Le quotidien La Croix a rédigé un article consacré aux polémiques nées de l’interdiction de plusieurs prénoms bretons, pour cause d’utilisation de signes diacritiques non reconnus dans une circulaire sur l’état civil datant de 2014. Ayant été l’un des premiers parlementaires à interpeller la ministre de la Justice sur la question, La Croix a sollicité mon avis pour illustrer son article paru sur son site ici: « (voir le site) > (voir le site)
Marie Boëton, le 31/01/2018 à 6h00
Le procureur général de Rennes a accepté vendredi dernier que le prénom breton Derc’hen soit inscrit à l’état civil.
Plusieurs élus ont récemment demandé à la garde des sceaux de reconnaître officiellement divers signes graphiques inexistants en Français.
De quoi réactiver le débat entre les tenants de l’unité de la langue française et les défenseurs des langues régionales.
Ce sont des contentieux rares, mais hautement symboliques. En avril dernier, Alexandra Ibañez, une habitante du Pays basque, demandait à léguer le « tilde » (signe surmontant le n, NDLR) de son nom de famille à son fils. Refus de l’état civil.
En septembre, c’est au tour des parents d’un petit Fañch, Bretons, de faire une demande identique en mairie. Refus des services administratifs. Ces derniers jours, un couple de Quimpérois a voulu prénommer son fils Derc’hen, avec une apostrophe. Niet, là encore, de la mairie. Des décisions toutes contestées en justice. Avec plus ou moins de succès.
La circulaire du 23 juillet 2014 – qui encadre l’attribution des prénoms – méconnaît les signes étrangers à la langue française. « L’objectif est clair : il s’agit de maintenir l’unité du pays. Par ailleurs, de façon plus prosaïque, avoir un alphabet stable empêche que les individus n’apparaissent sous des orthographes différentes en fonction des administrations », justifie un haut magistrat.
Un objectif légitime selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Saisie en 2008 par un couple de Français qui voulait prénommer son fils Marti avec un accent sur le i, la Cour de Strasbourg a donné gain de cause aux autorités françaises, considérant que « la justification avancée par le gouvernement, à savoir l’unité linguistique dans les relations avec l’administration et les services publics », s’avérait « raisonnable ».
Voilà pour les grands principes. Dans le détail, la circulaire de 2014 précise que « seul l’alphabet romain peut être utilisé » et que « les seuls signes diacritiques admis sont les points, trémas, accents et cédilles ». Et ce tant pour les prénoms, que pour les patronymes. Exit, donc, le tilde.
Les parents du petit Fañch, qui ont perdu en première instance, ont fait appel de la décision. Mais ceux de Derc’hen ont eu gain de cause. « La circulaire de 2014 ne statue pas sur l’apostrophe, elle ne l’interdit pas formellement, justifie le procureur général près la cour d’appel de Rennes, Jean-François Thony. C’est, par ailleurs, un signe largement utilisé dans la vie courante. » Y compris dans l’état civil, comme en témoignent nombre de patronymes bretons (Guivarc’h ou Le Cléac’h) ou de noms à particules (Giscard d’Estaing, etc.).
Une première victoire donc, insuffisante néanmoins pour la poignée d’élus bien décidés à obtenir la modification de la circulaire de 2014. Interpellée sur le cas de Derc’hen, la maire de Rennes, Nathalie Appéré (PS), a ainsi adressé hier un courrier à la garde des Sceaux lui demandant d’introduire dans la circulaire les « signes diacritiques propres aux langues régionales ».
En fin d’année, Paul Molac – député du Morbihan – avait fait de même, rejoint par une vingtaine de parlementaires de la majorité – dont Richard Ferrand, patron des députés LREM. À l’entendre, la circulaire litigieuse bafouerait notre loi fondamentale : « La Constitution reconnaît, je cite, que ”les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France”. Et, dans le même temps, le droit en vigueur méconnaît le respect nécessaire de l’orthographe de certaines langues régionales ! »
Un argument irrecevable pourle procureur général de Rennes : « Reconnaître les langues régionales est une chose… Mais le français n’en reste pas moins la langue officielle et celle dans la laquelle, depuis l’édit de Villers-Cotterêts, tous les actes officiels doivent être rédigés. »
Le débat n’est pas nouveau, aux dires de l’universitaire Baptiste Coulmont (1). « On a vu dès les années 1960 resurgir un certain nombre de prénoms bretons. À l’époque en revanche, les parents n’exigeaient pas des services de l’État qu’ils reconnaissent quelque signe graphique spécifique que ce soit. Les temps changent. Les papiers d’identité sont investis d’une dimension nouvelle : aujourd’hui, c’est comme si ces documents disaient notre vérité… » Autre nouveauté, à l’entendre, « la présence, aux côtés des parents, des mouvements régionalistes et culturalistes désireux de politiser la chose ».
Marie Boëton
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