Alex Salmond : Le Brexit conduit l'Écosse vers l'indépendance

Interview publié le 6/08/17 1:37 dans Interceltisme par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch
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Alex Salmond présentera son livre lundi après-midi à Lorient.

[ABP] Quelles sont les perspectives de l'indépendance de l'Ecosse face au BREXIT ou à la chute des cours du pétrole ?

[Alex Salmond] Prenons ces choses une à une. Les cours du pétrole montent et descendent. Au moins 50 pays ont une importante source de revenu avec le pétrole et que les prix montent ou descendent n'est pas si important que ça. La question principale est l'Europe. L'Écosse a été une nation européenne depuis 1000 ans. Un collègue qui faisait une présentation à un colloque d'histoire a rappelé que la première chose que fit Wallace après sa victoire à Stirling Bridge en 1297 fut d'écrire à la Ligue hanséatique basée à Lubeck pour lui signifier qu'il y avait un changement et que les Écossais étaient à nouveau au contrôle. La Ligue hanséatique était l'équivalent médiéval du Marché Commun. La force de l'indépendance écossaise a toujours été dans un contexte européen avec par exemple des relations entre la France et l'Écosse et même entre l'Ecosse et la Bretagne. Retirer l'Ecosse de ses racines européennes comme le propose le Brexit est un problème très sérieux. Le Brexit va amener la question de l'indépendance de l'Ecosse plus tôt que prévu.

[ABP] L'hebdomadaire «The Economist» a écrit que le Brexit rendait l'indépendance de l'Ecosse plus probable.

[A.S] Oui c'est plus probable parce que les Ecossais vont devoir faire un choix encore plus fondamental et plus tôt que nous le pensions. En 2014 je pensais que cela prendrait des années avant que le choix se présente à nouveau. Avec le Brexit, ce choix a un cadre très défini dans le temps, dans juste quelques années quand les circonstances de la sortie du Royaume-uni se clarifieront. Alors l'Ecosse voudra une assurance qu'elle puisse garder ses connexions européennes vieilles de 1000 ans. Et si, pour l'Écosse, la seule façon de garder ces connexions est de devenir indépendante, l'Écosse deviendra indépendante.

[ABP] J'ai lu que 60% des échanges commerciaux de l'Ecosse se font avec le reste du Royaume-uni. Il y a davantage d'échanges avec le reste du Royaume-Uni qu'avec l'Europe ?

[A. S] 70% des échanges du Canada se font avec les États-Unis, ça ne veut pas dire que le Canada devrait faire partie des États-Unis. Il y a un contraste intéressant entre ce que fait le Royaume-Uni avec le marché commun et ce qu'il fait avec l'Ecosse mais c'est plus facile d'établir des agréments commerciaux avec un seul pays qu'avec 27 autres sans parler des autres pays avec qui le marché commun doit établir des traités commerciaux. L'autre chose concernant les accords commerciaux est que l'Angleterre a une balance des exportations positive avec seulement quelques pays et un de ces pays est l'Écosse. Après l'Europe et les États-Unis, l'Écosse est le troisième partenaire commercial.

[ABP] Lors des dernières élections générales au Royaume-Uni, le SNP n'a obtenu que 35 députés alors qu'en 2012 il en avait obtenu 56 sur les 59 possibles. Comment expliquez-vous ce recul ?

[A. S] Bon en 2010, le SNP n'avait eu que 6 députés élus. Mais 35 en 2017 est toujours une majorité puisque qu'il n'y a que 59 sièges à pourvoir (à Westminster, la chambre des Communes N.d.T) pour l'Écosse. Ni les travaillistes, ni les conservateurs n'ont une majorité mais le SNP en a une. Donc si pour cette soi-disante mauvaise année, on a quand même la majorité, pour une bonne année on en aura une encore plus importante !

[ABP] Est-ce qu'il est vrai que les Travaillistes et les Conservateurs se sont alliés pour vous prendre votre siège de député ?

[A. S] Oui c'est une alliance impie (unholy). Autrefois on avait l'Aulde Alliance entre la France et l'Écosse, et aujourd'hui on a cette alliance entre les travaillistes et les conservateurs. Mais ça sera difficile sur le long terme. On peut s'attendre à des tensions au sein de cette alliance impie. On peut s'attendre au sein du mouvement pour l'indépendance à ce que les autres partis se combinent contre nous. Ca fait partie de la lutte. Mais si votre ambition est suffisamment forte, si votre cause est suffisamment forte et si votre logique est suffisamment irrésistible en terme de la position de l'Écosse en tant que nation européenne et bien vous devez gagner. Aucune manoeuvre ne peut arrêter une idée dont le temps est arrivé.

[ABP] Suite à l'échec du référendum, vous avez démissionné de vos responsabilités de Premier ministre de l'Ecosse et aussi en tant que leader du SNP, vous avez aussi perdu votre siège de député à Westminster, avez-vous des regrets de ce côté là ?

[A. S] Non tout a son moment en politique. J'ai eu un moment sensationnel en tant que leader du SNP pendant 30 ans. J'ai aussi été un parlementaire pendant 30 ans. J'ai vu le SNP émerger en tant que force proéminente en Écosse et ça l'est toujours. Ce fut un très bon parcours mais c'est le temps de laisser avancer la génération suivante. Ne pas être un élu au Parlement (de Westminster NdT) est inhabituel pour moi, mais cela offre d'autres possibilités, de choses que vous ne pouvez pas faire quand vous êtes un élu au Parlement. Donc je vais faire les autres choses qui m'étaient interdites avant. Je suis débridé !

[ABP] Comme venir à Lorient ?

[A. S.] Oui. En tant que Premier ministre, tout ce que je pouvais faire c'est augmenter la présence écossaise à ce magnifique festival. Mon agenda était trop rempli pour que je puisse venir moi-même mais maintenant que je ne suis plus dans des postes de responsabilités, je suis un Alex Salmon «libéré».

[ABP] Pour revenir au SNP, beaucoup de monde en Bretagne mais aussi en France et en Europe se demande comment ce parti qui n'était rien du tout il y a 30 ans est arrivé à ce succès ?

[A. S.] Et bien il y a l'histoire de ce joueur gaélique de la ligue de Golf de l'Afrique du Sud. Il gagna le championnat dans les année 40. À la conférence de presse qui suivit, un journaliste américain déclara «ça a été une fabuleuse course votre dernier parcours pour gagner le championnat, vous avez eu de la chance ! »sa réponse fut «C'est étrange mais plus je pratique, plus j'ai de la chance !». Le SNP a réussi grâce au travail et au travail de terrain. Ce fut 90% de transpiration et 10% d'inspiration. Vous devez réaliser que, en ce qui concerne les partis politiques issus d'un sentiment national, que le parti doit cadrer et exprimer une identité nationale avec une forme politique qui doit donner une substance adaptée au monde moderne. Une des questions en faveur de l'indépendance de l'Écosse que nous avons anticipée concerne le Brexit car il donne une immédiateté et une logique supplémentaire au concept d'une Écosse indépendante dans le monde moderne.

Donc c'est une chose de se sentir comme faisant partie d'une nation et c'est une autre chose d'avoir une expression culturelle forte et en bonne santé mais, pour construire un mouvement politique, vous devez avoir une toile axée sur l'immédiat et l'urgence de ce qui concerne la vie quotidienne des gens vivant dans un monde moderne. Et aussi vous devez apprendre à affronter des adversaires brutaux avec bon sens et développer une capacité à encaisser les flèches et les coups.

[ABP] Qu'est-ce-qui s'est passé ? Juste avant le référendum, les sondages donnaient le OUI gagnant et les derniers jours c'est le NON qui semblait l'emporter... C'est la faute aux médias ?

[A.S.] Vous devez lire mon livre (1), la version en français vient de sortir. Il l'explique en détails. Ce que vous devez comprendre, c'est que quand nous avons commencé la campagne pour l'indépendance en 2012, deux ans avant l'indépendance, nous étions définitivement sous les 30% en faveur de l'indépendance. Les analyses sérieuses de l'époque mettaient le OUI à seulement 23% alors qu'à la fin, ces même études nous mettaient à 46%. Durant le cours de la campagne, le OUI augmentait, passant de 23% à 50 ou même 51% selon les sondages. À ce moment les partis unionistes ont commencé à paniquer et ils ont formé une alliance. Ils ont lancé une alternative, des promesses qu'on a appelées «le voeu», une option «soft» qui disait «Vous pouvez avoir tout ça de toutes manières»..

[ABP] Des promesses ?

[A.S.] Oui des promesses. Bien sûr après cette période où nous avions construit une majorité, c'était assez facile de rediriger une partie de l'opinion vers cette option «soft», une offre de dernière minute. Cependant le bénéfice du SNP, c'est que la prochaine fois que nous ferons un référendum nous ne partirons pas de 23% mais de 46%. Ca sera une histoire entièrement différente.

[ABP] Comment se sont comportés les médias, en particulier la BBC durant la campagne ?

[A.S.] La BCC est une disgrâce. Je me blâme pour ne pas avoir compris à quel point la BBC pouvait être biaisée en direction de la position unioniste. Mais il y a une raison pour cela car durant les élections auxquelles j'ai participé, même si la télévision était contre le SNP, durant les campagnes électorales elle-mêmes, la télévision était correcte et neutre en particulier pour le temps d'antenne alloué. Ainsi, j'ai commis l'erreur de penser que ça serait la même chose pour le référendum.C'est vrai que la plupart des stations indépendantes ont été correctes mais la BBC a été scandaleuse. Une chose intéressante : la BBC ne comprend toujours pas, ne réalise toujours pas, que beaucoup de monde n'a plus confiance dans cette cette institution, alors que c'était la première chaîne au monde ! Et ceci parce qu'elle n'a pas pu se résoudre à conduire la couverture de ce référendum correctement. C'est un peu comme si, et ceci est juste un exemple, la Bretagne décidait d'organiser un référendum sur l'indépendance de la France, que ça soit une bonne ou mauvaise chose, laissons ça de côté, mais la BBC couvrirait cet évènement correctement, comme elle le ferait n'importe où dans le monde. Par contre la BBC ne pouvait pas couvrir un référendum d'une façon correcte et non biaisé en Écosse. Pourquoi ? Tout simplement parce que à la fin de la journée, implicitement, inconsciemment, la BBC est une institution britannique et ainsi une menace contre la Grande Bretagne. C'était trop pour l'estomac de certains journalistes de la BBC et ils se sont comportés avec disgrâce. Le fait qu'ils ne le réalisent pas est la preuve de leur aveuglement et de leur faiblesse. Les analyses universitaires n'ont fait que confirmer le parti pris de la BBC.

[ABP] Jusqu'à l'Acte de l'Union de l'Ecosse et de l'Angleterre, le royaume de France était l'allié de l'Ecosse alors que l'Angleterre était la garante de l'indépendance du duché de Bretagne. Ces liens stratégiques et historiques semblent prendre le pas sur l'interceltisme entre les différents pays de traditions celtiques. Comment pensez-vous que l'on puisse dépasser ce poids de l'Histoire ?

[A. S] Naturellement vous avez raison. Il y a plusieurs instances dans l'Histoire comme la guerre d'indépendance en Bretagne par exemple quand le duché de Bretagne était allié avec l'Angleterre. La Auld alliance (l'Alliance franco-écossaise NdT) fut établie dès 1295 et a duré 500 ans jusqu'en 1707 et même plus [...]

Ce qui compte, c'est ce qui va se passer dans le futur et ceci peut prendre forme en terme de liens culturels comme ce que l'on voit aujourd'hui ici à ce magnifique Festival. Les Écossais, les Irlandais et les Gallois et les Cornouaillais ont tout à gagner en venant ici. Maintenant que je ne suis plus Premier ministre, je suis prêt pour les connexions interceltiques.

(1) Notre rêve ne mourra jamais - L'Ecosse sur la voie de l'indépendance. Alex Salmond. Traduit par Jacques-Yves Le Touze. Yoran Enbanner Éditeur. (voir le site)


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