Ayant la prétention d'aboutir à un «accord de paix définitif», le processus de négociations entre l'Etat malien et les mouvements de l'Azawad est sérieusement mis à mal depuis le 27 avril, lorsque l'armée malienne et ses milices ont attaqué les positions du MNLA à Ménaka. Peut-il en être autrement lorsqu'on connaît l'arrière-pensée qui anime une des parties en conflit, l'Etat malien, et l'ensemble de ses soutiens constitués en «médiation internationale» ?
Le projet n'est autre que celui de faire plier les Touaregs.
Gage de leur mauvaise foi, dirons-nous, les autorités maliennes ont donc, par le biais de leur armée et des milices qui leur sont affiliées, lancé une attaque contre les positions du MNLA et ses alliés à Ménaka le 27 avril 2015 opérant ainsi une énième violation du cessez-le-feu signé le 23 mai 2014 ainsi qu'aux nombreuses déclarations de cessation d'hostilités ayant suivi ces violations.
Comme à son habitude, dès le lendemain, la MINUSMA s'est empressée de rendre public un communiqué dans lequel son chef, Mongi Hamdi, dit regretter «la tournure que prennent les événements» et tient «à rester optimiste quant aux chances de voir aboutir le processus de paix le mois prochain». Sans même condamner les attaques dont ont été victimes les forces des mouvements de l'Azawad, il a odieusement indiqué qu'«il n'existe aucune alternative à la signature de l'Accord de paix» [1]. Inutile de rappeler ici que le texte du dit «accord de paix» a été expressément rejeté par la population de l'Azawad.
Piétinant ses engagements vis-à-vis de ses soutiens – mais cela est-il nouveau ? –, l'Etat malien, dont il est difficile de distinguer les éléments de l'armée régulière de ceux des milices, s'en est pris à certaines positions du MNLA notamment à Ménaka. Se mêlant, à l'intérieur de la ville, aux populations civiles locales, les soldats maliens et les membres de leurs milices promettent un bain de sang, obligeant ainsi les combattants des mouvements de l'Azawad à se «cantonner» aux alentours. En effet, dans la nuit du 29 au 30 avril, les milices ont exécuté trois civils et mis le feu à la maison de la présidente de l'association des femmes du village dans la localité d' Ikadewan, à quelque 40 km de Ménaka. Durant les trois jours (28, 29 et 30 avril), les affrontements ont éclaté et se sont poursuivis le long des journées qui ont suivi la première attaque dans les alentours de Ménaka. Un bilan provisoire fait état de la destruction de sept véhicules des milices de l'armée malienne faisant quatorze morts et une vingtaine de blessés du côté malien. Du côté des combattants des mouvements de l'Azawad, on dénombre cinq morts et sept blessés. Les affrontements ne se sont jamais arrêtés et une confusion totale règne dans cette région.
Face à l'absence de réaction de la Communauté internationale dont le jeu est, quant à lui, de plus en plus clair, la Coordination des Mouvements de l'Azawad (CMA) s'en est prise, le 29 avril, à des positions de l'armée malienne à Goundam, Bintagoungou, Diré aux alentours de Tombouctou, Léré à l'ouest et Tenenkou dans la région de Mopti, faisant plus de soixante-dix morts et une vingtaine de prisonniers dans les rangs de l'armée malienne et de ses milices. Il y aurait également un mort et six blessés parmi les combattants des mouvements de l'Azawad.
Les combats sont quasi-quotidiens dans toutes les zones tampons avec le territoire malien. Et il est quasi-impossible, en l'état actuel des choses, de dresser un bilan précis des affrontements. Le 5 mai, par exemple, des affrontements ont eu lieu à Tenenkou entre des combattants des mouvements de l'Azawad et l'armée malienne et ses milices. Ces affrontements ont fait sept morts et six blessés, côté Azawad [2]. Côté malien, on dénombre dix-sept morts et plusieurs blessés.
L'Azawad est plongé dans une confusion totale. D'un côté, une Communauté internationale menée par Alger et la MINUSMA dont la seule préoccupation est d'amener à tout prix les mouvements de l'Azawad à Bamako à la signature du document d'Alger, de l'autre des dirigeants des différents mouvements de la CMA qui ont du mal à accorder leurs violons faisant face notamment à certains éléments qui semblent être engagés pour aller signer à Bamako. Les tentations de ces derniers expliquent d'ailleurs certaines incohérences et comportements douteux au sein même de certaines unités des mouvements de l'Azawad ayant facilité la tâche aux troupes maliennes à Ménaka.
Les directions des mouvements de l'Azawad entretiennent un flou artistique dans leur communication. Leur silence quasi-total n'augure rien de positif. Il faut dire que la nature même de la CMA, qui est en réalité une volonté des services algériens dès le départ afin de fragiliser et minoriser le MNLA, est favorable à une telle situation où règnent le désordre et la confusion. Ainsi, l'on assiste à une situation qui est l'une des stratégies des services algériens pour achever la résistance de l'Azawad. Il faut dire que les Algériens ne s'attendaient pas à ce qui est arrivé courant mars dans l'Azawad avec une mobilisation sans précédent de la société civile contre le document d'Alger malgré la détermination de certains membres des directions des différents mouvements à exécuter le plan algérien. Cet affront fait à Alger a conduit à la mise en place d'une autre stratégie.
Dans ce climat, et pour rajouter à la confusion, des éléments pro-algériens au sein du HCUA [3] font courir le bruit d'une fusion des mouvements membres de la CMA dans une organisation nommée Mouvement populaire pour la libération de l'Azawad (MPLA), voilà qui n'est pas fait pour éclairer un tant soit peu la situation. Et c'est à Kidal que ces éléments agissent [4]. En d'autres termes, Alger envisagerait, peut-être, à quelques jours du rendez-vous donné à Bamako le 15 mai, de fomenter un «coup d'Etat» au sein des mouvements de l'Azawad en mettant tout le monde devant le fait accompli d'un nouveau mouvement, le MPLA, qui, de plus, ira signer le document d'Alger. Et vu le désordre qui règne au sein de la direction du MNLA [5], rien ni personne ne pourra remettre en cause la nouvelle organisation, et ce au moins le temps que le sort de l'Azawad soit décidé à Bamako le 15 mai. C'est du moins une hypothèse d'un des plans que les Algériens auraient pu mettre en place afin d'achever la mission qui leur a été confiée : faire plier les mouvements de l'Azawad et mettre fin à ce conflit en faisant croire à un accord de paix. Cependant, la population civile et la base militaire, mais aussi les cadres et les militants déterminés de l'Azawad se laisseront-ils faire et rester indifférents devant un tel plan qui viserait les intérêts de l'Azawad et qui remettrait en cause des décennies de luttes et de sacrifices ?
La volonté express de sauver un Etat moribond [6] au détriment d'un réel engagement pour une paix durable de la Communauté internationale compromet toute chance d'aboutir à la stabilisation de la région. Les populations de l'Azawad ont exprimé leur volonté de vivre en paix voilà cinquante ans, et tant que ce v½u est traité avec mépris par les décideurs, elles continueront à se battre contre vents et marrées pour leurs droits et leurs dignité sur leur territoire. Quant à la MINUSMA qui se targue d'impartialité à coup de communiqués, qu'on est en droit de mettre en doute en raison tout autant de ses discours que de ses actions sur le terrain, elle ferait mieux d'½uvrer pour un réel dialogue entre les parties en conflit et surtout pour la protection des populations civiles qui payent le lourd tribu des basses man½uvres des Etats.
Pourquoi la CMA ne doit ni parapher, ni signer ?
Les correspondances, les discussions et les déclarations tant des Algériens que de la Minusma sont sans ambages. L'accord ne subira aucune modification, quelques clarifications seront apportées aux articles présentant des ambiguïtés, pas plus. Par conséquent, dès le paraphe, qui n'est qu'une signature avant terme, la signature annoncée le 15 mai n'étant qu'une cérémonie protocolaire à Bamako pour démontrer le rapatriement définitif du règlement du conflit dans le cadre national malien. Les Nations Unies avec l'appui logistique engageront ''légalement'' le désarmement des combattants de l'Azawad qui s'opposeraient au processus du cantonnement : désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Les milices rentreraient ''légalement'' à Kidal dans les rangs de l'armée malienne dont l'accord prévoit immédiatement le redéploiement dans l'Azawad.
Par leur entêtement, l'Algérie et ce qu'on appelle la Communauté internationale préparent un embrasement généralisé dans l'Azawad, au Mali et dans la sous-région. Est-ce là le but recherché afin de pérenniser la présence de forces internationales dans cette partie du Sahel ?
Pour rappel, après le refus du pouvoir malien d'appliquer les Accords d'Alger signés en 2006, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) prend les armes en janvier 2012 et met rapidement en déroute l'armée malienne. Sur la scène militaire, surgissent alors les colonnes contre-insurrectionnelles d'Ansar-Dine, islamistes touaregs directement liés à l'Etat algérien et dotés d'un équipement militaire flambant neuf. L'objectif est de brouiller les cartes et d'éradiquer les indépendantistes et leurs revendications politiques légitimes. Dès lors, le chaos s'installe dans l'Azawad et ouvre la route à l'intervention internationale contre le «terrorisme». Pour dénaturer le combat indépendantiste de l'Azawad, une propagande anti-MNLA visant à le confondre avec les terroristes islamistes est alors menée principalement par l'AFP : semer la confusion au sein de l'opinion a toujours été au centre des dépêches de certains médias qui ne cessent de marteler un gros mensonge ; celui de l'alliance entre les Touaregs et les djihadistes, alors que les Touaregs sont les principales victimes des mouvements islamistes.
Masin Ferkal
Notes.
[1] Communiqué de presse du 28 avril 2015 de la MINUSMA
[2] Bilan de l'attaque de Tenenkou.
Combattants décédés :
Abdalla Ag Farkouss, Abdalla Ag Eness, Balla, Salim, Abdalla Ag Med Jadou, Almehdi Ag Iha, Jaddi Ag Ayoub.
Les blessés :
Jaddou Ag Ehya (Loktor Kita), amputé de son pied ; Hamé Ag Mimani, touché dans ses mâchoires ; Dahman Ag Didiya, légèrement blessé ; Noy Noy Ag Omayata, dans un état critique avec une fracture au pied et une blessure à la tête ; Mohamed Ag Mahmoud et Efagday Ag Mohamed. Tous les blessés graves sont transférés vers Nema.
[3] HCUA : Haut conseil pour l'Unité de l'Azawad, créé après l'intervention de la France de l'Azawad.
[4] A Kidal, des bruits courent sur l'implication d'Iyad ag Ghaly dans cette initiative. Ce qui serait cohérent dans la mesure où Iyad est sous la protection des Algériens qui n'hésiteraient pas à faire appel à ses services. Iyad demeure toujours une carte entre les mains des Algériens dans l'Azawad.
[5] Il semblerait que Bilal ag Achérif, dont les agissements deviennent de plus en plus inquiétants, a disparu de la circulation et que personne n'arrive à le joindre !
[6] Selon des sources locales à Ménaka, les forces de Barkhane se sont, dans un premier temps, interposées en tirant sur les combattants des mouvements de l'Azawad.
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