille et les compétences que nous devrions maîtriser, rien que ça !
Rien n'est immuable, le Mur de Berlin que certains pensaient inébranlable s'est bien écroulé... mais il y a urgence, la dé-culturation progresse.
- [ABP] : Bonjour Paul. Tout d'abord,toutes mes félicitations pour ton Collier. Te voici Herminé, auprès des plus grands Bretons de tous les temps. Peux-tu nous dire ce que tu as ressenti lorsque le chancelier t'a remis ce Collier de l'Hermine, dans cet opéra de Rennes ?
- [PL] : Beaucoup d'émotion ! Je n'avais jamais envisagé une telle reconnaissance de la part de mes pairs et plus largement des Bretonnes et des Bretons. C'est aussi une très agréable surprise. Une émotion vive du fait du lieu magnifique !
J'étais très fier de représenter toutes celles et ceux qui, tout comme moi, se sont investis pour que notre Bretagne soit encore plus belle avec son 5e élément, la Loire-Atlantique. Au fond de moi, j'ai aussi remercié celles et ceux qui nous ont quittés et qui ne connaîtront pas le fruit de leur engagement.
C'est une très belle journée pour Bretagne Réunie !
- [ABP] : Ton engagement pour la réunification de la Bretagne, auprès de Bretagne Réunie, remonte à plus de 20 ans. Quelles en ont été les avancées, les échecs, les réussites ?
- [PL] : Incontestablement, la thématique de la réunification est en permanence d'actualité et nos rares détracteurs ringardisés. Les réformes territoriales des Présidents Sarkozy et Hollande ont été de véritables « assommoirs » qui ont semé chez certains le doute voire le sentiment d'impuissance à l'égard des élus et de leur idéologie jacobine.
Nous sommes en train de gagner la réunification. Plus personne ne conteste la bretonnité de la Loire-Atlantique. Ce n'était pas le cas il y a 20 ans. Le bon sens et le pragmatisme l'ont emporté. Toutes les personnes éclairées reconnaissent l'intérêt d'un fort sentiment d'appartenance régional. Nous avons mis à mal l'intolérance de certains élus à l'égard d'une des composantes de la diversité. Repli sur soi, communautarisme sont des insultes aujourd'hui ridicules. La politique exercée à l'aide de la culpabilité n'a plus cours. Bon débarras !
- [ABP] : Ton pronostic : quand pourrons-nous caresser l'espoir de se dire «administrativement» Bretons, en Loire-Atlantique ?
- [PL] : Il nous reste donc à transformer l'essai auprès de la société civile. Poursuivre nos efforts d'explications auprès des Bretonnes et Bretons mais pas que ! La réunification se fera lorsque nos voisins, par exemple, vendéens, sarthois, angevins auront aussi trouver de quoi rebondir. La réunification doit être un projet partagé. Nous allons bientôt rentrer à la maison !
ABP : Bonjour Stéphanie. Avec cette Hermine, c’est l’ensemble du réseau Diwan qui est honoré. Peux-tu dire aux lecteurs de ABP ce que tu ressens aujourd’hui à la réception de cette décoration, grand jour pour toi et pour Diwan ?
Stéphanie Stoll : Ce qui compte, C’est la présence et la transmission. Le collectif. C’est pour cela qu’il faut accepter les décorations.
ABP : Peux-tu nous dire comment se porte Diwan, et quelles sont ses ambitions pour le futur?
Sst : Diwan a besoin d’un véritable statut juridique. Nous travaillons en ce sens, et sommes en recherche de financement. Juridiquement, nous bénéficierons d’une avancée majeure, avec la loi Blanquer [scolarité obligatoire à 3 ans, ce qui obligera les communes à financer les écoles sous contrat plus tôt, ndlr]. Il nous faut suivre maintenant sa mise en place, car il y a toujours un décalage entre la loi et son application. Nous l’avons, eue, c’est formidable, grâce au travail de tout le monde. La langue bretonne est un bien commun. Il faut se battre pour elle.
ABP : Qu’en est-il de l'enseignement de l'histoire de la Bretagne dans les écoles Diwan ?
Diwan est sous contrat avec l’État. Dans ces termes, les établissements ne peuvent que suivre le programme établi par le ministère. Mais au-delà, l’Histoire, la Culture au sens large, il ne faut pas les entendre comme quelque chose de séparé. Les enseignants savent les porter, les faire vivre au quotidien.
ABP : Le trilinguisme (basque, espagnol, anglais) rencontre un énorme succès au Pays Basque espagnol. Pourquoi Diwan n'a pas opté pour cette voie ?
Diwan, c’est le bilinguisme. Par l’immersion.
ABP : Bonjour Mariannig. Ta harpe celtique, c’est un peu de poésie dans cette cérémonie merveilleuse de remise des Colliers de l’Hermine, où tu reçois très justement le tien. La harpe celtique et toi, c’est un peu une histoire d’amour ?
Mariannig Larc’hantec : Poésie ? Vous m’honorez. Pour l’histoire d’amour, je dirais plutôt, « une histoire d’amour entre la musique et moi.
- [Mariannig était accompagnée par Paul Taylor, son professeur, ndlr, lequel relève la question :
Paul Taylor : Qu’entendez-vous par Harpe celtique, ou est-ce la harpe émotionnelle celtique ? Se poser la question est y répondre. On ne peut enseigner l’émotion.
La harpe, la musique, un instrument de cohésion pour les Bretons ?
MAL : Quand on ne pourra plus avoir le droit de parler, la musique nous réunira. La musique rassemble. Elle est universelle. On a pu discuter entre nous, car, grâce à elle, on était apaisés.
ABP : Tu es honoré aujourd’hui, avec ce Collier, pour l’ensemble de ton action extraordinaire en faveur de la Bretagne, entre autres via le réseau Produit en Bretagne. Peux-tu nous dire quelques mots sur les nouvelles orientations de ce réseau ?
Malo Bouëssel du Bourg : Je suis directeur, et non Président. J’applique les décisions du Conseil d’Administration. Mais je participe à la réflexion.
Les nouvelles orientations sont doubles :
1- face aux difficultés à recruter, nous réfléchissons à mettre en commun les problèmes de recrutement, on a créé des nouvelles commissions en ce sens (en plus des autres déjà existantes) pour les aider dans ce processus d’embauche.
2- la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La société, les jeunes principalement, désirent autre chose des entreprises. L’adhésion à une culture ne suffit plus. Il faut de plus en plus répondre à un niveau d’exigence de la société. Produit en Bretagne accompagnera ses adhérents.
Ces nouveaux projets [en plus des autres, voir le site , ndlr] seront discutés lors de notre prochaine AG, en février 2020.
ABP : On te connaît aussi poète, essayiste, mais tu es aussi partie prenante dans Al Liamm. Peux-tu nous en dire plus ?
MbdB : Al liamm est la continuité de Gwalarn. Elle a un double objectif : redécouvrir notre héritage culturel et faire entrer les Bretons dans l’international, la modernité. Je travaille avec Tudual Huon, j’y suis critique littéraire. [le tout en breton, bien sûr, telle est la marque de fabrique de Al Liamm, ndlr]
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