Anne de Bretagne première reine médiatique : conférence de Gildas Salaün à Nantes

Reportage publié le 30/05/17 18:45 dans Histoire de Bretagne par Maryvonne Cadiou pour Maryvonne Cadiou

Si les photos se présentaient en une ligne fine au-dessus de la vidéo de l'Université de Nantes, cliquer sur la ligne.

La conférence de Gildas Salaün fut présentée par Pierre Tourmen, adhérent de l'association Ar Falz, co-organisatrice de cette journée sur la Bretagne à la Manufacture (voir notre article), à Nantes, avec, nous précisa-t-il, les autres associations : Les rues de Graslin (association d'habitants), Orpan (Office des retraités de Nantes), l'Accord (association d’éducation populaire de la Ville de Nantes), l'Agence culturelle bretonne (ACB44) et Nantes & co (du dialogue citoyen dans les quartiers nantais).

Il présenta le conférencier comme un grand admirateur d'Anne de Bretagne, conservateur au Musée Dobrée de Nantes, de renommée mondiale en numismatique, qui a créé l'Étude de l'Histoire par la Monnaie...

Gildas Salaün répond qu'il n'est pas spécialiste d'Anne de Bretagne, mais il travailla sur ses représentations.

Sa question : « Le culte de la personne (les représentations d'Anne de Bretagne), est-il un phénomène ancien, quelque chose de récent, un phénomène volontaire (créé par la duchesse elle-même en son temps), ou involontaire, ou une récupération à des fins politiques postérieures...? La personne d'Anne de Bretagne est souvent reprise par les milieux régionalistes... ».

Il se propose d'y répondre.

Pour celles-ceux qui n'auraient pas pu venir nous vous envoyons vers cet enregistrement du 15 février 2015 par la WebTV de l'université de Nantes (1) : (voir le site) . Il y a quelques blocages sur image, on ne les voit pas toutes, mais on continue d'entendre le conférencier. La page propose un lien embed. Profitons-en pour transférer la vidéo sur ABP.

Le conférencier

C'est en tant que conservateur au musée Dobrée, chargé des collections de numismatique et de sigillographie du musée (pièces et sceaux) qu'il fit cette étude sur Anne de Bretagne. Il est aussi conseiller municipal chargé de la culture scientifique et technique, du wikipatrimoine et du patrimoine immatériel.

Résumé de la conférence sur le site de la webTV

Les règnes d'Anne de Bretagne constituent une transition majeure sur le plan de la «communication». Dans la tradition médiévale, elle utilise tout d'abord les symboles héraldiques pour diffuser ses messages politiques et affirmer son pouvoir. Puis, au début du XVIe siècle, l'individu s'affirme, s'affiche et la personne de la duchesse-reine devient l'incarnation du pouvoir. Cette conférence propose de découvrir les mécanismes et les conséquences de cette transition et montre comment les arts renaissants servirent ce nouveau dessein politique.

Nous allons presque tout vous raconter surtout en photos légendées

Et commentées plus largement dans ce texte.

Son texte, Gildas ne l'a pas écrit car il a tout dans la tête et il lui suffit de se baser sur les images avec parfois une ligne ou deux de son plan, qu'il a programmées sur son ordinateur portable, pour que se déroulent les paroles quasi automatiquement, tant il maîtrise bien son sujet.

Les images sont projetées sur le grand écran derrière lui.

Il les commente, les décrypte, en profondeur, avec humour parfois, mettant le public dans le coup ! : « Où est Anne ? » demandera-t-il plusieurs fois...

L'intérêt et la participation du public grandissent rapidement. Tout le monde l'a trouvé excellent.

Personnellement, lors de ses vues à la loupe dans les illustrations de parchemins enluminés (que nous connaissions déjà par une étude sur Anne - en cours), il nous a aidée à détecter bien plus de détails importants que nous n'en avions vus...

Le plan est prêt : (ph. 5)

- Un riche lexique emblématique dont les symboles s'affichent publiquement ;

- Nombreuses représentations de son portrait ;

- Création d'une identité graphique pour permettre de la reconnaître ;

- Mise en scène de sa [ ? ] famille

Cet exposé sur Anne de Bretagne et le rôle de communication par les images de son temps, très pédagogique, dévoile, entre les lignes, les grandes connaissances du conférencier et un don de curiosité, d'enquêteur à la Sherlock même.

Il parle de charte graphique, oui, avec des mots modernes. Et à la salle une affirmation : « Vous la reconnaissez, Anne, sur cette image, parce que vous savez, vous, comment elle est représentée depuis le XVe siècle, mais à son époque, les gens ne l'avaient pas vue, ou si peu... Il fallait utiliser des codes... ».

Il explique l'interprétation originale de toutes les représentations d'Anne, de ses symboles, armoiries, couronnes, blasons... Nous avons droit à un vrai cours d'héraldique et d'emblématique des blasons, et à leur rôle au cours du temps. Et il explique, sur les principaux supports - parchemin, vélin, papier, objet (reliquaire, monnaie), pierre (les murs des châteaux) - ici les armoiries, là son A, ou le « chaperon » qu'elle porte, ailleurs « la cordelière - une corde à noeuds de Saint François, symbole emblématique adopté par François II, duc de Bretagne, se plaçant ainsi en relation avec son saint patron » (ph. 14).

Gildas encore : « Sachons qu'à l'époque très peu de personnes savaient lire. Devant les boutiques, il n'y avait pas le nom boucherie par exemple, mais une enseigne qui indiquait ce que la boutique vendait ».

Il fallait donc des codes pour repérer Anne de Bretagne et ses maris royaux. La société fonctionnait avec beaucoup d'images. Et nous verrons aussi les représentations du roi et de la duchesse-reine par les animaux.

Gildas Salaün est allé au [[Château de Blois]], où il chercha les marques d'Anne. Peu de A mais des L à profusion : « Anne est chez Louis ». La statue équestre de Louis XII (ph. 23) a été posée en façade dans la partie du château que Louis XII a ordonné de construire à partir de 1500 (restaurée au XIXe).

Nous ajoutons la (ph. 25), du tympan de la chapelle Saint Calais - construite après son mariage avec Anne de Bretagne, lorsque Louis XII désigna Blois comme la capitale du royaume. Leurs deux armoiries et le L à gauche, le A à droite. Une seule couronne au dessus des deux, le cordon de Saint Michel entoure tout l'écusson de Louis, recouvrant même en partie la cordelière d'Anne (collection particulière de la rédactrice)...

Par contre à Nantes juste un L parmi plein de A : « Louis est chez Anne ». Ils s'y sont mariés en 1499.

L'hermine au naturel

« Par extension, l'hermine au naturel est assimilée à Anne ».

Sorte de « réponse » ou de parallèle au porc-épic de Louis XII. Copie d'écran de la vidéo (ph. 7).

Armoiries de mariage

Comparer (ph. 6) , avec Charles VIII et (ph. 11) avec Louis XII.

Les deux couronnes ?

« Non ce n'est pas parce qu'elle a été deux fois reine de France », répond-il à une remarque de la salle ! « Il y a sa couronne de reine et sa couronne de duchesse. La duchesse ne s'efface jamais derrière la reine ».

Le Lion

« On le trouve partout en Bretagne dès le milieu du XIVe ». Enluminure extraite du Grand Livre des tournois du roi René d'Anjou, 1460-1470 (ph. 8). Le heaume de François II porte un lion.

Les lions Soutenant le blason : entrée du château des ducs de Bretagne, tour de gauche (ph. 9) . « Au sens strict du terme, c'est Montfort qui tient la Bretagne ».

Le lion encore, dernière photo (ph. 42=10), oubliée à sa place. En haut à gauche, sur le tombeau des parents d'Anne à la cathédrale de Nantes, à droite c'est la marque d'imprimeur de Jehan Petit (voir le site) de wiki, qui n'a pas de page en français... qui nous dit entre 1493 et 1530 il publia le dixième de la production imprimée à Paris, soit plus de 10.000 volumes.

Au centre en rouge un sceau de la Chambre des comptes de Bretagne, de 1497, avec écu partie mi Bretagne mi France et avec les lions.

Ph. 11 : vidéo à 19 minutes pour l'explication des couronnes. Le blason surmonté de deux couronnes est soutenu à gauche, côté France, par un ange (non ce n'est pas une image d'Anne) et à droite par un lion, donc par les Montfort. « C'est une synthèse de toute sa vie et de tous ses titres ».

Autre version : ph. 12, manuscrit de 1514, n° 332 de la bibliothèque de Rennes. Le lion du côté d'Anne, un ange du côté du roi.

Notion d'égalité entre les souverains

«Cette égalité est visible sous Louis XII, ce qui n'était pas le cas sous Charles VIII, qui a imposé le mariage à Anne de Bretagne avec des conditions extrêmement négatives... ».

« Il n'y a quasiment aucune représentation d'Anne à l'époque de son mariage avec Charles VIII ».

Ph. 13, 1-2-3 : (vidéo à 20 minutes 27) pour l'explication d'égalité, dans la première page d'un livre de 1510. Couronnes royale et ducale. À gauche armes de Louis XII, à droite celles d'Anne de Bretagne. Autour du blason de Louis XII le grand cordon de l'ordre de Saint Michel, ordre de chevalerie. Autour des armes d'Anne de Bretagne, la Cordelière (ph. 13-2). Les animaux : le porc-épic de Louis XII, auquel correspond l'hermine au naturel d'Anne. [Ndlr : Au milieu, cerclé d'orange, ph. 13-3, quel animal le porc-épic a-t-il attrapé ? !]. « Au-dessus, le roi c'est le soleil et la reine c'est une étoile ».

ph. 14 : explication de l'origine de la Cordelière.

ph. 17 : Un drap funéraire. Lors de l'inhumation de son coeur à Nantes il y eut 150 draps bleus de ce type accrochés en ville. Le Trespas de l'Hermine regrettée. Anne est l'hermine.

ph. 18 : Inhumation de son coeur à Nantes : le blason, les deux couronnes et l'hermine.

« On ne peut douter de qui on parle ».

« Au Moyen Âge on ne représente la personne qu'au moyen de symboles ».

La devise d'Anne Non Mudera (ph. 19)

Espagnole, navarraise ou béarnaise ?

C'est bien la sienne. Le À ma vie vient d'ancêtres.

Dans la salle on se demanda « Pourquoi en espagnol ? »

Du côté de Marguerite de Foix, sa mère, il y avait des personnes du pays occitan, navarrais, béarnais.

Geneviève Morgane-Tanguy l'explique dans Les jardins secrets d'Anne de Bretagne, Paris, éd. Fernand Lanore, 1991. Ph. 20 copie d'écran de la numérisation partielle de son livre par Google p. 14 : « Ce caractère indomptable, à la devise navarraise « Non Mudera » (elle ne change pas) cette princesse qui portait sang de France, de Bretagne et d'Espagne... », écrit-elle.

Ce serait donc une formule navarraise.

On la trouve traduite partout par Je ne changerai pas. En fait c'est Elle ne changera pas, la souveraine parlant d'elle à la troisième personne (comme le faisait Louis XIV, nous a-t-on dit à l'école).

Le seul site où nous avons trouvé la bonne traduction est : (voir le site)

Devise personnelle : non mudera, elle ne changera pas.

Le site (voir le site) de monumentshistorique la donne béarnaise mais la traduit mal : «je ne varierai pas».

Les médailles

Gildas Salaün présente la médaille offerte à Lyon à Anne de Bretagne et Louis XII, la deuxième qu'elle y reçut, lorsqu'elle y passa pour la deuxième fois, avec Louis XII, en 1499. Face Anne, elle tourne le dos à la Bretagne et regarde la France... (ph. 31-32). Face Louis, il est sur un champ de fleurs de lys.

La cordelière

Elle est partout. (ph. 33) Sur un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Russie à Saint-Petersbourg : cote Fr F V XIV, 8, folio 58 verso. Anne est dans une salle du trône avec le code de la cordelière sur la tenture voisine, sinon on ne la reconnaît pas, même avec son chaperon.

Autres

Ph. 34 : Louis XII et Anne de Bretagne devant la sainte Couronne d'épines, enluminure d'un Livre de prières aujourd'hui disparu : L'ancien Graduel à l'usage de la Sainte-Chapelle de Paris à destination d'Anne de Bretagne et Louis XII. Il n'en reste que quelques fragments dont cette lettrine G conservée au musée Dobrée.

Ph. 35 : Anne de Bretagne recevant le manuscrit des Vies des femmes célèbres (1504) d’Antoine Dufour (source Gallica). Dobrée, Ms17 ; enluminé par Jean Pichore et son atelier en 1506.

Sophie Cassagnes-Brouquet a décrit ce manuscrit d'Antoine Dufour dans son livre Un manuscrit d'Anne de Bretagne, Les Vies des femmes célèbres d'Antoine Dufour (éd. Ouest-France, 2007).

Ph. 36 Blason d'Anne de Bretagne, enluminure extraite du manuscrit Ms 0332 (f° 1v) de la bibliothèque de Rennes.

Ph. 37 À dr. la fameuse Cadière, monnaie frappée par Anne. Veuve après la mort de Charles VIII elle revient à Nantes et en profite pour faire frapper sa monnaie, marque de souveraineté. 10.000 cadières seront frappées au Bouffay. L'atelier a duré du XIIIe siècle à 1817 : (voir le site) paragraphe Hôtel des Monnaies sur wiki pour les détails.

Où est Anne ?

« Au fond, sur le trône ! », (ph. 38-1) nous le savions bien dans le public, depuis plus d'une heure de conférence ! (ph. 38-2) gravure sur bois tirée de Les illustrations de Gaule et sĩgularitez de Troye (le ĩ est abrégé pour in), 1512, par Jean Lemaire de Belges, numérisée de la Bibliothèque Houghton, Université d'Harvard à Cambridge, Massachusetts, USA.

Oui, mais Gildas nous fit découvrir autre chose : le cadre du bas est très important, il y est écrit : DIVE IVNONI:ARMORICE SACRVM:, soit Le culte à la Junon d'Armorique.

Anne est sous les traits de Junon, avec ses armoiries au-dessus d'elle. La jeune fille à sa droite porte le sceptre et l'épée de la duchesse souveraine de Bretagne. En plus le paon de Junon est en bas à gauche.

En 1509, Anne de Bretagne est donc représentée en Junon dans les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troyede Lemaire de Belges.

Des marques d'Anne à Nantes

Ph. 26 au moins huit A sur cette photo au château de Nantes.

Ph. 27 en haut de cette lucarne du château de Nantes aussi. Là Louis XII est célébré : le blason du mariage avec la couronne de fleurs de lys (royale) le collier de Saint Michel autour (le roi), en dessous le porc-épic de Louis XII et à droite l'hermine au naturel d'Anne. Sur les montants (baguette de Gildas à droite) les fleurs de Lys de Louis, à gauche les hermines d'Anne.

Description de l'illustration ph. 39 : Louis XII et sa cour implorent La Raison, pour qu'elle lui donne un fils, en montrant Anne, qui tient dans ses bras sa fille Claude. Claude a une robe jaune, Anne une robe rouge, son chaperon et sa couronne. Derrière Anne les jeunes filles de sa cour. On retrouvera les robes de ces couleurs ailleurs, comme un code.

Illustration ph. 40 : miniature extraite des Remèdes de l'une et l'autre Fortune de [[Pétrarque]], manuscrit de la BnF, Fr n° 225 : (voir le site) de Gallica pour le folio 165r°.

Écrit par [[Pétrarque]] (1304-1374), le texte a été traduit plus tard. La transcription-ci a été faite à Rouen sur vélin en 1503 et illustrée d'enluminures de sujets de son temps. D'où cette illustration de [[Jean Pichore]], contemporain.

Et pour terminer, la (ph. 41). Gildas Salaün nous dit qu'à gauche est la photo d'une petite médaille représentant Anne (il n'y a pas de doute là-dessus) trouvée à Lyon dans le Rhône !

À droite un portrait d'Anne de Bretagne aussi, pour lequel il fulmine de voir trop souvent écrit « portrait présumé d'Anne de Bretagne».

Conclusion partielle

S'il n'est pas facile de tout voir sur ces photos, les visiteurs du château des ducs de Bretagne, de celui de Blois, auront au moins appris à mieux regarder les sculptures, et à comprendre leurs symboles. Ne pas oublier d'apporter des jumelles !

D'autre part ils sauront mieux décrypter les enlumines qu'ils rencontreront avec Anne, au hasard de leurs recherches sur le Net !

À la fin de cette conférence très applaudie, Pierre Tonnerre annonça qu'à la fin de l'été [sans précision encore sur les dates], deux autres conférences de Gildas Salaün seraient organisées par la même équipe, sur, précisa le conférencier : Avant Anne et Après Anne...

Note

(1) L'université de Nantes. Tout au long de l’année, l’Université permanente de Nantes organise à Nantes, et dans toutes ses antennes (Pornic, Saint-Brévin, Châteaubriant…), des cycles de conférence grand public ouverts à tous. Chaque année, près de 300 conférences sont organisées couvrant un éventail très large de disciplines : littérature, philosophie, sociologie, langues anciennes, histoire, histoire de l’art, cinéma et théâtre, géographie, monde et territoires, droit et société, sciences, langues étrangères...


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