La différence entre citoyenneté et nationalité est admise un peu partout en Europe. Les citoyens britanniques peuvent être de nationalité écossaise ou galloise, et personne ne leur conteste cette double identité. Il est vrai que, outre-manche, la différence existe dans le vocabulaire. Le mot folk se réfère à la nationalité ou à la culture. Le mot people se réfère à la citoyenneté. Les Français n'ont qu'un seul mot, le mot peuple ; d'où leur handicap pour penser l'identité.
Un Etat moderne, c'est quoi ?
Les Boliviens, les Chinois, les Finlandais, les Hongrois, les Polonais, les Roumains, les Russes, les Slovènes, les Vietnamiens ont inscrit dans leurs Constitutions la différence entre citoyenneté et nationalité. La constitution russe commence par «Nous, peuple multinational de la Fédération de Russie…». La Constitution slovène «protège et garantit les droits des communautés nationales autochtones». Selon l’article 35 de la Constitution polonaise, «Les minorités nationales et ethniques ont le droit de créer leurs propres institutions d'éducation, institutions culturelles…». La constitution bolivienne est sans doute la plus moderne. «Article 1. La Bolivie se constitue en un État Unitaire Social de Droit Plurinational Communautaire, libre, indépendant, souverain, démocratique, pluriculturel, décentralisé et formé de régions autonomes. La Bolivie s'appuie sur la pluralité et le pluralisme politique, économique, juridique, culturel et linguistique, dans le processus d'intégration du pays…»
Autrefois...
La différence entre citoyenneté et nationalité n'est pas nouvelle. Elle existait avant l'émergence de ces chimères paranoïaques que l'on nomme les États-nations. Au temps de Charlemagne, les lois civiles étaient liées à la nationalité. Le juge demandait au plaignant «Quo jure vivis ?». Sous quelle loi vis-tu ? Il appliquait alors les coutumes ou les codes correspondant. Cela n'empêchait pas l'empereur de maintenir l'ordre, de prélever un tribut et d'enrôler des troupes.
L'identité
L'identité, individuelle ou collective, est une mosaïque en évolution. Ce n'est ni un lingot d'or pur, ni une âme immortelle, ni un destin écrit d'avance. La prise en compte de la diversité, qu'elle soit culturelle, linguistique, religieuse ou autre, rendrait la citoyenneté plus légère. Les souverainistes français en concluent qu'elle en serait altérée. J'en conclus pour ma part qu'elle en deviendrait supportable.
Dans le contexte de migrations et de mondialisation qui bouscule nos vies, la recherche d’authenticité, d’identité et de sens pourrait bien être la clé de l’avenir. L'identité citoyenne a le charme d'une saga aux parfums surannés. Que ces récits sont beaux ! Que ces mythes sont généreux ! Mais ils ne font plus vibrer les jeunes générations. Ceux que l'on appelle les digital natives ont pris l'habitude d'inventer l'histoire dont ils sont les héros. Ils ne comprennent pas le monde d'avant l'internet, dans lequel l’identité était octroyée d’en haut et où l'industrie produisait des marchandises standardisées. Ils sont multimédias, polymorphes, interconnectés, changeants, impatients. Ils égrènent leurs identités multiples au fil des alias, des avatars, des pseudonymes.
Pourquoi l'identité bretonne est-elle aujourd'hui plus attrayante que l'identité française ? La Bretagne est trop exiguë pour que l'on puisse s'y replier, ce qui n'est pas le cas de la France. Même si la Bretagne est pour nous essentielle, même si elle donne un sens à l'ensemble, elle n'est que l'une des pièces de notre puzzle identitaire. Notre pays conjugue la singularité, la liberté et la diversité, qui sont aussi les valeurs des digital natives. Incapable de constituer un état-nation, mais excellente dans son rôle de communauté tribale, la Bretagne est à son aise dans l'univers du 21ème siècle.
L'affaire Jonathan Le Bris
Récemment, un jeune Breton, Jonathan Le Bris, a demandé le droit de choisir sa nationalité. Il a demandé au Ministère Public, devant le tribunal de grande instance de Nancy (les Bretons sont partout…), de considérer qu’il est de nationalité bretonne, et non de nationalité française.
L’affaire a été jugée le 21 mai dernier. Le Ministère public «rappelle que la nationalité est le lien juridique qui rattache un individu à un État déterminé ; que la France est une République indivisible et qu’elle est seule compétente à reconnaître ou dénier la nationalité française».
Le jeune Breton a été débouté, et même condamné au paiement d’une amende civile de 1000 euros. Le prix du blasphème ?
Une vraie revendication bretonne
Il existe en Bretagne, chez ceux que l’on appelle les militants bretons, deux types de revendications. Les unes sont des déclinaisons locales d’idéaux universels : l’écologie, le social, la démocratie, la subsidiarité, sans compter les «antis» : anticapitalisme, antisexisme, antifascisme, et j’en passe. Ce sont les revendications de ceux qui appliquent la consigne «Penser global, agir local». D'autres sont vraiment spécifiques à la Bretagne : le tilde de Fañch, le bac en breton, la Bretagne réunifiée, les panneaux bilingues. Comme quoi, penser global ne suffit pas…
La revendication d’une nationalité bretonne officielle fait partie de la seconde catégorie.
Jonathan Le Bris est sans doute un précurseur. Son acte d’insoumission -de vraie insoumission…- est prématuré, imprudent, dangereux, comme tout acte précurseur. Mais, comme disait l’activiste irlandais Fintan Lalor, «un jour, quelque part, d’une manière ou d’une autre, il faut bien que quelqu'un commence. Le premier acte de résistance est toujours et sera toujours prématuré, imprudent et dangereux».
A quand un club ou une ONG de ceux qui demandent la reconnaissance internationale de leur nationalité bretonne ?
■Elle a le mérite de mettre en exergue un problème que beaucoup ne voient pas et elle a bien entendu reçu la réponse attendue de la part de l'Etat français.
Avec l'inévitable faux-sens de rigueur car, quand on parle de nationalité on ne met pas automatiquement en cause sa citoyenneté, ce que l'administration française fait semblant de croire. Sans aucune surprise d'ailleurs puisque l'amalgame nationalité/citoyenneté est bien une caractéristique du centralisme étatique français, destinée en fait à tuer juridiquement dans l'oeuf toute velléité de particularisation des nations historiques.
Vous voulez garder vos chapeaux à guides et vos chupenns politiques ? Pas question ! Allez, mettez-moi ça au pas ! Vous allez tous vous présenter correctement vêtus : en béret français avec la baguette de pain sous le bras !
Cette initiative aurait-elle eu lieu dans l'Algérie française de 1960, de la part d'un récent citoyen musulman fraîchement sorti du statut d'indigénat (1958), qu'elle aurait reçu exactement la même réponse stéréotypée signifiant en clair : pas de nationalité algérienne.
Deux petites années plus tard, la nationalité algérienne était néanmoins accordée à tous sur un plateau avec l'indépendance du pays, le tout voté à une majorité écrasante par l'ensemble des citoyens français de France métropolitaine et des départements français d'Algérie.
Il faut raison garder. L'émancipation bretonne n'est pas un décalque de la décolonisation africaine. Mais le principe de l'aliénation reste de même nature.
La contribution de Tiiu Grünthal-Robert vient fort à propos nous rappeler qu'en l' état, le cadre français est fermé à toute revendication de ce type, mais que par contre, dans le cadre européen et en particulier dans les instances de l'UE, on doit pouvoir trouver une voie juridique et démocratique carrossable...
Appel donc à nos amis juristes et en attendant rien ne nous empêche de faire vivre dans nos propos et nos écrits cette distinction nationalité/citoyenneté qui nous est encore refusée.
J'ai déjà voté sur plusieurs scrutins avec mon passeport breton.