Ce soir France 2 diffusera via la TNT et son site web, en direct, une représentation de la pièce de théâtre de Robert Hossein, «L'affaire Seznec, un procès impitoyable». Les téléspectateurs, comme lors des représentations, pourront voter «coupable» ou «non coupable».
C'est l'occasion de rappeler aussi la sortie du livre «L'Homme sans tête, la piste oubliée de l'affaire Seznec» paru aux Éditions du Temps. Le corps décapité de Quémeneur, dont on a faussement accusé Seznec de l'avoir assassiné, avait été retrouvé en Loire-Inférieure au fond d'un puits à Sion-les-Mines, dès le 27 juillet 1923, seulement deux mois après que Guillaume Seznec l'ait laissé continuer seul son voyage à Paris le 25 mai.
Pour comprendre ce qui s'est passé il est nécessaire de se replacer dans le contexte de l'après guerre. La liberté de la presse avait été supprimée pendant 5 ans et on s'en remettait à peine – ce qui explique l'énorme passivité des médias dans cette affaire judiciaire qui reste un des nombreux boulets traînés par la justice française – son boulet principal étant sa collaboration massive avec le régime de Vichy et les peines de morts distribuées pour «faits de résistance».
Juste après la première guerre mondiale, il y avait aussi d'énormes surplus militaires à écouler. Il faut imaginer des rivalités comparables à celles des trafiquants de drogues actuels des banlieues de Los Angeles ou Paris. Il y a des marchés qui se chevauchent. Les groupes sont rivaux et ne sont pas toujours “réglos”. Il y a des règlement de comptes et des cadavres tandis que les territoires passent d'un gang à l'autre. En 1923, il ne s'agissait pas de drogues mais de surplus de l'armée américaine abandonnés à Brest après le départ du corps expéditionnaire américain qui assura la victoire aux Alliés en 1918. Plus précisément, il s'agissait de Cadillacs (*) (voir notre article). Une inconnue m'a rapporté, lors de l'audience de demande de révision d'avril 2005 – plaidoyer auquel j'ai assisté – que Quémeneur subtilisait des pièces des Cadillacs, faisant baisser le prix de vente, pour ensuite les restituer et revendre les voitures à un bon prix, faisant ainsi de très gros bénéfices. Il s'est probablement fait aussi des ennemis et des jaloux car il était manifestement devenu riche.
À mesure que les recherches continuent, on en vient à identifier trois groupes de revendeurs de voitures et surplus américains, le duo Pierre Quémeneur-Guillaume Seznec, le duo Pierre Bonny-Boudjema Gherdy et finalement le duo décrit par Annick Caminot dans «L'homme sans tête»: Georges Lemaître-Aimée Robert basés à quelques kilomètres du lieu où l'on a retrouvé un corps qui paraît être celui de Quémeneur. De nombreux indices prouvent que c'est Lemaître qui aurait dévalisé, assassiné, éventré et décapité Quémeneur (Lemaître était aussi boucher !).
À ce jour aucune connexion n'a été établie entre le gang de Bonny et Georges Lemaître sauf que sa maîtresse Aimée Robert aurait aussi été la maîtresse de Georges de Hainault. Annick Caminot n'en donne pas la preuve. Par contre, les actes de propriétés prouvent que Madame Robert a acheté comptant trois appartements à Nantes après la disparition de Lemaître. D'où venaient ces fonds ? Georges de Hainault est celui-là même qui affirma avoir vu Seznec aller au Havre acheter la machine à écrire. C'est, on le rappelle, le témoignage de Hainault, probablement “coaché” par Bonny (à l'époque greffier de police, selon certains, ou inspecteur selon d'autres), qui enverra Guillaume Seznec au bagne (**). La machine à écrire aurait été cachée par Bonny lui-même dans le grenier de Seznec. La dite machine à écrire servant à incriminer Seznec au sujet d'une soit-disant promesse de vente d'une maison appartenant à Quémeneur.
La théorie la plus vraisemblable est que le gang Bonny-Gherdy avait, en 1923, décidé de se débarrasser de l'équipe Seznec-Quémeneur. Ils y réussirent. Quémeneur fut assassiné (assassinat qui aurait été sous-traité à Lemaître qui, d'ailleurs, avait déjà un casier judiciaire chargé) et Guillaume Seznec, du même coup, fut envoyé au bagne. On sait que Bonny, qui devint auxiliaire de la gestapo pendant la guerre, avant d'être fusillé à la Libération, a déclaré : «Je n'ai qu'un regret, c'est d'avoir envoyé un innocent au bagne». Une confession capitale, même pas reprise comme nouvel élément, par la cour de Cassation en 2006. Le moins qu'on puisse dire c'est que fusiller Bonny sans autre procès, arrangeait sans doute beaucoup de monde. Il a emporté avec lui beaucoup de secrets d'État, non seulement sur l'affaire Seznec mais sur l'[[affaire Stavisky]].
Contacté par ABP, le petit fils de Guillaume Seznec, Denis Seznec, a admis que ce scénario est tout à fait plausible. Il a tenu aussi à rectifier deux erreurs dans un article du Télégramme d'aujourd'hui : le vote de 2006 contre la révision du procès est bien passé à deux ou trois voix près, et, si effectivement, aucun dossier du procès Seznec n'a brûlé dans l'incendie du Parlement de Bretagne en 1994, c'est Denis Seznec lui-même qui avait rectifié cette fausse information dès 1994, contrairement à ce qu'écrit Hervé Chambonnière dans son article.
Ce soir, comme lors de chaque représentation, les spectateurs dans la salle pourront se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence de Guillaume Seznec. Les téléspectateurs et les internautes pourront aussi se mettre dans la peau des jurés de l'époque et rendre leur verdict.
(*) Certaines de ces Cadillacs ont été exportées en Union Soviétique pour les dignitaires du parti (sauf pour Lénine qui, lui, roulait en Rolls-Royce, celle-là même qui avait appartenu à Nicolas II qu'il avait fait exécuter), et ceci en dépit de l'embargo existant. Une affaire que la droite au pouvoir à l'époque ne pouvait pas laisser la presse découvrir à l'occasion d'un procès, vu que les élections approchaient. Rétablir Seznec, ne serait pas uniquement réhabiliter un innocent, désacraliser la sacro-sainte cour de cassation, mais aussi dévoiler que la justice républicaine n'est pas si indépendante que cela et que très souvent, son ministère de l'Intérieur a le bras long, très long.
(**) Rapporté dans Le Monde du 16 décembre 2006 citant Me Jean-Denis Bredin : «Deux témoins, qui avaient affirmé que Guillaume Seznec était au Havre le 13 juin 1923, venu pour acheter une machine à écrire, ont reconnu avoir été manipulés par les inspecteurs de police, notamment par l'inspecteur Bonny, et avoir fait alors de fausses déclarations. Plusieurs autres témoins ont affirmé plus tard que l'inspecteur Bonny leur avait dit avoir placé dans le grenier de la maison de Seznec la machine à écrire qui y sera »découverte le 6 juillet 1923".
Philippe Argouarch
■Simplement, on ne refera pas revivre Guillaume Seznec, mais il en va de l'honneur et de la crédibilité d'une justice de reconnaitre ses erreurs et de réhabiliter un nom, trop longtemps bafoué !
NOTA,(pour les lecteurs qui n'auraient pas, tout aàfait,compris): Le «oui» français se dit «Ya» en breton et «Ja» en allemand, et se prononce «Ia» dans ces deux langues (multimillénaires, elles, soit dit en passant). En 14/18, son utilisation avait été interdite aux patrouilleurs bretons, dans le «no man's land», pour éviter qu'ils ne soient pris pour d'autres...