Archive de la semaine : Crise du modèle agricole breton ou crise du système français ?

Chronique publié le 29/01/16 19:53 dans Agriculture par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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La mort est dans le pré

Crise du modèle agricole breton ou crise du système français ?

Publié le 29/01/14, dans Reportage par Philippe Argouarch pour ABP. Mise à jour le 29/01/2016 deux ans exactement après. Le fond reste le même ! Rien n'a changé.

C'est un débat passionnant, mais ayant suscité des réactions mitigées, qui a eu lieu à Locarn, jeudi dernier, le thème de la conférence étant la crise du modèle agricole breton. L'Institut avait invité un expert extérieur en pensant qu'il serait plus objectif sur la question. Il s'agissait de Philippe Chalmin, un historien et économiste parisien d'origine basque, professeur à l’université Paris-Dauphine et spécialiste des marchés de matières premières. Il est le fondateur du Cercle Cyclope, qui publie chaque année depuis 1986 un rapport complet sur l'état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières. Il est aussi un ancien élève de Joseph Le Bihan, co-fondateur de l'Institut de Locarn, et qui fut aussi professeur à HEC (l'École des Hautes Études Commerciales de Paris).

Le titre de la conférence sonnait faux dès le départ car, comme chacun sait, il n'y a pas de modèle agricole breton, c'est le même qu'en Allemagne ou dans le reste de l'Europe. Chacun essaye de produire à des coûts compétitifs, bio ou pas, avec des entreprises les plus modernes possibles. Les normes sont les mêmes pour toute l'Europe mais elles ne sont pas respectées partout comme on l'a vu avec le dumping social en Allemagne avec des travailleurs de l'Europe de l'Est sous-payés ou n'engendrant pas de charges ou en Espagne où des travailleurs marocains au noir travaillent dans les serres.

Mondialisation : la météo en Nouvelle-Zélande affecte le prix du lait en Bretagne

Chalmin a commencé par analyser les succès passés de l'agriculture bretonne, afin de comprendre ce qui a changé depuis l'époque d'Alexis Gourvennec, des grandes coopératives bretonnes et des clusters agricoles, comme celui de Landerneau. L'essentiel est que le marché est devenu mondial et en même temps, la part de l’agriculture dans l'économie mondiale et dans l’économie française a diminué (les gouvernements français sont beaucoup moins concernés par l'agriculture qu'en 1945 quand la famine menaçait).

Pour la première fois, le monde a le même système économique sur toute la planète, et c'est le système libéral. Ce système a amené une forte dose d'instabilité des prix et des marchés, car le prix du lait ou du mouton dépend de ce qui se passe en Nouvelle Zélande ou aux Pays-Bas.

Le système français désavantage les agriculteurs bretons car ce sont en majorité des petites exploitations. Des charges excessives asphyxient les producteurs, surtout les petits producteurs. On voit rarement les gros producteurs dans les manifestations. Un producteur paye les même charges pour un saisonnier, ce qui n'est pas le cas en Allemagne par exemple.

Pas délocalisable

S'il n'y a pas de crise du modèle agricole breton, il y a une crise du modèle français qui n'a pas su ou pas voulu s'adapter à la mondialisation de l’économie. Il fallait détruire les appareils d'État inutiles, adapter le code du travail à l'instabilité des marchés et aligner la fiscalité sur les autres pays européens. Rien n’a été fait pour éviter la désindustrialisation et la « désagriculturalisation » .

L’agriculture en Bretagne est complètement paralysée par le système français de fiscalité excessive, un code du travail d'un autre âge, trop complexe et sans flexibilité, et une super bureaucratie qui donne un délai de 5 ans pour ouvrir un centre de méthanisation, alors que cela prend six semaines en Allemagne.

La crise est la même pour l'industrie automobile française que pour l'industrie agricole ou l'agro-business breton, à la seule différence - et Chalmin a oublié de le rappeler, tellement c'est évident, qu'on ne peut pas délocaliser l'agriculture. Si Renault peut déplacer la moitié de ses usines au Maroc ou en Europe de l'Est, ou au Mexique pour General Motors, la Bretagne ne peut pas délocaliser ses producteurs de cochons ou de lait. Des grands groupes, comme Doux, ont tenté des relocalisations au Brésil, mais cela n'a pas été suffisant et encore une fois, la majorité des producteurs bretons n'ont pas la taille sufifsante. L'industrie automobile peut faire ces choix stratégiques, mais l'agriculture bretonne ne le peut pas.

Chalmin a aussi oublié de mentionner que la Bretagne a très peu d’AOC ([[Appellation d'Origine Contrôlée]]), car, elle n’a pas de vins de Bordeaux ou de Champagne, ni de camemberts ! À qui la faute ? Pour la vigne, la production commerciale de vins est interdite en Bretagne depuis Colbert (interdiction toujours en cours). Pour le reste, des études restent à faire. A noter qu'une des revendications des producteurs bretons est l'obligation de traçabilité de l'origine de toutes les viandes y compris les viandes incorporées dans les produits alimentaires. Bruxelles refuse. Le lait, les porcs et tous les produits agricoles bretons doivent pouvoir profiter du prestige d'avoir été produits en Bretagne. Si les Chinois sont venus jusqu'ici pour construire une production de lait en poudre, il y a des raison non ?

Pas de reconversions possibles sans investissements

L'autre mutation qu'a subie la Bretagne c'est l'Europe, et Chalmin a bien fait de mentionner qu'il est plus important d'avoir un lobby à Bruxelles que d'avoir des agriculteurs qui prennent d'assaut des préfectures ou qui déversent du lisier ou du lait dans la rue.

La fin des restitutions pour le poulet était programmée depuis longtemps comme la fin des quota laitiers. Les agriculteurs bretons le savaient, certes, mais que pouvaient-ils faire ? Les marges et les bénéfices étant le plus souvent dans le rouge, on ne peut pas reprocher aux agriculteurs bretons de ne pas avoir opéré les reconversions nécessaires s'il n'y avait pas de liquidités pour investir et si les banques ont décidé « de faire leur beurre » sur les marchés financiers, plutôt qu'avec les paysan bretons. Les banques ne prêtent plus, car elles ne croient plus dans la rentabilité d'un projet industriel ou agricole dans le cadre français, à moins qu'il soit super innovant et exportable et très peu le sont.

Euro fort et concurrence déloyale

Dans la discussion sur l'Europe, Chalmin a aussi oublié de mentionner l'effet désastreux sur les exportations bretonnes vers l’Asie d'un euro fort voulu par la banque centrale européenne et l'Allemagne. Certes, les agriculteurs allemands arrivent toujours à exporter mais à l'intérieur de l'Europe (ils exportent de la viande de cochon pour Auchan par exemple), car ils bénéficient d'autres avantages : les réformes Schroeder, faites il y a 10 ans, et l'utilisation de main d'oeuvre bon marché venue de l'Est de l'Europe. La Bretagne n'a aucun de ces atouts - et comme l'a fait remarquer Alain Glon - elle a un taux de travail au noir le plus bas de France car les Bretons sont foncièrement honnêtes.

Une révolution culturelle nécessaire

Changer de système n'est pas facile, car la France vit dans ce système depuis l'après-guerre - sans parler de l'héritage colbertiste. Les Bretons comme les Français ne font pas confiance aux autres, ils font confiance à l’État. Comme l'a dit Chalmin : « le modèle français est le seul modèle soviétique qui ait merveilleusement réussi », l'apogée de ce système français se situant d'après lui vers 1970, il y a déjà un quart de siècle.

Il ne suffit pas de vouloir faire des réformes, encore faut-il que la population les comprenne pour pouvoir les accepter. La culture socialiste et étatiste qui, certes, à joué un rôle après la guerre pour remettre la machine productive en marche, est devenue un énorme handicap. Cette culture a imprégné la société depuis 70 ans et les politiques n'ont rien fait pour préparer les gens aux nécessités de s'adapter à la mondialisation de l'économie et à son caractère inévitable.

Au contraire, tout a été fait pour repousser les échéances de réformes structurelles profondes. Les média, eux-mêmes profitant du système de clientélisme des subventions et vivant du système, n'ont certainement pas fait leur travail pédagogique, à part de rares quotidiens ou hebdomadaires spécialisés dans l'économie.

Deux solutions politiques possibles

Si Chalmin a réussi à pointer les incohérences en Bretagne, comme trop attendre de Paris ou de Bruxelles, le manque de clusters agricoles, le manque de renouvellement avec des leaders jeunes, la division qui caractérise souvent les Bretons, les problèmes des algues vertes et de l’eau et ses conséquences pour l’image de la Bretagne, il n'a pas fait que confirmer indirectement la conclusion bien connue d'Alain Glon, président de l'Institut : « Notre problème c'est la France ». La France doit se réformer si les Bretons veulent rester travailler, créer, décider, et vivre en Bretagne, car le système français - y compris son modèle social - ne le permet plus, sauf aux retraités, et encore, à condition qu’ils puissent se payer un logement dans une Bretagne de plus en plus couverte de résidences secondaires habitées une partie de l'année. Tout le reste est condamné à long terme. Il n'y a que deux solutions : soit la France change, soit la Bretagne devient indépendante et opère elle-même les mutations nécessaires à sa survie.

Vers une agriculture écologiquement intensive ?

Les mutations politiques étant faites, il restera à s'orienter vers une agriculture durable. Le concept d’[[agriculture écologiquement intensive]] a été mentionné lors de la conférence, mais sans développement ni même discussion, alors que la question a été posée par un jeune intervenant. Elle représente certainement la direction à suivre, cette direction permet d'être écologiquement viable tout en restant compétitif.

L’agriculture écologiquement intensive veut garder une agriculture productive et compétitive mais plus économe en [[intrant]]s et moins nocive pour l'environnement. Personne n'est contre, mais comment faire ? La solution est d'intensifier les mécanismes naturels des écosystèmes ; d'optimiser le fonctionnement du sol en éliminant le labour (il n'y a aucune raison de labourer à plus de 15 cm de profondeur car cela détruit l'écosystème du sol) ; de couvrir le sol pour favoriser le travail des vers de terre et des bactéries qui forment l'humus ; de maximiser les périodes de photosynthèse pour la production de biomasse ; ou encore de privilégier l'action d'auxiliaires biologiques des cultures ; finalement de développer des recyclages de lisier comme la méthanisation.

Philippe Argouarch


Vos commentaires :
Pouffier Cornic Denis Henri
Dimanche 22 décembre 2024
rgourch, comme toujours trés interéssant ! Suis inquiet, pour notre industrie des pêches en pays Bigouden et pour tout l'agro-alimentaire. Déçu aussi de Troadec et Merret qui ne nous mobilisent plus (Boned Ruz).
Noz vad ha trugarez Argouarch.

kris braz
Dimanche 22 décembre 2024
Il est quand même ahurissant que pas une seule fois ne soit mentionnée l'écrasante responsabilité du syndicat agricole majoritaire dans le refus du changement ! L'étatisme a bon dos, et le «modèle agricole breton» ferait rigoler en 2016 si la situation n'était pas aussi tragique.

spered dieub
Dimanche 22 décembre 2024
En effet c'est énigmatique ,Troadec si prompt d'habitude à réagir ,souvent à raison ,mais compte tenu de la gravité des évènements ,son silence devient assourdissant .Peut être craint t-il que les chinois finissent par devenir frileux pour investir davantage dans le Poher ???
Je me répète encore une fois ,une des causes de la crise provient du mode de fixation des cotisations sociales des agriculteurs ,pratiquement 48% su le résultat d'exploitation ,pour une activité qui de part sa caractéristique, même pour les plus performants (pas forcément les plus gros ) peine à dégager de la valeur ajoutée ,telle une industrie lourde Alors le réflexe des agriculteurs est d'investir à tout va pour ne pas se retrouver à payer des sommes considérables à la MSA Cela entraine des achats de gros matériels pas toujours justifiés ,et la fuite en avant vers l'agrandissement et l'endettement ,tension entre voisins .C'est une des causes du processus presque abouti qui condamne l'agriculture familiale ,puisque les reprises deviendront impossibles pour une personne seule ou un couple vu le cout des outils Mis à part des petites exploitations avec des créneaux particulier et en partie le bio ,nous nous dirigeons vers l'industrialisation de l'agriculture .Mais la configuration de la Bretagne est t-elle adaptée pour une activité au sein de laquelle les agriculteurs et surtout éleveurs seront intégrés, ou encore pire deviendront des OS payés à coup de lance pierres ????

Léon-Paul Creton
Dimanche 22 décembre 2024
« Une révolution culturelle nécessaire : Changer de système n'est pas facile, car la France vit dans ce système depuis l'après-guerre - sans parler de l'héritage colbertiste. Les Bretons comme les Français ne font pas confiance aux autres, ils font confiance à l’État. Comme l'a dit Chalmin : « le modèle français est le seul modèle soviétique qui ait merveilleusement réussi », l'apogée de ce système français se situant d'après lui vers 1970, il y a déjà un quart de siècle. »

Avec la Chine, la France démontre doucement ,siècles après siècles, que l’on peut faire du « soviétisme capitaliste »…sans que les « communistes » et leur doctrine religieuse soient au pouvoir, ce qui certainement et sans aucun doute leur est insupportable…

« RIEN ne se perd, TOUT se transforme ! » L’association du capitalisme délirant et du communisme adaptable et « pragmatique », ce socialo-communisme contorsionniste, en fait la démonstration magistrale dans les exercices des gouvernements dits de gauche, ces trente dernières années…

Gauche veut également dire « de travers, ou « tordu » !


Paul Chérel
Dimanche 22 décembre 2024
La moralité de de cet excellent article est qu’il faut absolument que les Bretons se “défrancisent”. Leur esprit, leur mode de vie, leur culture, voire leur moralité sont dissous, anéantis dans une France qui les a assujettis corps et âme. L’agriculture n’est pas la seule victime. L’industrie, la vie maritime, l’habitat, l’artisanat, la convivialité , ... tout passe dans le rouleau compresseur français qui n’a même plus de freins pour s’arrêter ni même de gouvernail ou de guidon pour déterminer son avenir. Le monde paysan est peut-être la première et plus importante victime car il a une nature foncièrement plus confiante et plus naîve, mais il faut que l’ensemble des Bretons soit solidaire et l’aide à sortir de ce bourbier. Et ce n’est pas toutefois avec des concepts de type Sciences Po ou ENA comme «agriculture écologiquement intensive» qu’on va lui venir en aide. Le label “artichaut de Bretagne” est tout aussi valable que “Camembert du Président”. Paul Chérel

Youenn Penhador
Dimanche 22 décembre 2024
Deux solutions : Ou bien la France change ou bien la Bretagne devient indépendante.
Malheureusement aucune des deux car trop de français vivent du système tel qu'il est aujourd'hui donc la France aura du mal à changer (20 à 25 millions de personnes vivent de la fonction publique; fonction publique et leur famille. Trop de lobby aussi paralysant le changement; exemple des méthaniseurs qui auraient pu éviter les pollutions par les nitrates à cause de l'épandage. Lobby politico-militaro-economico-energitico jacobin)
Parler d'indépendance de la Bretagne c'est une utopie étant donnée la mentalité des bretons qui votent pour des partis centralistes à 85%.
Donc nous sommes dans un cul de sac.
L'état d'urgence prolongé (jusqu'à quand?) va paralyser encore plus la France.
Finalement on va peut-être vers un grand craquement car il n'y a pas de solutions!!!

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