En ce 11 novembre 2023, l'association Koun Breizh-Bertaign Tenant-Souvenir de Bretagne a voulu rendre hommage aux Bretons sacrifiés du camp de Conlie, mobilisés sur ordre de Gambetta lors de la guerre de 1870.
Une gerbe a été déposée par des militants au pied de la Croix aux Bretons se trouvant au cimetière de Conlie. S'en est suivi un moment de recueillement, puis plusieurs prises de paroles, parmi lesquelles celle de Jean-Luc Laquittant pour Koun Breizh.
Des liens ont été créés avec une jeune association locale : KERFANK 1870 Conlie se souvient, se donnant pour mission de perpétuer la mémoire du camp et des Bretons de Conlie. Une commémoration, tous les deux ans est envisagée par cette association.
■Titre : La pastorale de Conlie
Poète : Tristan Corbière (1845-1875)
Recueil : Les Amours jaunes (1873).
Par un mobilisé du Morbihan.
Moral jeunes troupes excellent.
(Off.)
Qui nous avait levés dans le Mois-noir – Novembre –
Et parqués comme des troupeaux
Pour laisser dans la boue, au Mois-plus-noir – Décembre –
Des peaux de mouton et nos peaux !
Qui nous a lâchés là : vides, sans espérance,
Sans un levain de désespoir !
Nous entre-regardant, comme cherchant la France...
Comiques, fesant peur à voir !
– Soldats tant qu'on voudra !... soldat est donc un être
Fait pour perdre le goût du pain ?...
Nous allions mendier ; on nous envoyait paître :
Et... nous paissions à la fin !
– S'il vous plaît : Quelque chose à mettre dans nos bouches ?...
– Héros et bêtes à moitié ! –
... Ou quelque chose là : du cœur ou des cartouches :
– On nous a laissé la pitié !
L'aumône : on nous la fit – Qu'elle leur soit rendue
À ces bienheureux uhlans soûls !
Qui venaient nous jeter une balle perdue...
Et pour rire !... comme des sous.
On eût dit un radeau de naufragés. – Misère –
Nous crevions devant l'horizon.
Nos yeux troubles restaient tendus vers une terre...
Un cri nous montait : Trahison !
– Trahison... c'est la guerre ! On trouve à qui l'on crie !...
– Nous : pas besoin... – Pourquoi trahis ?...
J'en ai vu parmi nous, sur la Terre-Patrie,
Se mourir du mal-du-pays.
– Oh, qu'elle s'en allait morne, la douce vie !...
Soupir qui sentait le remord
De ne pouvoir serrer sur sa lèvre une hostie,
Entre ses dents la mâle-mort !...
– Un grand enfant nous vint, aidé par deux gendarmes,
– Celui-là ne comprenait pas –
Tout barbouillé de vin, de sueur et de larmes,
Avec un biniou sous son bras.
Il s'assit dans la neige en disant : Ça m'amuse
De jouer mes airs ; laissez-moi. –
Et, le surlendemain, avec sa cornemuse,
Nous l'avons enterré – Pourquoi !...
Pourquoi ? dites-leur donc ! Vous du Quatre-Septembre !
À ces vingt mille croupissants !...
Citoyens-décréteurs de victoires en chambre,
Tyrans forains impuissants !
– La parole est à vous – la parole est légère !...
La Honte est fille... elle passa –
Ceux dont les pieds verdis sortent à fleur-de-terre
Se taisent... – Trop vert pour vous, ça !
– Ha ! Bordeaux, n'est-ce pas, c'est une riche ville...
Encore en France, n'est-ce pas ?...
Elle avait chaud partout votre garde mobile,
Sous les balcons marquant le pas ?
La résurrection de nos boutons de guêtres
Est loin pour vous faire songer ;
Et, vos noms, je les vois collés partout, ô Maîtres !...
– La honte ne sait plus ronger. –
– Nos chefs... ils fesaient bien de se trouver malades !
Armés en faux-turcs-espagnols
On en vit quelques-uns essayer des parades
Avec la troupe des Guignols.
– Le moral : excellent – Ces rois avaient des reines,
Parmi leurs sacs-de-nuit de cour...
À la botte vernie il faut robes à traînes ;
La vaillance est sœur de l'amour.
– Assez ! – Plus n'en fallait de fanfare guerrière
À nous, brutes garde-moutons,
Nous : ceux-là qui restaient simples, à leur manière,
Soldats, catholiques, Bretons...
À ceux-là qui tombaient bayant à la bataille,
Ramas de vermine sans nom,
Espérant le premier qui vint crier : Canaille !
Au canon, la chair à canon !...
– Allons donc : l'abattoir ! – Bestiaux galeux qu'on rosse,
On nous fournit aux Prussiens ;
Et, nous voyant rouler-plat sous les coups de crosse,
Des Français aboyaient – Bons chiens !
Hallali ! ramenés ! – Les perdus... Dieu les compte, –
Abreuvés de banals dédains ;
Poussés, traînant au pied la savate et la honte,
Cracher sur nos foyers éteints !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
– Va : toi qui n'es pas bue, ô fosse de Conlie !
De nos jeunes sangs appauvris,
Qu'en voyant regermer tes blés gras, on oublie
Nos os qui végétaient pourris,
La chair plaquée après nos blouses en guenilles
– Fumier tout seul rassemblé...
– Ne mangez pas ce pain, mères et jeunes filles !
L'ergot de mort est dans le blé.
1870.
Tristan Corbière.
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