Aborder la politique autrement

Chronique publié le 4/06/15 22:12 dans Editorial par Jean-Pierre Le Mat pour Jean-Pierre Le Mat
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Trilemme de JPLM

(Cette chronique ne correspond pas aux approches politiques habituelles. Elle devra être considérée comme l'exploration de nouvelles pistes, et non comme un exposé de mes certitudes)

Dans ma précédente chronique «Valeurs de la république, valeurs nationales, valeurs démocratiques», (voir le site) , je partais de notre triple appartenance. Nous appartenons à l'humanité. Nous appartenons à une ou plusieurs communautés humaines : communautés nationales, linguistiques, culturelles, religieuses. Nous sommes citoyens, obéissant à un pouvoir politique (État français) ou souhaitant obéir à un autre (État breton). Chacune de ces appartenances correspond à des valeurs.

Les valeurs humanistes et le droit naturel ont été des sujets de réflexion depuis que la philosophie existe, jusqu'aux partisans actuels des droits de l'homme. Les valeurs concernant l'humanité se sont enrichies au XXe siècle de valeurs écologiques de respect de l'environnement.

Les valeurs communautaires sont liées à l'importance accordées aux langues, aux cultures, aux nations, aux croyances, aux m½urs, à la classe sociale, bref à tout ce qui fait que les humains s'assemblent et créent des solidarités. Ces associations se forment avant toute idée d'obligation ou de norme. Les communautés humaines ont toujours existé. L'homme est un animal social, disait déjà Aristote il y a 24 siècles. Dans le contexte actuel de globalisation des échanges et de déclin des institutions, les communautés, dont l'importance avait été occultée en Europe par le pouvoir étatique, redeviennent des références sociales et politiques.

Les valeurs citoyennes sont liées au respect des institutions et de la légalité. On les appelait autrefois valeurs civiques, ou civisme. Ce sont des valeurs d'ordre. Elles correspondent traditionnellement aux sensibilités de droite. En France, on exalte les «valeurs de la République». Dans les royaumes qui nous entourent, le Royaume-Uni, la Belgique, ou l'Espagne, on ne parle pas de «valeurs royalistes». Nous parlerons donc de valeurs citoyennes, le cas français n'étant pas universel.

En Bretagne, les valeurs citoyennes peuvent être liées au respect de la légalité française. Elles peuvent aussi sous-tendre un projet de pouvoir politique breton.

Le 11 janvier 2015, les «valeurs de la République» ont bousculé le dilemme traditionnel entre valeurs de droite et de valeurs de gauche. La liberté d'expression n'est ni de droite, ni de gauche. Bien des questions primordiales comme le chômage, la complexité des normes ou la centralisation administrative ne peuvent pas, non plus, se penser de façon binaire. Mais ce n'est pas tout. En France, l'émergence du Front National fait perdre à l'alternative droite-gauche l'évidence qu'elle avait du temps de la Guerre Froide. Ailleurs, les événements mondiaux, que ce soit en Chine, en Russie, en Iran, dans les pays arabes ou aux USA, n'ont plus rien à voir avec un conflit entre la droite et la gauche.

Contrairement au dilemme droite-gauche, les trois pôles «humanité», «communauté» et «citoyenneté» ne s'excluent pas. Toutefois, il existe un trilemme. Nous pouvons adhérer à deux types de valeurs. Mais nous devons alors renoncer au troisième, consciemment ou inconsciemment, et malgré toutes les protestations hypocrites si communes en politique.

Si nous adhérons aux valeurs humanistes et aux valeurs citoyennes, nous devons renoncer aux valeurs communautaires. C'est le cas de ceux qui, en France, se proclament républicains. L'anticommunautarisme marque la double adhésion aux valeurs humanistes et aux valeurs citoyennes. Il est très répandu dans l'Hexagone, où les valeurs républicaines sont très présentes.

Ce phénomène a des racines historiques. La République française s'est construite au nom de valeurs universelles, contre les religions et contre les peuples administrés. Ceux-ci avaient leurs langues, leurs lois, leurs administrations propres. Les valeurs communautaires ont été combattues pendant les XIXe et XXe siècles. Le personnage emblématique du républicanisme français est Robespierre (1758–1794).

Deuxième possibilité : Nous pouvons adhérer aux valeurs humanistes et à des valeurs communautaires. Ces valeurs communautaires peuvent être des valeurs nationales, religieuses ou idéologiques. Dans ce cas, nous nous éloignons des valeurs citoyennes. La citoyenneté est l'adhésion à un ordre qui descend d'une autorité centrale incontestée. L'appartenance communautaire est l'adhésion à un ordre qui se veut naturel, remontant d'une classe sociale, d'un peuple, d'une culture, de m½urs communes. C'est la différence entre légalité et légitimité.

Une démocratie défend les valeurs communautaires. Etymologiquement, c'est une société où le pouvoir appartient au peuple (démos en grec), c'est-à-dire à une communauté limitée, spécifique, concrète. Contrairement aux démocraties antiques, les démocraties modernes veulent aussi être en accord avec les valeurs universelles. C'est dans cette catégorie que l'on trouve les résistants, les indignés, les révoltés les plus authentiques.

L'appellation «démocrate» n'est pas claire en France. On y confond la nation et l'Etat, et donc démocrate et républicain.

Aux USA, ceux qui se réclament de valeurs communautaires sont appelés communautariens. Ceux qui partagent à la fois des valeurs humanistes et des valeurs communautariennes sont appelés les «Liberals». Les Liberals forment la gauche du parti démocrate américain. La philosophe emblématique de cette sensibilité est une femme, Hannah Arendt (1906–1975). C'est elle qui a étudié le plus finement la pensée totalitaire.

En France, les solidarités communautaires sont considérées comme des menaces. Pour éviter de parler de valeurs communautaires, quand les solidarités réelles ne peuvent être mises de côté dans les rapports sociaux, on parle de «société civile». Remarquons que le concept de société civile prend de plus en plus d'importance.

Une troisième catégorie de personnes adhère à la fois aux valeurs citoyennes et aux valeurs communautaires. Dans ce cas, il leur faut renoncer, consciemment ou inconsciemment, aux valeurs humanistes comme la liberté ou la paix. En France, ils se nomment eux-mêmes «antilibéraux». Ils s'épanouissent dans le conflit, parfois dans la violence. L'alliance entre un pouvoir fort et des valeurs communautaires peut être de droite, de gauche, religieuse ou nationale. On la trouve à l'état quasiment pur dans le jihadisme de l'État Islamique. Une logique binaire ne peut expliquer le phénomène et le rejette donc aux marges. Il en fait un extrémisme, qualifié secondairement de droite, de gauche, ou de religieux. Le terme de «populisme» est mieux adapté, sans être véritablement convaincant du fait de ses connotations négatives. En France, le penseur le plus représentatif de cette sensibilité est Georges Sorel (1847-1922), revendiqué à la fois par les révolutionnaires communistes et fascistes, car il défend deux communautés : la nation et le prolétariat. Il est l'auteur d'un tryptique «Réflexions sur la violence», «Matériaux d'une théorie du prolétariat» et «Les illusions du progrès». Jean-Luc Mélenchon s'engage sur la même voie dans son dernier livre, «Le hareng de Bismarck».

C'est dans cette catégorie que l'on trouve les révolutionnaires les plus efficaces, car leur but n'est pas seulement de défendre des valeurs communautaires, mais de prendre le pouvoir.

Mon approche triangulaire permet de relativiser l'opposition théâtrale entre les personnes qui, partageant les mêmes valeurs citoyennes, ont des valeurs communautaires fortes mais différentes. Ceux qui sont qualifiés d'extrême-droite croient à la fois au pouvoir de l'État et en une communauté nationale, fût-elle fantasmée. Ceux d'extrême-gauche croient à la fois au pouvoir de l'État et en une communauté sociale, la classe ouvrière, fût-elle fantasmée. Cette proximité explique la fascination et la porosité entre eux, ainsi que leur goût commun pour la violence verbale, leur même repli sur des principes, leur même surestimation du pouvoir politique.

L'alliance grecque entre le parti Syriza, réputé d'extrême-gauche, et les Grecs Indépendants, réputés d'extrême-droite, confirme mon analyse et rend caduc le dilemme droite-gauche, traditionnel en Europe et en Amérique du sud.

Les différences entre les sensibilités politiques bretonnes peuvent aussi être abordées par mon trilemme. Il explique, bien mieux que le clivage droite-gauche, la difficulté d'un front breton unique. Il révèle les créneaux des différents partis bretons et leurs zones de contact. Il permet de construire les scénarios liés aux différentes stratégies d'alliance.

L'objectif de créer des institutions bretonnes officielles, qui était la préoccupation centrale du mouvement breton du XXe siècle, excluait les «nationalistes libéraux». Ceux-ci ont un rôle à jouer maintenant que l'objectif est de libérer les énergies de la société civile.

Il dépend de chacun de nous que l'ensemble à la fois artificiel et naturel appelé «Emsav» fonctionne efficacement lorsque la roue de l'histoire tourne et que les différentes valeurs perdent ou gagnent de l'importance.

Jean Pierre Le Mat


Vos commentaires :
Jack Le Guen
Dimanche 22 décembre 2024
A mon avis, l'environnement est aussi une communauté naturelle d'espèces animales et végétales à laquelle nous appartenons.

Paul Kerguelen
Dimanche 22 décembre 2024
@ JPLM

Personnellement, mais bien entendu cela n'engage que moi, je préférais votre point de vue sur la «démocratie liquide» Voir le site

Celle ci me convenait mieux et à laquelle j'adhérais nettement plus, surtout après l'article sur les «valeurs républicaines» que vous reprenez ici même dans l'un de vos «trilemme»...

Bien entendu, juste un point de vue que je peux développer si besoin est...


Jean Pierre LE MAT
Dimanche 22 décembre 2024
@ Tugdual Radiguet
Tugdual, pouvez-vous développer ? Mon objectif est, comme mon titre l'indique, d'aborder la politique autrement. Le dilemme droite-gauche était universel il y a 50 ans. Aujourd'hui, il n'est officiel qu'en Europe et en Amérique du sud. Bien des pays sont passés à autre chose. Nous avons peut-être intérêt, nous autres Bretons, à voir aussi les choses de façon nouvelle.

Jean Pierre LE MAT
Dimanche 22 décembre 2024
@ Jack Le Guen
La question de l'environnement mérite en effet d'être discutée. Il existe des principes généraux qui se rattachent aux valeurs humanistes. Il existe aussi des problèmes globaux, comme le réchauffement climatique.
Une réflexion sur l'écologie pourrait passer par mon trilemme.
Si on la voit par le prisme des valeurs citoyennes, on aboutit à une législation, des taxes et des contraintes. C'est le cas de l'écologisme français, dominée par les leaders parisiens du style Duflot.
Lorsqu'elle est vue par le prisme des valeurs humanistes, on aboutit à Greenpeace, aux militants contre le réchauffement climatique ou Monsanto.
Lorsqu'elle est vue par le prisme des valeurs communautaires, on aboutit à Bretagne Vivante, aux combats locaux contre les mines ou pour l'agriculture bio.
Les trois logiques s'entremêlent. Il est bon de les distinguer.

Paul Kerguelen
Dimanche 22 décembre 2024
@ Jean Pierre LE MAT

Tout à fait d'accord avec vous sur le fait que nous autres, Bretons, avons tout intérêt à voir les choses de façon nouvelle!!!
Non seulement je pense que nous y avons intérêt, mais en plus, vu la situation, que c'est une nécessité impérieuse!

Peut-être ai-je trop été pollué par la Suisse où, tout un chacun, à condition de recevoir le nombre de signature lors d'une pétition, peux proposer une votation... J'appelle cela une VRAIE démocratie...

En cela, votre proposition sur la «démocratie liquide» me convenait mieux, proposition que je rapprocherai des partis pirates (qui furent moqués au début), et qui prennent de plus en plus d'ampleur dans les pays du nord de l'Europe.

Je dirai donc, que la vision droite/gauche reste valable surtout dans les pays SUD de l'Europe, dont la France, et par là même, de la Bretagne.
Avec cependant, le cas de Podemos, classé comme gauche en Espagne, mais se revendiquant, lui, comma apolitique et ou les décisions sont prises à la majorité.

Voyons ce qu'il en est de votre trilemme.
Effectivement je trouve une certaine justesse dans votre analyse... A condition de la voir uniquement sous le prisme de la vision française de la politique, à savoir: un parti se situant à droite, ou à gauche, et ayant un leader, que l'on peux rapprocher du culte de la personnalité Sarkosy en est un bon exemple). Vision qui à mon sens, pollue la politique bretonne.

Les tractations sur le Front Breton en est un exemple...mais j'y reviendrai...

Revenons sur votre trilemme. Dans celui-ci, vous reprenez en proposition les «valeurs républicaines».
Pour ma part, j'en entends souvent parler, mais je ne sais toujours pas à quoi elle se rapprochent. Les valeurs républicaine de Jules Ferry, ou de Jean Jaurès ne sont certainement pas celle de celles d'aujourd'hui...
Deuxième chose qui m'embête avec cette proposition est le «communautarisme». En effet, tant que la france ne reconnaît qu'une seule communauté, la «nation française», elle n'est pas contre. La preuve en est est «l'exception culturelle française».
Maintenant, si on est de papiers français, mais se revendiquant comme non pas français mais basque, Bretons, Corses, etc, alors oui votre classification est valable. Mais si l'on se considère comme français, alors, on rejoint la «communauté française»...et l'on se doit de combattre toutes celles mettant en danger la communauté française... ce que font parfaitement les ministres français de Bretagne Urvoas, Lebranchu, LeDrian....

Dernière chose, qui me chagrine dans votre trilemme est le rangement par case.
En effet je suis de ceux qui me retrouve dans les trois cases... Je pense être, en effet, de ceux qui pensent qu'une bonne idée, qu'elle vienne de droite ou de gauche est une bonne idée, et non la détruise automatiquement parce qu'elle vient du camp adverse, d'un parti fort éloigner de sa vision politique ou philosophique.

Maintenant, qu'en est il concrètement pour la Bretagne?
Comme déjà dit, votre trilemme rentre parfaitement dans la vision française de la politique, vision qui pollue les Bretons et les politiciens Bretons.
Soit parce qu'il sont des politiciens français de Bretagne, soit parce qu'il sont Bretons, mais frileux.
Frilosité venant d'un amalgame (le mot est à la mode!): Breton = communautarisme donc, contre la communauté française, = facho car la Bezenn Perrot etc, ce dont FM est une des tenante....
Raccourci, mais raccourci ayant la vie dur, il n'en est que de lire Voir le site pour s'en rendre compte, et qui fait que nos «chefs» soient frileux.

Or, oui, il est plus que nécessaire, que de nous réinventer!
J'en prend pour preuve : Voir le site et la douche froide qui va avec : Voir le site
Tractations restant «secrètes», ce qui ne pourrait exister avec un parti de style «démocratie liquide» ou les «partis pirates», tout un chacun pouvant à tout moment intervenir, via les nouveaux médias...

Personnellement, j'en appelle à un vrai Front Breton, incluant ADSAV et Breizhistance...et j'en entend certain dire SURTOUT pas eux!...pourtant, ils travaillent pour la Bretagne. Je fais confiance au peuple Breton pour choisir sa politique. Et si elle ne va pas dans mon sens, tant que celle-ci est due à une majorité, je m'y plie, tout en la combattant...A la Bretagne, alors d'en subir les conséquences...
La Bretagne se reconnait actuellement comme française? Soit! mais étant indépendantiste, je le combat!
La Bretagne choisit ADSAV??? Bien! c'est son choix, son droit!...mais c'est aussi mon droit de le combattre...mais exclure ADSAV des tractations, c'est aussi exclure des Bretons... et des idées pouvant servir la Bretagne. Et ceci au nom de quoi?
Qui se rappelle ici l'action d'ADSAV de mettre des panneaux frontières indiquant la frontière de la Bretagne? 2tait ce une mauvaise idée? NON! Doit ton la combattre parce que venant de cette formation??? Certain le font, regrettant secrètement de ne pas avoir eu cette idée plutôt...

Donc oui, votre analyse est valable, tant que nous nous voyons comme français, ayant la vision française de la politique.
OUI il est urgent de se réinventer, de faire passer la Bretagne avant son égo, avant sa formation politique.

Le reste n'est donc qu'une question de volonté de faire passer la Bretagne AVANT tout!

C'est mon avis et je le partage..déjà pas si mal non??? Je savais bien qu'il ne fallait pas que je développe! maintenant Vous me l'avez demander, alors, voilà mon pavé!
J'espère juste, tout comme vous, faire avancer les choses!....


MANSKER
Dimanche 22 décembre 2024
Une autre façon de voir la politique, celle qui devrait exister, mais qui n'existe pas du fait que le courage manque. Voir le site .
Tugdual, entièrement d'accord avec vous sur l'admission de certains partis. En Espagne, pour info, il n'y a pas d'extrême droite, elle est incorporée dans le PP (partido popular). Quand je pense que certains vont leur serrer la louche et par la suite fustiger l'extrême droite dans leurs propres pays. Ce que ne comprennent pas les élus bretons à Paris, c'est que plus ils tarderont à libérer les énergies (régions-pays compris) plus la cassure sera dure, car elle est inéluctable. Car c'est un mouvement européen qui se dessine, pas seulement breton.

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