Peslan, commune de Guenrouët. Un gros hameau comme il y en a des centaines d'autres dans le pays Nantais (Bro Naoned). Et pourtant…
Peslan s'étage sur une croupe douce, le long de la vicinale qui mène de Saint-Omer de Bretagne au pont Nozay, au-dessus de la rivière de l'Isac. Au bas, un four commun avec son abside de chapelle. En haut, sur une placette, un autre four. Le pain quotidien, partagé en commun, est au centre du hameau. Les puits sont dans les cours, plus intimistes, mais communs eux aussi. Plus loin, des maisons à l'écart de la route, dans un axe oblique, sont placées en alignement, ce qui atteste de l'ancienneté du village, jadis lieu d'habitat groupé au milieu de champs en lanières, autour des maisons (1).
Peslan est surtout un village qui porte sa légende. Depuis deux siècles, d'anciens en petits-enfants, court l'histoire : il y avait jadis une chapelle, sur la placette triangulaire au-dessus du hameau.
Impossible pour certains ! Peslan tirerait son nom des landes qui l'entourent, landes déjà décrites par Ogée (2), « le territoire de Guenrouët est composé aux deux tiers de landes misérables qui ne suffisent pas à nourrir sa population », écrit-il en 1780 dans son Dictionnaire de Bretagne. Et puis, de cette chapelle, nulle mention. Serait-elle du reste utile puisque la chapelle, devenue église, de Saint-Omer, est à moins d'un kilomètre, tout près donc (3).
Et pourtant. « Lan » en breton recouvre plusieurs significations, les landes certes (Lannevez), mais aussi l'étang ; sa signification la plus connue reste « lieu saint ». En Basse-Bretagne, presque tous les lieux en « lan » ont comme point commun une église, une chapelle ou une croix qui remplace souvent un lieu de culte détruit et en garde la mémoire.
Or, nous sommes au cœur du Pays nantais où les toponymies, les langues, se mélangent allègrement. Autour de Peslan, Curun est nommé d'après les termes romains qui y ont été trouvés (cura = soin en latin), Barel est soit germanique (baro), soit angevin (enclos), comme Les Noës. Guenrouët, Penfao ou Meneuf (Melleneuc)sont bretons. Les orthographes sont hésitantes, les origines cachées par l'usage et l'évolution des langues, Melneuf en est d'ailleurs un bon exemple, comme le village de Lévrizac sur la colline d'en face.
Du Peslan, jadis écrit Pélan, nous n'aurons pas éclairci le début. Or Pé vient de podium, en latin synonyme de mons, lieu élevé (4) que l'on retrouve aussi au Pé de Buzay dans le pays de Retz (Podium Buzei en 1244), devenu « pied » en Côtes-d'Armor (le Pied-Courtel, à Ploubalay) ou « pou » dans le Morbihan (à Guidel ou Plouay). Cette situation élevée correspond bien au lieu élevé qu'est Peslan, gros village dominant un océan de landes et le Canal.
Peslan a été plus qu'un gros village, il a été le centre d'une frairie (5). Ces subdivisions de paroisses rurales, apparues au Moyen-Age, étaient centrées autour d'un village et avaient parfois leur chapelle, ou tout au moins un lieu de culte occasionnel, qui servait souvent pour quelques messes d'hiver, moins systématiquement pour les mariages, les baptêmes et les inhumations quand il y avait un cimetière auprès. Le nombre impressionnant de chapelles en Bretagne découle directement de cette décentralisation paroissiale, au sein de laquelle la religion était incluse au cœur de la vie quotidienne. En effet, les frairies n'étaient pas seulement religieuses, leurs assemblées organisaient la solidarité paysanne dans les travaux quotidiens, le paiement des impôts et les travaux nécessaires. La présence de frairies en France, notamment en Charente, témoigne de l'importance du rayonnement de la Bretagne par le passé.
Quoi qu'il en soit, à la Révolution, lors de la rédaction des Cahiers de Doléances, Peslan était le centre d'une frairie, qui était une enclave de Plessé avant de revenir à Guenrouët vers 1820, bien qu'il fût distant de dix km de ce dernier bourg. Il avait évidemment eu son nom de Peslan bien avant 1820, ce qui écarte une étymologie tirée de la situation du hameau tout au bout du territoire guérinois. Frairie isolée, gros village sur une position élevée, hors des crues, Peslan nécessitait une chapelle. L'a-t-il eue ? Peut-être, avant qu'elle ne soit détruite par la fureur révolutionnaire qui s'est déchaînée à loisir sur la contrée. Quoi qu'il en soit, le savoir transmis par les anciens, mieux que toute croix ou calvaire, mieux que les plaques de commémoration, garde le souvenir de cette chapelle. Deux siècles depuis sa destruction ne suffisent pas à couler son souvenir, tout comme soixante-dix ans d'imposture ne suffiront pas à noyer l'identité bretonne du pays Nantais.
Louis Bouveron pour ABP
Notes :
1 – (voir le site) Étude sur les villages en alignement du castelbriantais et l'organisation de l'espace rural autour d'eux.
2 – Jean-Baptiste Ogée, né en 1728 à Chaourse (Aisne), ingénieur géographe français (┼1789), muté en Bretagne en 1748. Il commet un Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne de 1778 à 1780. Ce dictionnaire couvre toute la Bretagne historique, mais on peut lui reprocher un nombre certain d'approximations et de gallicismes. Ainsi Guémené-Penfao, trop breton sans doute, qui se retrouve travesti en un Guéméné-Painfault justifié par Panis Faltis, le faux pain ! La réécriture de l'histoire bretonne et l'escroquerie intellectuelle ne datent malheureusement pas d'hier.
3 – Saint-Omer dépend de Blain et a été originellement fondé autour d'un village nommé Mitau ou Millau et aujourd'hui disparu. Le bourg actuel s'est aggloméré autour d'une chapelle du XVIIIe, lieu de pèlerinage pour demander de la pluie. En 1843, Saint Omer est devenue paroisse succursale de Blain, en 1852, une église a remplacé la chapelle vieillotte. Cette église est dynamitée par les Allemands le 21 janvier 1945 durant la Poche de Saint-Nazaire, puis reconstruite en 1952.
4 - (voir le site) Article sur les formes de « podium » dans les noms de lieux bretons : pé, pied, pou, poux…
5 – Les frairies étaient aussi nommées trêves en Bretagne bretonnante. Il arriva fréquemment que certaines d'entre elles se détachent et deviennent paroisses à leur tour (La Trinité-sur-Mer par détachement de Carnac), puis se subdivisent en frairies qui n'étaient pas toujours pourvues de chapelles à leur tour.
En Charente, le sens des frairies a évolué vers les fêtes des villages, sortes de «fêtes des voisins» avant l'heure. Qui a dit que l'influence bretonne n'était pas source de progrès social ?
Il apparaît clairement qu'en Vendée, en Charente, pays moins imprégnés par la nécessité des solidarités traditionnelles, touchés de plein fouet par les transformations induites par la République qui furent destructrices des structures traditionnelles locales, cette évolution vers la festivité fut à la fois plus rapide et plus totale.
Cependant, lorsque l'on fouille dans les faits historiques, on s'aperçoit de la persistance des frairies dans tout le nord-Vendée jusque la Révolution. Par exemple la commune de saint-André des Treize Voies est une frairie devenue paroisse par treize voix de majorité et détachée de la commune voisine, toujours bretonne, de Vieillevigne. Pour l'anecdote, la famille vendéenne de la Roche-saint-André est issue de cette trève devenue commune de Vendée.
L'influence bretonne «politique» ne s'est jamais étendu jusqu'aux charentes. alors quid des frairies?
peut etre une survivance gauloise du «clan» apres tout .
Pourriez vous en dire plus sur ces frairies «méridonales» ? Le mot «frairie», comme «trève» peuvent s'appliquer a des choses très différentes même hors du contexte breton. En Bretagne ils désignent de petites subdivisions de paroisse, où sont pratiquées des travaux communautaires, où est élu un «chef» du village et a aussi une fonction religieuse avec le patronnage d'un saint (souvent celtique). Votre témoignage est interressant car pour l'instant, en Loire Atlantique ce système n'est connus que dans la zone autrefois bretonnante (inconnus à l'Est et au Sud de Nantes).
Landes, moutons noirs, communs, frairies, noms de lieux bretons, habitats en bandes; tout cela forme un tout cohérent dans ce que l'on appelle la zone mixte en Bretagne (comme en Basse Bretagne donc), il est très probable que d'autres régions aient développés des système agraires et sociaux proches (c'est le cas en Angleterre, en Irlande, dans le Sud de la France, Nord de l'Espagne...) ( notre affaire n'est pas non plus des plus originales) l'influence bretonne ne fait pas tout :)
Bon entre guérinois, voici une petite pub de mon blog sur Guenrouët (Ghenrë) et sa région (langues, société, légendes...) :
Voir le site
Sinon je confirme que Peslan vient bien de Penn-Lann (le bout de la lande). Le S vient sûrement d'une prononciation en EU typique du gallo. Cf: Pelan (Peulan) en Merdrignac (22). Il existe des Pelan/Peulan/Peslan/Pélan partout en Haute-Bretagne, c'est d'ailleurs un nom de famille très porté dans le Mené.
Les noms de lieux viennent du passé, certes, mais sont justifiés par leur situation.
«Le bout des landes» pour Peslan ne correspond à aucune réalité... c'était en plein milieu ! En effet, Peslan n'est pas sur le bout du plateau au-dessus du canal, mais bien en recul, à près d'1 km du canal.
Melneuf, les Noës : OK
Curun : plusieurs explications avancées, y compris translittération de Kurun, l'origine la plus probable reste celle tirée de l'existence des thermes gallo-romains, qui restèrent apparents jusqu'au XIXe.
Barel : le retranchement peut être un vestige de l'un des enclos. La prospection aérienne a trouvé en ce lieu plusieurs enclos superposés, dont un du néolithique, si mes souvenirs sont bons.
La Croix Barel à Guenrouët se trouve à plusieurs km de là...autant que je me souvienne, c'est le hameau auprès de la fourche, en venant de Grâce... autrement dit c'est assez loin de Barel.
Levrizac : je ne connais pas la forme «levrisiacum»... en revanche une forme Levr-Isar lui est fréquemment liée.
Millau/Millac : oui, il y a un coin cadastré sous ce nom, mais plus de hameau depuis longtemps. S'il y avait encore des pierres, les labours successifs ont du faire le ménage...
Pour Curun, si il venait de Cura, il aurait donné «la cure» qui est assez fréquent, Léon Fleuriot (on a la chance qu'un linguiste de sa pointure se soit penché sur notre riant nom de lieu) propose qu'il vienne de Culrun : le petit tertre, il est en effet situé sur les abbords du «mini plateau» (ah les reliefs bretons) de la forêts de Carheil
Pour Barel, je ne sais pas, ce que je sais c'est que ça n'est pas de l'angevin, puisque la langue romane parlée à Guenrouët est le gallo, pour info ce mot «barrel» est sans doute le cousin du français «barreau».
Levrisac vient du gaulois comme presque tout les noms en «-ac» (dont l'isac effectivement), les deux noms sont peut être liés. le «Levr» m'est obscure ! Le bougre !
à completer donc !
Bonn nuiteï à vouzaotr !